MONTRÉAL – Grâce aux mises à jour régulières qui lui provenaient de son gérant, Jonathan Meunier savait que l’UFC l’avait à l’œil depuis un bon moment. Mais même si ses chances de réaliser son rêve augmentaient après chacune de ses victoires, le combattant québécois refusait de voir trop loin.

« Je suis plutôt de nature sceptique, confie le jeune homme de 28 ans. Je savais que j’avais le potentiel d’y aller, mais je me disais toujours qu’ils ne s’intéresseraient pas à moi. Comme ça, j’étais sûr de ne pas être déçu si ça n’arrivait pas. »

Il y a trois semaines, Meunier a ajouté un fait d’arme à sa feuille de route déjà bien garnie en défaisant Francis Charbonneau par soumission dès le premier round du combat principal d’un gala de la Ligue d’Arts Martiaux Mixtes du Québec (LAMMQ), à Sainte-Foy. La victoire portait sa fiche à 7-0 et marquait la sixième fois qu’il écartait un adversaire de son chemin avant la fin du premier round.

« Mon gérant me disait : "Il va y avoir un blessé à Ottawa, tiens-toi prêt, c’est toi qui va prendre sa place". Moi, j’y croyais plus ou moins. Je me disais qu’en cas de besoin, l’UFC avait certainement une liste de remplaçants en banque bien avant de devoir m’appeler », se souvient Meunier.

Il était dans le champ. Jeudi soir, une rumeur a commencé à circuler à l’effet qu’Alex Garcia avait été forcé de déclarer forfait pour le combat qu’il devait livrer à l’Américain Colby Covington le 18 juin dans la capitale canadienne. Meunier savait que Garcia s’était blessé. Il était au Tristar quand la malchance avait frappé le Dominicain, mais sur le coup, la possibilité que son coéquipier doive renoncer à ses engagements ne lui a même pas traversé l’esprit.

Puis le téléphone a sonné.

« La première chose que mon gérant m’a demandée, c’est si je pensais être capable de peser 170 livres dans huit jours, raconte le mi-moyen. J’ai dit oui. C’est seulement après ça qu’il m’a dit que je pourrais remplacer Alex Garcia. Je n’ai pas pris dix minutes pour y réfléchir. J’ai dit : "Let’s go! On y va". »

De la rue au gymnase

Pour Meunier, l’appel de la plus grande ligue d’arts martiaux mixtes au monde représente le couronnement de huit années de travail, l’accession à un statut que plusieurs de ses amis d’enfance ne vivront qu’en pensées et en regrets.

À l’âge de 20 ans, le natif de Vanier a trouvé la délivrance dans le gymnase de l’entraîneur de boxe thaïlandaise Ali Zirakhi. Il se rappelle de cette étape de sa vie comme la « séparation des chemins ». C’était ça ou la rue l’emportait.

Jonathan Meunier« J’étais tout un personnage. J’avais un rythme de vie assez délinquant, avec des fréquentations peu recommandables que je voyais disparaître les unes après les autres pour aller séjourner en prison. Sans embarquer dans les détails, il était temps que je prenne mes distances. »

Au bout du fil, Meunier hésite légèrement. Prudemment, il accepte de dévoiler des parcelles de son histoire, l’essentiel demeurant protégé derrière la palissade qui entoure son jardin secret.

« Tu es la première personne à qui j’en parle, dévoile-t-il au milieu d’une généreuse entrevue accordée à RDS. La copine que j’avais dans ce temps-là... Ça fait drôle d’y repenser, ça remonte à loin. Disons qu’elle m’avait fait réaliser que je n’étais pas sur le bon chemin, que ce n’était pas ma voie. Les arts martiaux, c’est la meilleure chose qui me soit arrivée dans la vie. »

Meunier a passé quatre ans avec Zirakhi. « C’est grâce à lui si je me suis fait reconnaître au championnat canadien de kickboxing, où j’ai gagné tous mes combats. » Il s’est ensuite fait remarquer par Yohan Bérubé, qui lui a ouvert les portes du défunt Nordik Fight Club, aujourd’hui reconnu comme la branche québécoise du célèbre Tristar Gym.

À 23 ans, Meunier est devenu propriétaire de « District », une boutique de vêtements et de tatouages qui a pignon sur rue à Loretteville. En devenant son propre patron, il se donnait les outils pour gérer en parallèle sa jeune carrière de combattant. Il avait trouvé son oasis, mais celui-ci n’était pas à l’abri des remous.

« Quand j’ai commencé chez les amateurs, je me suis vraiment fait connaître par mes actions. J’étais le bad boy du MMA, j’étais parfois considéré comme antisportif. J’avais une attitude explosive. »

« Aujourd’hui, je suis content de dire que les policiers, quand ils m’arrêtent ou qu’ils me croisent, ils me félicitent et m’encouragent. Dans le passé, c’était une toute autre histoire », conclut Meunier en fermant la porte sur son passé.

Le « French Spider »

Robbie Lawler, le champion de la division des mi-moyens de l’UFC, a fait ses débuts avec l’organisation trois mois après avoir célébré son vingtième anniversaire de naissance. Le Canadien Rory MacDonald, l’un des plus sérieux aspirants à son titre, avait déjà huit combats professionnels à son actif à son arrivée dans la vingtaine.

Meunier, qui a fait ses débuts pros en 2013, sait bien que son histoire est atypique. Ça ne l’empêche pas de se fixer des objectifs ambitieux.  

Jonathan Meunier« C’est certain que ça a souvent remis mon parcours en question, mais aujourd’hui, je me dis qu’il y a deux façons de voir ça. Quand tu es jeune, tu as le temps de te tanner avant de percer. Et puis je ne suis pas le seul qui a commencé à cet âge-là. Regarde Bernard Hopkins! Plus près de moi, il y a le boxeur Pier-Olivier Côté, qu’on surnommait « Apou », qui a lui aussi commencé à 20 ans. Dans le sport, il faut se créer un corrélatif sur lequel on peut s’appuyer, une référence. »

Hopkins pour l’âge, donc. Et pour le style? Le cogneur de 6 pieds 3 pouces réfère à la trouvaille des commentateurs anglophones qui ont décrit l’un de ses premiers combats pros en le surnommant le « French Spider », un clin d’œil au Brésilien Anderson Silva. Après s’être fait connaître sous le sobriquet de « District » chez les amateurs, c’est son deuxième surnom qu’il a décidé d’apporter avec lui dans l’octogone de l’UFC.

Meunier demeurera aussi fidèle à son entourage. Son passage en ligues majeures le forcera à consacrer une plus grande partie de son entraînement à Montréal, mais il était important pour lui de faire vœu de loyauté envers Philippe Dupont, son entraîneur principal dans la Vieille Capitale.

« Je l’ai appelé hier pour lui demander s’il voulait être dans mon coin à Ottawa. Je savais que c’était dernière minute et que ça allait peut-être être compliqué de laisser sa famille. Il m’a dit qu’il allait me revenir dans deux heures. Quand il m’a rappelé, juste par le ton de sa voix, j’ai senti que c’était la plus belle chose que je pouvais faire pour lui. Ça va être son entrée dans l’UFC à lui aussi. »

Pour sa première marche vers l’octogone, Meunier sera aussi accompagné de Firas Zahabi et du combattant Nordine Taleb, son principal partenaire d’entraînement au Tristar montréalais.