MONTRÉAL – Lorsqu’elle ferme les yeux, Valérie Létourneau voit son copain, sa mère et sa fille Gabrielle. Elle voit un arbre de Noël, une table remplie de bouffe et Yoda, son pitbull français, qui se roule dans le papier d’emballage. Puis, dissimulée sous le sapin, accrochée au mur ou enroulée autour de son oreiller, elle voit sa ceinture, la ceinture de championne de la division des poids mouches de l’organisation Bellator.

« Je me vois repenser à tout le travail que ça m’a pris pour y arriver, je me vois savourer les vingt années de travail qui m’ont menée jusque-là, visualise-t-elle à voix haute. Je ne peux pas passer à côté. Je ne peux pas ne pas aller chercher cette ceinture. Il n’y a pas d’autres options pour moi. C’est ma dernière chance, je le sais, et je vais la prendre. »

À 35 ans, Létourneau se prépare pour le deuxième combat de championnat de sa carrière. Samedi, un peu plus de trois ans après sa défaite contre Joanna Jedrzejczyk à l’UFC 193, elle affrontera Ilima-Lei MacFarlane, une Américaine de 28 ans qui montre une fiche de 8-0 et qui en sera à la deuxième défense de son titre.

Dans des circonstances plus favorables, la Québécoise est convaincue de pouvoir tirer les bonnes leçons du passé et sortir triomphante de ce duel.

« C’est tellement pas pareil, compare-t-elle. Ça faisait deux jours que j’étais revenue d’un combat, je n’avais même pas dépaqueté mes choses, quand on m’a offert le combat contre Joanna. Je ne l’attendais pas, en tout cas pas aussi vite, et je n’avais pas eu beaucoup de temps pour me préparer. La semaine suivante, j’étais à Las Vegas pour l’annonce officielle, puis en Australie pour une tournée d’entrevues. C’était tellement intense, j’avais juste eu le temps de réagir. Il avait fallu que je saute là-dedans et que je prenne l’opportunité. Et malgré tout ça, malgré les deux camps d’entraînement consécutifs, j’avais bien fait quand même. J’ai répondu à l’adrénaline et j’ai foncé. »

Cette fois, Létourneau sait exactement dans quoi elle s’embarque. Quand sa position d’aspirante a été officialisée, il y a près de trois mois, la nouvelle était depuis longtemps un secret de polichinelle.

« J’ai vraiment eu le temps d’absorber, de préparer, de penser, de visualiser. Ça ne peut pas être bien plus intense que l’expérience que j’ai eue en Australie, donc je suis prête. »

Les quelque 8000 spectateurs qui rempliront le Neil S. Blaisdell Center d’Honolulu risquent d’être en désaccord avec cette affirmation. Voilà des lunes qu’Hawaii n’a pas accueilli un événement d’arts martiaux mixtes et MacFarlane, qui a grandi à un jet de pierre de l’amphithéâtre, bénéficiera d’un support unanime samedi. Létourneau risque de se sentir bien seule. Elle le sait, et ça fait bien son affaire.

« Ça me donne beaucoup de force quand tout le monde est contre moi. C’est comme si je voulais prouver que je suis plus forte que ça. Je ne dis pas que je ne voudrais pas me battre à Montréal, parce que c’est mon plan de prendre la ceinture et de la défendre chez moi. Mais en ce moment, je pense que la situation est à mon avantage. J’ai l’impression que toute la pression va être sur elle. »

L’inconfort de la maison

Létourneau estime avoir une bonne idée de ce qui attend sa rivale. À trois reprises, elle s’est battue devant une foule conquise au Centre Bell. Elle se souvient avoir réussi à relativement bien gérer ses nerfs il y a près de quatre ans, le soir où elle a affronté Jessica Rakoczy à l’UFC 186. Mais pour ce faire, elle avait dû traverser une expérience pénible au préalable.   

« La première fois, contre Sarah Kaufmann [à TKO 29], j’avais vraiment figé. Ça n’avait vraiment pas été une belle expérience. Quand on m’a offert le combat à l’UFC, j’ai fait beaucoup de visualisation, je m’étais revue là-bas, je m’étais revue d’une façon positive. Mais ça m’avait pris beaucoup de travail. Si ça avait été ma première expérience à Montréal, je ne sais pas comment ça aurait été. Je trouve ça vraiment stressant de me battre à la maison. C’est plus d’interviews et c’est plus de pression de savoir que toutes les personnes que tu connais vont être là, sur place. »

« Et les gens ont plus d’attentes. Je me rappelle, j’étais en train de couper le poids et je voyais des gens avec leur micro qui voulaient m’interviewer alors que j’étais en train de perdre ma voix. Je me sentais mal de dire non, mais il y avait trop de demandes. Quand tu vas à l’extérieur, tu es concentrée sur ton poids, ton entraîneur et ta job. »

Jusqu’à maintenant, MacFarlane semble sereine et en plein contrôle de la situation. La température risque de monter à mesure que la soirée du combat approchera, mais Létourneau ne prend pas pour acquis que les distractions perceront l’armure de son adversaire. À chaque combattant son talon d’Achille.

« C’est une fille qui est très calme et je ne sais pas à quel point ça va l’affecter. J’étais sur le bord de la cage pour son dernier combat et je l’ai vue rentrer. Je pouvais voir qu’elle était vraiment chill. Mais ce n’est pas tout le temps évident de se battre à la maison. C’est tout ce que je peux dire. »