MONTRÉAL – Un choc brutal, plusieurs petites frustrations et une déception qui, même trois jours plus tard, était toujours aussi vive. Voilà en gros comment Valérie Létourneau résumait, mercredi, sa performance contre la championne des poids plume Joanna Jedrzejczyk à l’UFC 193.

Le choc, Létourneau l’a encaissé dès le premier round, quand Jedrzejczyk l’a surprise avec un foudroyant coup de pied avant à la mâchoire qui a donné l’impression que sa tête venait de pivoter à 180 degrés.

« Je suivais jusque-là mon plan de match à la lettre et quand j’ai reçu ce coup, ça a tout changé », racontait la Québécoise avant de quitter Melbourne pour des vacances bien méritées.

Au bout du fil, on distingue une minime variante dans l’élocution de la combattante, qui énumère sur un ton résigné les quelques séquelles physiques qu’elle garde de l’impact. « Je suis coupée partout à l’intérieur de la bouche. La babine est ouverte en haut et en bas. Mes palettes ont rentré vers l’intérieur – je vais sûrement en perdre une – et j’ai la langue toute coupée. C’est pour ça que je parle sur le bout de la langue. »

Joanna Jedrzejczyk et Valérie LétourneauLes conséquences les plus néfastes de ce coup de pied parfaitement placé furent insidieuses. Létourneau s’est tenue debout et a même remporté le round sur la carte de deux des trois juges après avoir avalé ce coup de pied. Il lui en faudrait bien plus pour reculer. Mais la douleur l’a conscientisée sur les effets d’un léger décalage qui allait lui nuire pendant les vingt minutes suivantes.

« Je l’avais tellement regardée sur vidéo, je le savais que ça rentrerait. Je pense que ça a paru dans ma face que j’étais vraiment fâchée contre moi. Ça, ça m’a vraiment sortie de ma zone », admet-elle.

De là se sont enchaînés une série de petits détails qui persécutaient encore Létourneau près de 72 heures après sa défaite. L’aspirante s’est présentée dans l’octogone avec une confiance inébranlable qu’elle n’a jamais senti fléchir. Mais physiquement, elle a vite dû se rendre à l’évidence que les effets de la coupe de poids qu’elle s’impose pour être compétitive chez les 115 livres allaient la suivre comme un boulet.

« En général, je n’étais pas aussi explosive. Mes entraîneurs l’ont vu tout de suite. Mon temps de réaction sur certaines choses, mon jeu de pied aussi... J’ai bien plus de bounce que ça dans le gymnase. Je voulais pousser plus, mais mon corps ne répondait pas. Je ne pense pas avoir mal paru, mais je sais que j’aurais pu faire mieux. C’est ça qui me fâche. »

Dans un monde idéal, l’UFC diviserait son effectif féminin en trois divisions au lieu de deux. Ce juste milieu serait l’endroit tout désigné pour une fille comme Létourneau, qui a quitté la catégorie des poids coq (135 livres) après ses débuts avec l’organisation pour tenter sa chance chez les poids plume. La Montréalaise juge que ses chances de victoires sont accrues face à des adversaires plus menues, mais les sacrifices qu’elle s’impose pour se qualifier contre elles sont chers payés. La déshydratation extrême qui lui permet de fondre en quelques jours la prive d’une énergie dont elle aurait bien besoin le soir de son combat.

C’est chaque fois la même chose. Elle sait à quoi s’attendre et accepte les conséquences. Mais ce qui passe contre Jessica Rakoczy ou Maryna Moroz ne pardonnera pas nécessairement contre une championne de la trempe de Jedrzejczyk.

« J’étais dans une condition physique complètement débile pour ce combat. Au gym, je pouvais faire cinq rounds sans problème. Quand ils ont pris ma pression à mon arrivée ici, elle était vraiment basse. J’étais top shape, mais la déshydratation, ça m’affecte. Tu as le souffle plus court, les jambes plus lourdes et c’est sûr que chaque coup de pied qui entre au corps, tu le sens plus. Je me sentais lente pendant le combat. »

« Un combat que je peux gagner »

Selon FightMetric, Jedrzejczyk a touché Létourneau avec un peu plus de la moitié des 448 coups qu’elle a lancés. La Québécoise n’a peut-être pas répliqué avec le même volume, mais elle a néanmoins rendu la vie difficile à la détentrice de la ceinture en atteignant la cible avec 103 frappes significatives.

« C’est sûr que j’ai rentré des bons coups, atteste la spécialiste en kickboxing. Je ne me souviens plus si c’est au premier ou au deuxième round, mais à un moment donné j’ai senti son visage changer. »

Celles qui l’avaient précédée dans l’arène n’ont jamais pu en dire autant. Que ce soit lorsqu’elle s’était emparée du titre contre Carla Esparza ou quand elle l’avait défendu pour la première fois contre Jessica Penne, Jedrzejczyk avait été sans pitié. Samedi dernier, elle a paru humaine.

Il s’agit donc d’une petite victoire qui, à défaut de la consoler, a convaincu l’aspirante déchue qu’elle ne visait pas la lune en croyant pouvoir détrôner « Joanna Champion ».

« C’est un combat que je peux gagner, croit fermement Létourneau. Je serais prête à le reprendre l’année prochaine. La division est tellement relevée, je ne pense pas que bien des filles pourront se tenir dans le top-5. J’ai l’impression que ça va continuer de se jouer entre l’Ukrainienne que j’ai battue, Claudia Gadelha, moi... Bref, je sais que c’est un combat qui peut revenir rapidement. »

« Ce n’est pas fini pour moi, promet la représentante d’American Top Team. Je veux encore pousser pendant deux ou trois ans. Je pense avoir démontré beaucoup de cœur dans ce combat et il y a encore des belles choses qui m’attendent, même si pour l’instant je vis une grande déception. »

En attendant de pouvoir savourer sa revanche, Létourneau pourra se réconforter à l’idée qu’elle a conquis de nombreux amateurs avec une performance que plusieurs ne lui donnaient aucune chance de réaliser.

« Je suis quand même contente de ma performance. Le monde n’avait aucune attente envers moi. Si on regarde ce qui se disait sur les réseaux sociaux, c’est ridicule. J’ai gagné beaucoup de respect. J’ai reçu des milliers de messages de partout à travers le monde. Il y a même des gens qui me ridiculisaient avant le combat qui m’ont envoyé des messages pour me dire qu’ils étaient maintenant de nouveaux fans. C’est le fun, mais ça ne me donne pas la ceinture! »