MONTRÉAL – Le talent lui sort par les oreilles, tellement que certains le voient déjà suivre les traces de Georges St-Pierre. Pourtant, s’il s’était écouté, vous n’auriez peut-être jamais connu Olivier Aubin-Mercier.

À l’automne 2013, la carrière d’Aubin-Mercier semblait se diriger vers un cul-de-sac. Il venait d’empocher sa quatrième victoire chez les professionnels avec la même facilité qui avait caractérisé ses trois précédentes, mais malgré sa fiche parfaite, les possibilités d’avancement devenaient de plus en plus minces. Les organisations locales d’arts martiaux mixtes semblaient en voie d’extinction et ailleurs, peu de promoteurs étaient intéressés à envoyer leurs gros vendeurs en pâture contre ce prospect dont la réputation avait déjà commencé à traverser les frontières du Québec.    

Quand le UFC a annoncé qu’il tiendrait des auditions visant à recruter les plus beaux talents du Canada pour la prochaine saison de son émission de téléréalité, The Ultimate Fighter, l’occasion semblait trop belle. Le secret était bien mal gardé : si vous vouliez assembler la plus belle brochette de mi-moyens cognant aux portes des grandes ligues, toute recherche sérieuse devait commencer à Saint-Bruno-de-Montarville, sur la Rive-Sud de Montréal.

Mais Aubin-Mercier ne voulait pas y aller.

« J’avais une fiche de 4-0, mais à ce moment-là j’avais passé à peine cinq minutes dans la cage. Je trouvais que je n’avais pas assez d’expérience, mais on m’a fait comprendre que c’était justement l’endroit idéal pour en prendre », racontait récemment le jeune combattant en entrevue à RDS.   

Aubin-Mercier a fini par céder sous le poids des arguments de son gérant et de son entraîneur, mais c’est néanmoins sans trop croire en ses chances qu’il a fait le voyage à Toronto pour aller se mesurer à d’autres compatriotes rêveurs.  

« Quand je suis arrivé, j’ai tout de suite regardé s’il y avait d’autres Québécois dans ma catégorie de poids. J’étais l’un des seuls et comme je savais que l’émission allait être diffusée en français, je me suis dit qu’on allait peut-être me prendre, ne serait-ce que pour faire le francophone de service! »

Finalement, le petit s’est plutôt bien tiré d’affaire. Deux semaines avant le début du tournage, il recevait un appel lui confirmant qu’il avait gagné sa place au sein d’une distribution qui opposerait huit Canadiens à autant d’espoirs de l’Australie.

UFC-QC : Olivier Aubin-Mercier

Devant les caméras installées autour de l’arène d’occasion érigée dans un entrepôt des Laurentides converti en complexe d’entraînement, Aubin-Mercier s’est mis au travail. Contre Jake Matthews, le plus jeune compétiteur de l’équipe australienne, il a été poussé pour la première fois de sa carrière au-delà du premier round, mais a signé sans trop de suspense une victoire par décision unanime. Quelques semaines plus tard, en demi-finale, il a fait la peau à Richard Walsh, étranglé après une très brève résistance.

Mercredi, au Colisée Pepsi de Québec, Aubin-Mercier disputera son premier combat officiel au UFC. Il sera confronté à l’Ontarien Chad Laprise en finale d’un tournoi auquel il ne se croyait même pas assez bon pour participer.

D’abord le judo, ensuite la révélation

Le talent d’Olivier Aubin-Mercier pour les sports de combat n’a pas toujours crevé les yeux. Rien ne laissait présager une éventuelle carrière dans le domaine lorsqu’il s’adonnait au taekwondo à l’école primaire. Au début du secondaire, ses parents ont longtemps hésité avant de finalement accepter de l’inscrire à un programme Sport-études de judo, une discipline qu’il ne pratiquait que depuis un an.

« À ma première année, j’ai peut-être gagné trois ou quatre combats sur une centaine. Tout le monde me cassait la gueule, se souvient-il en riant. Mais pour moi, c’était naturel de continuer et l’année suivante, j’ai réussi à me placer deuxième aux Championnats canadiens. »

Les rapides progrès du judoka l’ont éventuellement mené parmi l’élite canadienne. À la même époque, son intérêt pour les arts martiaux mixtes prenait vie. À l’âge de 21 ans, il s’est fait offrir une somme considérable pour passer une deuxième année au sein de l’équipe nationale, mais le cœur n’y était plus.

« J’avais le choix de prendre l’argent et de poursuivre en judo ou de changer complètement de direction. Les règles avaient commencé à changer et je n’étais plus autant en amour avec le sport. En même temps, l’option des MMA me plaisait vraiment et j’ai décidé de plonger. »

 Olivier Aubin-Mercier« C’est sûr que j’aurais pu en faire plus en judo. Je ne sais pas où je me serais rendu, il y a beaucoup de "si". Mais pour moi, le changement était naturel et je ne regrette pas mon choix. »

Avant de prendre la décision d’abandonner son premier amour, Aubin-Mercier avait commencé à aller voir ailleurs. En quête d’un gymnase où il pourrait s’initier au jiu-jitsu brésilien – « juste pour améliorer mon sol en judo » - il est arrivé au H2O, dans l’ouest de Montréal. Poignée de main avec le propriétaire, petite séance exploratoire sur les tapis. Une semaine plus tard, il revenait s’inscrire.

« J’étais content de le revoir parce que dès le premier coup d’œil, j’avais vu tout son potentiel, se rappelle Richard Ho, qui est devenu et qui est encore aujourd’hui son entraîneur principal. Il se démarquait par son physique et ses qualités athlétiques. Ses antécédents en faisaient déjà un bon grappler, mais je crois qu’il n’avait jamais lancé un coup de poing de sa vie. Il avait donc plusieurs choses à apprendre, mais j’étais heureux de le prendre sous mon aile. »

L’évolution d’Olivier Aubin-Mercier s’est faite sans brûler les étapes. Au rythme de quelques journées par semaine, sa première année au H2O l’a vu se consacrer uniquement à l’art de la soumission. « On ne parlait même pas de MMA », précise Ho.

Quand son élève, aujourd’hui détenteur d’une ceinture brune, s’est mis à exécuter ses consignes les yeux fermés, Ho a commencé à le traîner dans les tournois locaux. Avant longtemps, Aubin-Mercier faisait sa marque dans une branche pour débutants des championnats du monde.

Le kickboxing et le muay thaï ont ensuite été greffés à son arsenal. « Quand on a réalisé qu’il commençait à bien mélanger toutes ces disciplines, on a décidé de se préparer pour un premier combat amateur et on est parti sur une lancée. »

« Pour son deuxième combat, son père et plusieurs de ses amis étaient venus l’encourager et je crois que c’est ce soir-là que la flamme s’est allumée en lui. Après sa victoire, il était presque en larmes », se remémore son coach.      

En octobre 2011, après une carrière parfaite chez les amateurs, Aubin-Mercier s’est lancé chez les pros. Sous l’écran géant du Centre Bell, il a eu besoin de 58 secondes pour vaincre son adversaire par étranglement arrière. C’est avec la même technique et sans perdre beaucoup plus de temps qu’il a disposé de tous ses rivaux depuis.

La télévision, ce mal nécessaire

Olivier Aubin-Mercier ne correspond probablement pas à l’image que vous vous faites d’un combattant d’arts martiaux mixtes. Sa robuste charpente n’est décorée d’aucun tatouage, vous ne trouverez pas de motif tribal taillé méticuleusement au rasoir sous son imposante chevelure frisée et la prochaine fois que vous l’entendrez élever le ton en s’adressant à un adversaire sera probablement la première.

À première vue, ce père d’une petite fille de 2 ans a l’air d’avoir été parachuté dans un monde qui n’est pas le sien.  

Olivier Aubin-Mercier« C’est sûr que je suis un peu différent des autres. J’ai une vie vraiment calme. Les tatoos et les mohawks, ce n’est pas mon fort et dans le sport dans lequel j’ai grandi, il n’y a pas de thrash talk. Je comprends que ça puisse en allumer certains, mais personnellement, je ne me sens pas à l’aise de changer ma personnalité juste pour cadrer dans ce moule. »  

Mais les apparences sont futiles aux yeux du jeune homme de 25 ans qui, malgré son caractère introverti, se sent comme un poisson dans l’eau dans ce monde imbibé de testostérone ou l’exubérance joue souvent du coude avec le narcissisme.

 « Beaucoup de gens ne veulent voir que la coquille, mais moi je m’attarde vraiment sur la personne. Je me moque de quoi tu as l’air et la grande majorité des personnes qui s’entraînent à un certain niveau sont vraiment de bonnes personnes avec qui j’ai plus de points en commun qu’avec des gens qu’on pourrait qualifier de "normaux" », plaide l’habitué des séances de simulation de combat du Tristar Gym.  

Aubin-Mercier n’a donc pas eu de problème à partager son espace avec 15 confrères pendant les six semaines qu’a duré sa récente expérience télévisuelle. L’infiltration de sa vie privée par les nombreuses caméras mandatées de rapporter des images pour le montage d’une émission hebdomadaire d’une heure, par contre, a brutalement testé sa capacité d’adaptation.  

« Au début, j’ai trouvé ça vraiment difficile de me faire filmer 24 heures sur 24. Ce n’était pas naturel et j’avais l’impression que certains se forçaient pour faire le clown juste parce qu’il y avait des caméras. Ça donnait des gros malaises, mais après quelques semaines, je trouvais ça moins pire. Quand même, si tout le monde avait été comme moi, ça aurait été plate comme show! Mais j’ai essayé de me reprendre avec mes combats. »

Dans cette optique, il aurait difficilement pu apporter une meilleure contribution au spectacle. Aubin-Mercier a profité de chaque minute de son séjour pour affûter ses armes sous la supervision de l’équipe d’entraîneurs assemblée par Patrick Côté, le meneur d’Équipe Canada.

Quand il a vu son ami revenir au bercail, Richard Ho s’est immédiatement aperçu que son stage à l’étranger l’avait changé.

« Dans sa façon de s’entraîner, j’ai vu un gars plus confiant. Il bottait le derrière de tout le monde, c’était pire que d’habitude. Il était plus dominant et plus confiant que jamais en ses habiletés. »

Olivier Aubin-Mercier n’a pas encore brillé sous les attrayants projecteurs du UFC, mais sa vie a déjà changé. Il ne sait pas trop comment réagir lorsqu’un passant l’interpelle pour lui serrer la main. D’un policier, il a récemment reçu des félicitations plutôt qu’une contravention. Depuis une semaine, il dédie une partie de ses journées à donner des entrevues aux quatre coins du Canada.

Sur les traces de Georges St-Pierre? Chaque chose en son temps. Après tout, le plus bel espoir des arts martiaux mixtes québécois habite encore chez ses parents.

« Mais dès que j’ai fini mon combat, je me cherche un appartement... avec passion! », s’exclame-t-il.