MONTRÉAL - Pendant les longs mois de convalescence qu'a nécessité la blessure à un genou qui est maintenant enterrée dans son passé, Georges St-Pierre a eu le temps de brasser un paquet d'idées.

On peut immobiliser physiquement un champion, seulement ne vous attendez pas à ce que son cerveau tombe simultanément au neutre. «Même quand les choses vont bien, tu peux toujours les rendre meilleures», croit fermement St-Pierre, dont le règne au sommet de la division des mi-moyens du UFC s'est étiré sur près de quatre ans avant qu'il ne soit contraint à l'inactivité.

Et donc avant même qu'il puisse remettre la machine en marche, GSP a décidé que quelques changements s'imposaient. L'un d'eux, possiblement né du constat de sa récente incapacité à achever ses adversaires, une guigne qui a été maintes fois documentée sous tous les angles imaginables, s'est matérialisé dans son entraînement de boxe.

Lorsqu'il a reçu le feu vert pour remettre les gants, à la fin juin, St-Pierre ne s'est pas dirigé vers son gymnase habituel, celui des frères Grant dans l'ouest de Montréal. Il a plutôt migré vers le Centre Claude-Robillard où, dans une salle adjacente à la piste d'athlétisme où il avait déjà l'habitude d'aller courir, l'attendait à bras ouverts Stéphan Larouche, qui lui enseigne officiellement les rudiments du noble art depuis maintenant un peu plus de trois mois.

L'un des entraîneurs les plus réputés du Québec, père spirituel de deux anciens champions du monde, unit ses forces avec celles de son compatriote le plus reconnu et le plus décoré en sports de combat à l'échelle internationale. Le mariage ne pourrait être plus naturel.

«Ce n'est pas vraiment un ménage, sent le besoin de justifier St-Pierre lorsque confronté à une citation issue d'une récente rencontre avec les médias. J'étais très bien avant, mais j'ai simplement décidé de changer un peu ma routine. Il n'y a rien de négatif là-dedans et je n'ai rien de mal à dire envers personne.»

«La boxe, c'est une discipline qui est très importante pour moi. En combats mixtes, tu ne peux pas passer à côté. J'ai décidé de faire le saut. L'expérience de Stéphan est vraiment un plus pour moi», prend-il le soin d'ajouter.

Un athlète transformé

Bien avant qu'il n'amène Lucian Bute à la gloire, à une époque où St-Pierre était encore loin d'être un millionnaire adulé à la grandeur de la planète, Larouche suivait d'un œil attentif, de près ou de loin, la carrière du jeune homme de St-Isidore. Alors que plusieurs puristes et amateurs de boxe issus de la vieille école considéraient les arts martiaux mixtes avec un mépris frisant le dédain, l'un des entraîneurs les plus respectés en ville éprouvait une certaine fascination envers ce jeune athlète au potentiel évident.

«Il venait faire du sparring de temps en temps. Je savais qu'il faisait du sport du combat, mais je ne me souviens pas s'il était entré au UFC. Ce que je peux dire, c'est que je le trouvais courageux. Il voulait pas à peu près. Il n'était pas le meilleur, il ne dominait personne, mais il était toujours de retour le lendemain. Je le trouvais tenace», se rappelle Larouche en discutant pour la première fois de son association avec son nouveau protégé.

La carrière de St-Pierre a rapidement pris son envol et son cheminement l'a éventuellement éloigné de l'aile de Larouche. Le coach n'était jamais bien loin si un questionnement nécessitait son intervention, mais la relation était davantage amicale que professionnelle. Larouche suivait principalement la progression du spécimen qui fréquentait jadis son gymnase dans un simple rôle de spectateur.

«Quand Georges s'est battu contre Jon Fitch (en août 2008), je me souviens d'avoir été émerveillé par l'athlète qu'il était devenu. J'avais peine à croire que j'observais le même petit gars que j'avais déjà vu rentrer au gym incognito, que personne ne connaissait. Je regardais ce qu'il était devenu avec le temps et j'étais impressionné.»

Améliorer la force par la technique

Larouche hérite aujourd'hui d'un pur-sang qui, bien qu'il se retrouve confronté aux obstacles psychologiques qui accompagnent inévitablement la fin d'une longue période d'inactivité et le retour à un niveau élevé de compétition, devrait théoriquement, à 31 ans, entrer dans les meilleures années de sa carrière.

St-Pierre est un athlète de pointe mû par une mécanique extrêmement bien huilée et il est clair pour tout le monde qu'aucun réglage drastique ne s'impose dans son cas.

«J'ai un rôle très précis à jouer. Georges m'a demandé d'améliorer sa boxe, c'est le mandat qu'il m'a donné, et mon but n'est pas de changer beaucoup de choses dans son jeu. À l'âge qu'il est rendu, je ne veux pas créer de doutes dans sa tête. Au contraire, je veux que ses mains sortent encore plus rapidement, je veux créer de la fluidité dans ses mouvements. C'est mon objectif. Que ses gestes soient détendus et que ça explose, qu'il finisse bien ses coups de poings. Ce sont toutes des choses fondamentales dans mon sport.»

Le nez collé sur le monde de la boxe, Larouche demeure bien au fait des critiques qui accompagnent la feuille de route de son nouvel élève. Au fil des ans, St-Pierre a déclassé un à un les aspirants à son titre, mais le fait qu'il soit généralement incapable d'en finir avant la limite - six de ses neuf dernières victoires ont nécessité la lecture de la carte des juges - a tranquillement commencé à tirer vers le fond sa cote de popularité. Plusieurs n'hésitent maintenant plus à dire que l'absence de mordant dans les frappes de «Rush» en font, malgré tous ses accomplissements, un combattant plutôt ennuyant.

«Aucun athlète, lorsqu'il est tendu, n'est capable de reproduire en compétition ce qu'il réussit à l'entraînement. Alors l'objectif, c'est d'être détendu. La meilleure manière d'améliorer ta force de frappe à ce niveau-là, c'est par la technique. Une meilleure technique équivaut à une meilleure vitesse et une meilleure vitesse équivaut à plus de potentiel de puissance. Georges est très fort physiquement. Si on parvient à combiner la vitesse dans ses mouvements, il a des chances de devenir très puissant», analyse Larouche.

«Stéphan est un pédagogue exceptionnel. Il m'enseigne vraiment la science de la boxe et m'apprend des choses que je ne connaissais pas. J'ai amélioré ma force de frappe, mon timing et mon jeu de pied, observe déjà St-Pierre. J'ai hâte de voir qu'est ce que ça va donner dans l'octogone.»

À cet effet, l'attente achève. Dix-huit mois après sa dernière présence au centre d'une foule en délire, le Québécois est à apporter les derniers préparatifs pour son grand retour. Le 17 novembre, au Centre Bell, il tentera de reprendre son dû contre Carlos Condit, qui a été désigné champion intérimaire de la division des 170 livres du UFC pendant son absence prolongée.

Parce que le style de Condit s'apparente davantage au muay thaï et au kickboxing, St-Pierre et Larouche ne se sont pas trop perdu dans les détails techniques depuis le début de leur union. Le maître enfonce ses directives générales et assure surtout un rôle de superviseur pendant que le disciple affûte sa technique dans les mitaines avec des partenaires spécifiquement choisis.

La contribution du nouvel entraîneur sort toutefois largement des limites de l'arène. «Stéphan est un intellectuel, un génie de la boxe, vante GSP. Sur vidéo, il est capable de voir beaucoup de détails chez mon adversaire que moi je ne peux pas discerner. Il m'a fait réaliser plusieurs choses. Il me fait voir des ouvertures que je n'aurais jamais vues s'il n'avait pas été là.»

Larouche retourne rapidement le compliment. «Georges est un travailleur impressionnant. Il aime souffrir à l'entraînement. Et comme ça adonne que je ne suis jamais content, on fait une belle équipe!»