MONTRÉAL - Au beau milieu de la cohue qui s'est emparée du Tristar Gym en cet après-midi de novembre, un colosse est assis discrètement et observe. Les sourcils froncés, ses pensées sont dirigées vers un point fixe au centre de la pièce et s'en approcher n'apparaît pas comme une idée qu'on proposerait à quelqu'un dont la santé nous tient à cœur.

Mais l'air austère de l'armoire à glace ne dissuade pas tout le monde. Tous ceux qui osent aller à sa rencontre sont accueillis par un regard chaleureux, un sourire amical et une franche poignée de main, et rapidement, il devient clair que la présence du gentil géant fait l'unanimité. Et qu'en fait, personne ne l'apprécie davantage que celui vers qui ce regard sérieux est braqué quand personne ne vient briser cette complicité silencieuse.

Des circonstances hors de son contrôle ont forcé Georges St-Pierre à couper ses liens habituels avec Greg Jackson le temps de son camp d'entraînement visant à le préparer pour son affrontement de samedi contre Carlos Condit. Pour remplacer le guru d'Albuquerque, GSP a décidé de ramener dans son coin son vieil ami Kristof Midoux, le mentor qui l'a initié au sport des arts martiaux mixtes il y a près d'une quinzaine d'années.

Midoux n'a pas passé les dernières semaines à Montréal pour remplacer littéralement Jackson; personne ne s'attend à ce qu'il chausse les souliers du savant stratège qui contribue depuis cinq ans à l'élaboration des plans de match de St-Pierre. Mais il n'a pas non plus quitté sa résidence de Monaco pour le simple plaisir de venir attendre l'arrivée de l'hiver québécois ou dans l'espoir narcissique de voir sa tronche à la télévision.

Vous le comprendrez en lisant entre les lignes lorsque vous aborderez le sujet avec Firas Zahabi, qui lui a ouvert toutes grandes les portes de son gymnase pour l'inclure dans son équipe. Sinon, le principal intéressé vous le répétera sans détour : il n'a pas fait tout ce chemin pour venir jouer à la meneuse de claques.

« Comprenez-moi bien, met tout de suite au clair Zahabi. Kristof est très expérimenté, mais on a beaucoup d'entraîneurs avec de l'expérience ici. Lui, il est vraiment là pour entrer dans la tête de Georges. Quand tu es près d'un coach que tu connais depuis longtemps, ça t'aide à te rappeler d'où tu viens. Kristof connaît Georges comme personne d'autre. Il sera capable d'amener son mental à son plus haut niveau. »

« Je n'ai jamais reproché à Georges l'approche conservatrice dont on l'accuse de toute part, précise Midoux. C'est son choix : il veut conserver sa carrière, faire les choses intelligemment. Mais à un moment donné, il faut qu'il prenne conscience qu'il doit exploser un peu et c'est expressément pour ça que je suis ici. Je suis là pour le faire dévier un peu de son planning. Dans sa tête, il va peut-être vouloir y aller pour cinq rounds, mais il est largement capable de le battre en deux ou trois. Ce gars-là (Condit) ne devrait pas être de taille devant Georges. »


Kristof Midoux sera de retour dans le coin de GSP.

St-Pierre a terminé seulement trois de ses neuf derniers combats avant la limite. En écoutant bien, on se dit qu'il est possible, après tout, que la statistique n'agace pas seulement ceux qui suivent sa carrière de l'extérieur.

« Tous les autres entraîneurs qui sont autour de Georges sont des gars que je respecte vraiment beaucoup et je ne veux pas aller à l'encontre de ce qu'ils lui disent. Il a besoin de chacun d'entre eux, met au clair Midoux. Mais ça, c'est la petite parole que je laisserai dans son oreille avant qu'il entre dans la cage. Ce sera à lui de décider de le faire ou pas, mais je sais qu'il va m'écouter. »

À 70 % de son plein potentiel

Peu importe où ont lieu les retrouvailles, Midoux reconnaît toujours son vieux pote lorsque les deux ont la chance d'être de passage dans la même ville. Ils vont peut-être réserver une table dans un restaurant décent plutôt que de se partager quelques bananes, comme ils devaient le faire à une époque où leurs moyens étaient plus modestes, mais les discussions seront les mêmes. Ils parleront de bouffe, de filles, de voyages et jamais le Français n'aura l'impression que le succès est monté à la tête du petit Québécois qu'il a pris sous son aile.

Midoux regarde avec beaucoup de fierté l'homme intègre et loyal qu'est devenu l'adolescent à qui il a jadis accepté de donner une chance. Mais si seulement il pouvait lui faire comprendre que toutes ses qualités ne sont pas nécessairement bonnes à intégrer dans son travail! Comme cette sacrée humilité qui, croit-il, le ralentit et l'empêche d'offrir des performances à la hauteur de son talent.

« Jamais il ne va parler de lui-même en bien. Il voit les qualités des autres, mais il ne voit pas les siennes, ne peut comprendre Midoux. Souvent, il va me dire "Aujourd'hui, je me suis entraîné avec un tel et il est très fort!", mais je dois toujours lui répondre "Oui Georges, mais tu l'as défoncé!". C'est incroyable que je doive encore lui faire réaliser ce genre de truc. »

Midoux est du genre à appeler un chat un chat et la partisanerie aveugle n'est pas sa tasse de thé. Il ne mettra pas non plus de gants blancs pour vous faire un reproche, une franchise qui explique peut-être pourquoi il a survécu à tous les ménages que St-Pierre a dû faire pour assainir son entourage au cours des années.

« Jamais je ne vais lui mentir. S'il sort du sparring et que je n'ai pas aimé ce que j'ai vu, je vais lui dire. "C'était naze, zéro!" Et je sais que ça va le choquer. Il va me dire que je suis dur avec lui, mais je vais lui répondre "Me parle pas. C'était nul, tu n'as pas touché, c'était un combat de pédé!" » Alors il sait que je ne lui mens pas. Je ne suis pas ici pour l'argent ou pour être l'ami d'une vedette. Moi, je viens ici pour Georges St-Pierre. Le nouveau GSP dont tout le monde veut un morceau, je m'en balance. »

Si les arts martiaux mixtes n'étaient qu'une démonstration de qualités athlétiques, Midoux conseillerait gentiment aux adversaires de St-Pierre de ne même pas se présenter au concours. Physiquement, celui qui montre une fiche de 22-2 en carrière n'a pas son égal, croit son grand frère spirituel. Mais il y a place à amélioration.

« Pour moi, Georges est à 70 % ou 80 % de son potentiel, estime Midoux. Il peut encore développer beaucoup de choses. Il est fort, résistant, endurant, mais mon travail, c'est de lui faire reconnaître ses propres forces et de l'inciter à se présenter à 100 % dans ses combats. S'il démontre réellement qui il est, aucun adversaire ne pourra faire cinq rounds avec lui. S'il se battait comme le surnom qu'on lui a donné, « Rush », s'il le voulait vraiment, il détruirait n'importe qui en deux ou trois rounds maximum. »

« Putain, tu me rends méchant! »

Le salut de reconnaissance avant chaque combat. Le complet veston-cravate pour rencontrer les médias. Un vocabulaire dénudé de juron, dans les deux langues qu'il maîtrise, lors de ses innombrables apparitions publiques. Georges St-Pierre se qualifie fièrement comme un gentleman.

C'est un côté de sa personnalité que Midoux apprécie, mais qu'il aimerait bien courber un peu.

« Je dois lui apporter cette force, cette agressivité dont il a besoin pour contrebalancer le respect qu'il a pour tout le monde, dit-il sur un ton calme, mais insistant. Je veux lui faire comprendre que lui seul se voit comme un bon gars. Je suis là pour développer cette rage. Et il le sait, il le voit. Depuis un certain temps, après ses entraînements il me dit "Putain Kristof, tu me fais défoncer tout le monde, tu me rends méchant!". »

« Mais c'est ça mon rôle, conclut le sympathique cousin. Peu de gens connaissent vraiment Georges. Moi je peux vous dire que si ce gars-là s'énerve pour vrai, au niveau technique où il est rendu, ça peut être dangereux. »