Grand Prix d'Europe à Valence. On s'est fait voler !

Non, je ne parle pas au nom des gens de Ferrari. Je parle au nom de tous les amateurs de F1, tous les téléspectateurs, qui n'ont pu assister à ce qui s'annonçait une course enlevante entre Sebastian Vettel, Lewis Hamilton et Fernando Alonso.

L'injustice créée par le déploiement de la Voiture de sécurité a choqué plusieurs amateurs et suscité beaucoup d'interrogations, notamment de la part de France Hébert d'Edmunston, Patrice Lacroix de Hearst et François-Xavier Hébert-Lupien de Ste-Julie.

Rappel des faits. À la suite de l'accident Webber-Kovalainen, le directeur de course décide de neutraliser l'épreuve.

La Voiture de sécurité s'élance au début du 10e tour. Elle sort des puits tout juste après le passage du meneur Sebastian Vettel, qui va donc faire un tour à bonne vitesse avant d'aller aux puits et ressortir toujours premier. À bonne vitesse ? Il doit quand même respecter le temps imparti pour chacun des trois secteurs, selon une donnée précise qui s'affiche automatiquement sur son volant. Cela empêche les pilotes de rouler trop rapidement durant une période de neutralisation.

Lewis Hamilton est deuxième en piste. En arrivant dans la première courbe au niveau de la sortie des puits, il aperçoit la Voiture de sécurité à sa droite. Il lève le pied, puis accélère à nouveau. En fait, il ne sait pas s'il a passé la ligne blanche qui traverse la piste à cet endroit. Cette “première ligne de safety car” détermine ce qu'un pilote doit faire : s'il est devant la Voiture de sécurité au moment de la franchir, il peut y rester; sinon il doit se ranger derrière elle.

Hamilton est tout juste derrière (deux mètres ?) mais passe quand même. Soyons honnêtes : il est assurément très difficile pour un pilote assis très bas dans une monoplace de Formule Un de bien apercevoir cette ligne.

Donc Hamilton, tout comme Vettel, file à bonne vitesse vers les puits et ressort toujours deuxième.

Là où ça se gâte, c'est pour les Ferrari de Fernando Alonso et Felipe Massa, respectivement 3e et 4e. Ils roulent dans la ligne droite devant les puits lorsque la course est neutralisée (ils en sont avertis par un signal sur leur volant, en plus des drapeaux jaunes et des panneaux SC autour du circuit). Ils aperçoivent la Voiture de sécurité qui roule devant eux et se rangent derrière.

Les pilotes de la Scuderia vont alors effectuer un tour très lent. Ce n'est qu'au virage 13, une fois passé le lieu de l'accident de Webber, que la Voiture de sécurité leur donne l'autorisation de passer devant. Alonso et Massa se dirigent alors aux puits et vont ressortir dans le gros du peloton. Maintenant 10e et 17e, leur course est ruinée.

Pourquoi ont-ils perdus des positions ? Parce que le peloton qui suivait les meneurs (soit les pilotes classés 5e, 6e, 7e, etc) a reçu le message de la neutralisation de la course AVANT d'arriver dans le DERNIER virage. Ils ont eu l'occasion d'entrer tout de suite aux puits, sans avoir à rouler très lentement derrière la Voiture de sécurité.

C'est ainsi que, derrière le trio Vettel-Hamilton-Kobayashi (qui ne s'est pas arrêté), on retrouvait Button-Barrichello-Kubica-Buemi-Sutil-Hulkenberg devant Alonso ! Puis six autres voitures devant Massa ! Catastrophe pour Ferrari !

Alonso, dans tous ses états, dénonce la manœuvre de Hamilton à son écurie, qui en fait part au directeur de course, Charlie Whiting. Puis ce dernier alerte les quatre Commissaires sportifs de l'événement. Comme on le constate, il y a une procédure à suivre qui gruge les minutes.

La décision tombe au 25e tour: pénalité de passage aux puits pour Hamilton, qui ne peut couvrir plus de deux tours avant d'obtempérer. Le pilote britannique signe le meilleur tour en course (à ce moment) avant d'entrer au 27e tour.

Depuis la relance au 15e tour, Hamilton a eu le temps de se construire une avance de plus de 13 secondes sur Kobayashi. Comme un passage aux puits coûte 13-14 secondes à Valence, Hamilton purge sa pénalité à 60 km/h dans la voie des puits et ressort toujours en 2e place !

S'ensuit une communication radio entre Alonso et son équipe : à quelle position était Hamilton avant sa pénalité ? À quelle position est-il actuellement ? L'Espagnol n'a pas apprécié la réponse !

Alors, y a-t-il eu une quelconque erreur dans toute cette affaire ? Peut-on y déceler une quelconque manigance ? Pas du tout !

Le règlement stipule que la Voiture de sécurité doit entrer en piste dès que possible, sans tenir compte de l'endroit où se trouve le meneur de la course. À Valence, le hasard a fait qu'elle s'est retrouvée entre Vettel et Hamilton. La malchance a fait que les deux pilotes Ferrari se sont retrouvés au pire endroit à ce moment-là.

Une fois entrée en piste, la Voiture de sécurité doit laisser le peloton la dépasser jusqu'à ce que le leader se trouve juste derrière elle. Après avoir passé la zone de l'accident Webber-Kovalainen, la Voiture de sécurité a permis aux Ferrari, puis aux autres concurrents jusqu'à Vettel, de la dépasser. Encore là pas de magouille.

Hamilton a-t-il été puni trop tardivement ? 15 tours, 26 minutes, c'est à la fois beaucoup (le tiers de la course) et peu, compte tenu qu'il faut quand même trouver le bon segment vidéo, bien le regarder, prendre une décision et déterminer d'une pénalité (au choix des commissaires). Un peu longuet, mais pas matière à enquête.

Les amateurs de course ont donc été privés d'une bagarre Vettel-Hamilton-Alonso par le seul fait du hasard ? Oui !

Alors, pourquoi se plaindre ?

Parce qu'une telle situation pourrait facilement être évitée, pour le plus grand bien du sport.

Le problème, c'est l'alinéa 10 de l'article 40 du règlement sportif : lorsque la Voiture de sécurité est en piste, les voitures peuvent entrer aux puits.

L'issue de la course peut dès lors se décider au petit bonheur la chance. Si vous êtes bien placés, tant mieux. Si vous êtes mal placés, tant pis.

Qu'il y ait de l'imprévu (de la pluie, par exemple), d'accord; les pilotes doivent faire avec. Mais il ne faut pas que la course devienne un jeu de hasard. Pas sérieux pour un championnat du monde de haut niveau.

La FIA avait pourtant résolu ce problème en 2007 avec ce règlement : interdiction d'entrer aux puits pour ravitailler, tant que toutes les voitures en piste n'étaient pas alignées derrière la Voiture de sécurité.

Avec ce règlement, à Valence, Vettel-Hamilton-Alonso seraient entrés et sortis des puits en séquence. Ils auraient été soudés l'un à l'autre lors de la relance de la course au 15e tour. Avec des pneus neufs, avec un comportement de voiture différent, la suite aurait pu être passionnante.

Vous allez me dire : s'il était si merveilleux ce règlement, pourquoi l'a-t-on abandonné en 2009 ?

Parce qu'à l'époque, il y avait UN problème avec ce règlement. Si une voiture n'avait pas suffisamment de carburant à bord pour attendre que les puits soient ouverts, elle n'avait pas le choix d'aller ravitailler et d'encaisser une pénalité de passage aux puits. Suffisait qu'une période de neutralisation soit déclarée tout juste avant un ravitaillement prévu pour un pilote pour que celui-ci voit sa course ruinée.

Parlez-en à Robert Kubica : 4e en début de course à Singapour en 2008, il a dû ravitailler au 17e tour durant une neutralisation. Conséquence après la pénalité: 18e et dernier.

Mais ce seul et unique problème n'existe plus, avec l'interdiction des ravitaillements. Tout le monde a de l'essence !

Il y a donc une solution pour empêcher les injustices comme celle subie par les pilotes Ferrari à Valence : ramener ce règlement des puits fermés jusqu'à ce que toutes les voitures soient regroupées derrière la Voiture de sécurité. Point barre.

Dernier sujet : la pénalité de seulement 5 secondes décernée à neuf pilotes après la course, pour avoir roulé trop rapidement au début de la période de neutralisation.

Je crois que Jenson Button a fourni toute l'explication nécessaire lors de la conférence de presse d'après-course. Il roulait à fond dans le Secteur 3, tout en courbes, lorsque le signal de la Voiture de sécurité est apparu sur son volant. Comme il est impossible de sauter sur les freins en plein virage, il a effectivement complété trop rapidement le Secteur 3 avant d'entrer aux puits, mais de façon bien involontaire.

D'où l'indulgence manifestée par les Commissaires sportifs, dont l'ex-pilote de F1 Heinz-Harald Frentzen faisait partie en fin de semaine.