Ferrari était dans son droit
Course dimanche, 25 juil. 2010. 21:57 samedi, 14 déc. 2024. 09:58
Par Bertrand Houle - Je sais que je ne vais pas plaire à plusieurs mais, dans le monde impitoyable de la compétition de haut niveau, Ferrari était dans son droit, en Allemagne, de demander à ses pilotes de changer de position.
Est-ce que cela me plait? NON. J'aime mieux les écuries qui laissent leurs pilotes s'expliquer en piste (McLaren, Red Bull peut-être).
Mais voici l'argumentation.
(j'écarte pour l'instant la question du favoritisme dont bénéficie Fernando Alonso, pour y revenir plus tard).
Mon argument: Ferrari avait le droit de s'assurer d'obtenir une victoire.
Felipe Massa, après avoir chaussé les pneus à gomme dure, était moins rapide que son coéquipier Fernando Alonso.
La preuve? une fois passé devant au 49e tour, l'Espagnol s'est rapidement éloigné du Brésilien (3,6s en dix tours). Ce dernier s'est fait rattraper par Sebastian Vettel, qui a réduit l'écart à 1,022s seconde au 61e tour. Or, Massa avait tout à gagner à s'efforcer de rester devant la Red Bull, afin de démontrer au monde entier que son écurie n'avait pas besoin de demander un changement de position.
Mais Massa a raté sa démonstration: Vettel constituait bel et bien une menace pour le doublé Ferrari. Il aurait très bien pu rejoindre Alonso (ralenti par Massa) et le dépasser sur une piste où cela peut se faire. Puis refaire la même opération avec Massa. On peut même dire que les ingénieurs Ferrari ont bien fait leur travail en prédisant une baisse du niveau de performance de Massa.
Les deux pilotes Ferrari auraient pu descendre d'une marche sur le podium. De plus, la Scuderia aurait donné de précieux points à Vettel dans la course au titre.
Il y avait en Allemagne des circonstances particulières, qui faisaient que l'écurie Ferrari était en droit de donner des instructions à ses pilotes pour assurer la victoire et, si possible, le doublé.
Est-ce que c'est cruel pour Massa ? Oui, bien sûr. Mais cela fait partie de l'univers d'une équipe de Formule Un qui joue le titre.
Par ailleurs, il faut souligner que Ferrari a très mal géré cette situation. Massa a reçu la communication radio de son écurie au 48e tour alors qu'il roulait 6,050 secondes devant Vettel (écart de 7,043s sept tours plus tôt). Si l'écurie avait attendu que l'écart se réduise à 2 secondes, je crois que la décision de Ferrari aurait été plus facile à vendre aux amateurs de course.
Inutile de dire que je ne tiendrais pas le même discours si les deux voitures rouges avaient circulé toutes seules en avant. Un changement de position aurait alors été inacceptable.
C'est d'ailleurs ce qui s'était produit au Grand Prix d'Autriche 2002, alors que les Ferrari de Rubens Barrichello et Michael Schumacher roulaient 17 secondes devant Juan Pablo Montoya (Williams) en 3e place. Dans le dernier tour, sur ordre express du patron Jean Todt, Barrichello avait laissé passer son coéquipier pour le favoriser dans la course au titre, alors qu'on en était au 6e des 17 Grands Prix de la saison.
La très grande majorité des amateurs de F1 (dont je faisais partie) s'étaient indignés de cette manœuvre. C'est cet incident qui a poussé la FIA à créer un règlement pour interdire de telles manœuvres.
Article 39.1 du Règlement sportif du Championnat du monde de Formule Un : « toute consigne d'équipe interférant avec le résultat d'une course est interdite ».
Le texte est clair. Pourtant, depuis l'adoption de ce règlement, plusieurs manoeuvres du genre se sont produites et n'ont pas été sanctionnées. De toute évidence, pour la FIA, le règlement laisse place à l'interprétation.
Je vous soumets une définition avancée par Ron Dennis, alors qu'il était le patron chez McLaren : au concept des consignes d'équipe, il oppose le concept de « stratégie d'équipe, utilisée pour gagner un Grand Prix ».
Examinons quelques cas d'espèces.
Monaco 2007
Lewis Hamilton (2e) se plaint après la course que McLaren lui a demandé de ne pas attaquer son coéquipier Fernando Alonso, meneur de l'épreuve.
McLaren a expliqué qu'elle avait le droit d'agir ainsi afin de se préserver d'une éventuelle intervention de la voiture de sécurité.
Après enquête, la FIA a exonéré McLaren. Dans son jugement, elle a même déclaré : l'objectif premier d'une écurie est que l'un de ses pilotes remporte la course. Si cet objectif peut être atteint, elle tentera ensuite d'amener son autre voiture à la deuxième place. N'est-ce pas ce que Ferrari a fait à Hockenheim ?
Brésil 2007
Dernière course de la saison. Massa (Ferrari) domine devant son public, son coéquipier Kimi Raikkonen est deuxième et Alonso (alors chez McLaren) troisième. Ce résultat aurait donné le titre à Alonso. Il est clair que Massa s'est sacrifié pour que son coéquipier passe en tête et soit couronné champion. La manoeuvre a été camouflée lors d'un arrêt aux puits, mais personne n'a été dupe. Mais personne, non plus, n'a trouvé à redire sur ce geste fort compréhensible compte tenu de l'enjeu.
Canada 2008
Nick Heidfeld est sur une stratégie d'un seul arrêt. Après son passage aux puits, il revient en piste devant son coéquipier Robert Kubica qui est sur une stratégie de deux arrêts. Dans le but de ne pas nuire à la stratégie du Polonais (qui doit rouler à fond de train car il a un arrêt de plus à effectuer), l'équipe BMW demande à Heidfeld de ne pas défendre sa position et de le laisser passer. Ce qui fut fait. Résultat de la course ? Kubica premier, Heidfeld deuxième. Acceptable compte tenu que Heidfeld n'avait pas à interférer avec la stratégie de son coéquipier. Face à un pilote d'une autre écurie, il aurait sûrement été difficile à dépasser.
France 2008
Heikki Kovalainen (McLaren) laisse passer son coéquipier Lewis Hamilton (parti 13e à la suite d'une pénalité au Grand Prix précédent) au 5e tour pour ne pas nuire à sa remontée
Allemagne 2008
Heikki Kovalainen (McLaren) laisse passer son coéquipier Lewis Hamilton au 52e tour pour gentiment lui donner la 4e place qui allait ultimement devenir la 1ère place
Comme on le constate, les stratégies d'équipe ont continué d'exister malgré le règlement 39.1 et ce, même au sein de la plus blanche que neige écurie McLaren.
Difficile de jeter l'opprobre sur Ferrari car il ne s'agit pas d'un cas isolé. Le malheur de Ferrari aura été d'avoir agi au su de tous. En effet, il n'est plus possible de se servir des ravitaillements en course pour opérer à des changements de position entre coéquipiers.
Alonso numéro 1 chez Ferrari
Pour faire place à Fernando Alonso, l'écurie Ferrari s'est débarrassé de Kimi Raikkonen, en rachetant la dernière année de son contrat (en échange de la moitié de son salaire estimée à 30 millions de dollars américains).
De toute évidence, la Scuderia était convaincue qu'elle devait absolument disposer des services de l'Espagnol pour conquérir un titre face à McLaren, Red Bull et Brawn devenue Mercedes.
En début de saison, Ferrari a démontré un fair-play envers ses pilotes.
En Australie, Alonso se retrouve derrière Massa au 28e tour. Il porte une attaque au passage suivant, mais en vain. Il va passer les 29 derniers tours de l'épreuve blotti sous l'aileron arrière du Brésilien. Alonso communique par radio avec son écurie : je suis plus rapide que Felipe, laissez moi passer devant. L'écurie avait alors choisi de ne pas intervenir.
Alonso, lui, réagit rapidement. Quelques jours plus tard, il convoque une rencontre au sommet avec les patrons. Il leur explique son point de vue : si vous souhaitez un titre mondial, vaut mieux mettre tous les œufs dans le même pied. Le sien.
Deux Grands Prix plus tard, en Chine, on comprend que le message est passé.
Les deux pilotes Ferrari se dirigent ensemble vers les puits, Massa devant Alonso. Ce dernier plonge à l'intérieur dans le virage très serré qui mène aux puits, poussant ainsi carrément Massa dans le gazon. Geste totalement inacceptable envers un coéquipier. Ferrari n'a rien dit. Alonso est bel et bien le pilote numéro 1 de la Scuderia.
Deux mois plus tard, Ferrari annonce une prolongation de contrat pour Massa, portant sur 2011-2012. Comme pour le remercier de sa compréhension. Le contrat comprendrait d'ailleurs une « clause Barrichello », à savoir être au service de l'écurie. Comme en Allemagne.
Oui c'est cruel pour Massa. Mais a-t-il vraiment été surpris ?
Pour terminer, une anecdote sur l'affaire de l'aileron avant de la Red Bull en Grande-Bretagne. Rappelez-vous, l'écurie n'avait que deux exemplaires, l'un pour Vettel, l'autre pour Webber. Celui de Vettel a été endommagé le samedi matin, et l'écurie décide d'enlever celui installé sur la RB6 de Webber pour le placer sur la voiture de Vettel pour la suite du week-end. Raisonnement : c'est l'Allemand qui est le mieux placé au classement. Plusieurs s'indignent. Un ex-directeur technique très réputé a pour sa part déclaré : à leur place, j'aurais donné les deux ailerons à Vettel, tant pis pour Webber!
Dans le monde de la F1, qu'on le veuille ou non, la fin (un titre mondial) justifie les moyens
Est-ce que cela me plait? NON. J'aime mieux les écuries qui laissent leurs pilotes s'expliquer en piste (McLaren, Red Bull peut-être).
Mais voici l'argumentation.
(j'écarte pour l'instant la question du favoritisme dont bénéficie Fernando Alonso, pour y revenir plus tard).
Mon argument: Ferrari avait le droit de s'assurer d'obtenir une victoire.
Felipe Massa, après avoir chaussé les pneus à gomme dure, était moins rapide que son coéquipier Fernando Alonso.
La preuve? une fois passé devant au 49e tour, l'Espagnol s'est rapidement éloigné du Brésilien (3,6s en dix tours). Ce dernier s'est fait rattraper par Sebastian Vettel, qui a réduit l'écart à 1,022s seconde au 61e tour. Or, Massa avait tout à gagner à s'efforcer de rester devant la Red Bull, afin de démontrer au monde entier que son écurie n'avait pas besoin de demander un changement de position.
Mais Massa a raté sa démonstration: Vettel constituait bel et bien une menace pour le doublé Ferrari. Il aurait très bien pu rejoindre Alonso (ralenti par Massa) et le dépasser sur une piste où cela peut se faire. Puis refaire la même opération avec Massa. On peut même dire que les ingénieurs Ferrari ont bien fait leur travail en prédisant une baisse du niveau de performance de Massa.
Les deux pilotes Ferrari auraient pu descendre d'une marche sur le podium. De plus, la Scuderia aurait donné de précieux points à Vettel dans la course au titre.
Il y avait en Allemagne des circonstances particulières, qui faisaient que l'écurie Ferrari était en droit de donner des instructions à ses pilotes pour assurer la victoire et, si possible, le doublé.
Est-ce que c'est cruel pour Massa ? Oui, bien sûr. Mais cela fait partie de l'univers d'une équipe de Formule Un qui joue le titre.
Par ailleurs, il faut souligner que Ferrari a très mal géré cette situation. Massa a reçu la communication radio de son écurie au 48e tour alors qu'il roulait 6,050 secondes devant Vettel (écart de 7,043s sept tours plus tôt). Si l'écurie avait attendu que l'écart se réduise à 2 secondes, je crois que la décision de Ferrari aurait été plus facile à vendre aux amateurs de course.
Inutile de dire que je ne tiendrais pas le même discours si les deux voitures rouges avaient circulé toutes seules en avant. Un changement de position aurait alors été inacceptable.
C'est d'ailleurs ce qui s'était produit au Grand Prix d'Autriche 2002, alors que les Ferrari de Rubens Barrichello et Michael Schumacher roulaient 17 secondes devant Juan Pablo Montoya (Williams) en 3e place. Dans le dernier tour, sur ordre express du patron Jean Todt, Barrichello avait laissé passer son coéquipier pour le favoriser dans la course au titre, alors qu'on en était au 6e des 17 Grands Prix de la saison.
La très grande majorité des amateurs de F1 (dont je faisais partie) s'étaient indignés de cette manœuvre. C'est cet incident qui a poussé la FIA à créer un règlement pour interdire de telles manœuvres.
Article 39.1 du Règlement sportif du Championnat du monde de Formule Un : « toute consigne d'équipe interférant avec le résultat d'une course est interdite ».
Le texte est clair. Pourtant, depuis l'adoption de ce règlement, plusieurs manoeuvres du genre se sont produites et n'ont pas été sanctionnées. De toute évidence, pour la FIA, le règlement laisse place à l'interprétation.
Je vous soumets une définition avancée par Ron Dennis, alors qu'il était le patron chez McLaren : au concept des consignes d'équipe, il oppose le concept de « stratégie d'équipe, utilisée pour gagner un Grand Prix ».
Examinons quelques cas d'espèces.
Monaco 2007
Lewis Hamilton (2e) se plaint après la course que McLaren lui a demandé de ne pas attaquer son coéquipier Fernando Alonso, meneur de l'épreuve.
McLaren a expliqué qu'elle avait le droit d'agir ainsi afin de se préserver d'une éventuelle intervention de la voiture de sécurité.
Après enquête, la FIA a exonéré McLaren. Dans son jugement, elle a même déclaré : l'objectif premier d'une écurie est que l'un de ses pilotes remporte la course. Si cet objectif peut être atteint, elle tentera ensuite d'amener son autre voiture à la deuxième place. N'est-ce pas ce que Ferrari a fait à Hockenheim ?
Brésil 2007
Dernière course de la saison. Massa (Ferrari) domine devant son public, son coéquipier Kimi Raikkonen est deuxième et Alonso (alors chez McLaren) troisième. Ce résultat aurait donné le titre à Alonso. Il est clair que Massa s'est sacrifié pour que son coéquipier passe en tête et soit couronné champion. La manoeuvre a été camouflée lors d'un arrêt aux puits, mais personne n'a été dupe. Mais personne, non plus, n'a trouvé à redire sur ce geste fort compréhensible compte tenu de l'enjeu.
Canada 2008
Nick Heidfeld est sur une stratégie d'un seul arrêt. Après son passage aux puits, il revient en piste devant son coéquipier Robert Kubica qui est sur une stratégie de deux arrêts. Dans le but de ne pas nuire à la stratégie du Polonais (qui doit rouler à fond de train car il a un arrêt de plus à effectuer), l'équipe BMW demande à Heidfeld de ne pas défendre sa position et de le laisser passer. Ce qui fut fait. Résultat de la course ? Kubica premier, Heidfeld deuxième. Acceptable compte tenu que Heidfeld n'avait pas à interférer avec la stratégie de son coéquipier. Face à un pilote d'une autre écurie, il aurait sûrement été difficile à dépasser.
France 2008
Heikki Kovalainen (McLaren) laisse passer son coéquipier Lewis Hamilton (parti 13e à la suite d'une pénalité au Grand Prix précédent) au 5e tour pour ne pas nuire à sa remontée
Allemagne 2008
Heikki Kovalainen (McLaren) laisse passer son coéquipier Lewis Hamilton au 52e tour pour gentiment lui donner la 4e place qui allait ultimement devenir la 1ère place
Comme on le constate, les stratégies d'équipe ont continué d'exister malgré le règlement 39.1 et ce, même au sein de la plus blanche que neige écurie McLaren.
Difficile de jeter l'opprobre sur Ferrari car il ne s'agit pas d'un cas isolé. Le malheur de Ferrari aura été d'avoir agi au su de tous. En effet, il n'est plus possible de se servir des ravitaillements en course pour opérer à des changements de position entre coéquipiers.
Alonso numéro 1 chez Ferrari
Pour faire place à Fernando Alonso, l'écurie Ferrari s'est débarrassé de Kimi Raikkonen, en rachetant la dernière année de son contrat (en échange de la moitié de son salaire estimée à 30 millions de dollars américains).
De toute évidence, la Scuderia était convaincue qu'elle devait absolument disposer des services de l'Espagnol pour conquérir un titre face à McLaren, Red Bull et Brawn devenue Mercedes.
En début de saison, Ferrari a démontré un fair-play envers ses pilotes.
En Australie, Alonso se retrouve derrière Massa au 28e tour. Il porte une attaque au passage suivant, mais en vain. Il va passer les 29 derniers tours de l'épreuve blotti sous l'aileron arrière du Brésilien. Alonso communique par radio avec son écurie : je suis plus rapide que Felipe, laissez moi passer devant. L'écurie avait alors choisi de ne pas intervenir.
Alonso, lui, réagit rapidement. Quelques jours plus tard, il convoque une rencontre au sommet avec les patrons. Il leur explique son point de vue : si vous souhaitez un titre mondial, vaut mieux mettre tous les œufs dans le même pied. Le sien.
Deux Grands Prix plus tard, en Chine, on comprend que le message est passé.
Les deux pilotes Ferrari se dirigent ensemble vers les puits, Massa devant Alonso. Ce dernier plonge à l'intérieur dans le virage très serré qui mène aux puits, poussant ainsi carrément Massa dans le gazon. Geste totalement inacceptable envers un coéquipier. Ferrari n'a rien dit. Alonso est bel et bien le pilote numéro 1 de la Scuderia.
Deux mois plus tard, Ferrari annonce une prolongation de contrat pour Massa, portant sur 2011-2012. Comme pour le remercier de sa compréhension. Le contrat comprendrait d'ailleurs une « clause Barrichello », à savoir être au service de l'écurie. Comme en Allemagne.
Oui c'est cruel pour Massa. Mais a-t-il vraiment été surpris ?
Pour terminer, une anecdote sur l'affaire de l'aileron avant de la Red Bull en Grande-Bretagne. Rappelez-vous, l'écurie n'avait que deux exemplaires, l'un pour Vettel, l'autre pour Webber. Celui de Vettel a été endommagé le samedi matin, et l'écurie décide d'enlever celui installé sur la RB6 de Webber pour le placer sur la voiture de Vettel pour la suite du week-end. Raisonnement : c'est l'Allemand qui est le mieux placé au classement. Plusieurs s'indignent. Un ex-directeur technique très réputé a pour sa part déclaré : à leur place, j'aurais donné les deux ailerons à Vettel, tant pis pour Webber!
Dans le monde de la F1, qu'on le veuille ou non, la fin (un titre mondial) justifie les moyens