Est-ce la fin des souffleries en Formule Un?

Rappel : le développement aérodynamique d’une Formule Un se fait de deux manières, soit par l’analyse sur ordinateur (CFD *) et par l’analyse d’un modèle réduit de la voiture (60 %) dans une soufflerie.

Dans le but de réduire les coûts, l’utilisation des souffleries est de plus en plus restreinte. Elles ont déjà fonctionné 24 heures par jour 7 jours par semaine. L’utilisation est maintenant réduite à 25 heures par semaine. L’usage de la CFD est limité à 25 téraflops.

Avec l’évolution de la CFD, certains ont commencé à se demander si la soufflerie ne devenait pas un outil superflu. Pouvait-on s’en passer?

Une première expérience en F1 fut tentée par l’écurie Virgin, qui a fait son entrée en 2010. Cette écurie avait l’ambition de prouver que l’on pouvait se passer d’une soufflerie pour la conception et le développement d’une F1. De montrer la voie du futur.

L’expérience ne fut pas concluante : manque de moyens? Technologie CFD pas encore assez puissante? Après 18 mois, l’écurie a commencé à louer du temps de soufflerie.

Les bureaux d’études F1 ont continué d’utiliser en parallèle les deux outils, CFD et soufflerie.

Puis, face à la démesure des budgets, des idées ont commencé à circuler sur les façons de réduire les coûts.

L’aspect financier de construire et/ou rénover régulièrement une soufflerie, plus les frais d’exploitation, constituent un secteur financier important.

Une nouvelle soufflerie coûte 50 M€ (75 M$). Les coûts d’opérations : 1,3 M€ (2 M$) par mois. La CFD coûte à peu près le dixième.

Depuis l’automne 2013, Bob Fernley, directeur de l’écurie Force India, parle d’une interdiction totale de l’utilisation des souffleries en F1 afin de réduire les budgets des écuries.

Évidemment, personne ne l’a écouté. Après tout, Force India n’est pas une grande équipe.

De façon surprenante, l’idée de Fernley a été reprise au cours de l’hiver dernier par nul autre que Christian Horner. Hé oui, le directeur de l’écurie Red Bull, qui s’est toujours opposée aux mesures de réduction des coûts (pas une priorité quand on a un budget faramineux…). Donnons-lui le crédit d’avoir eu le culot de changer d’avis!

Les deux ont défendu l’idée d’abolir les souffleries dans le cadre de la conférence de presse FIA en Malaisie en avril dernier.

« L’un des arguments avancés pour ne pas se débarrasser des souffleries est que la Formule Un est le summum du sport automobile et doit donc utiliser tous les outils de l’industrie automobile, comme les souffleries. Au contraire, si la Formule Un est le summum du sport automobile, elle devrait en repousser les limites. Pour nous, l’ultime frontière technologique est la CFD, tout comme nous avons repoussé les limites avec les groupes propulseurs hybrides. En F1, il faut innover. Continuer d’utiliser une technologie de dinosaure ne devrait pas être une option. Et sur le plan environnemental, nous envoyons un bien mauvais message. Ces installations consomment des quantités gigantesques d’électricité. » - Fernley

« L’un des aspects intouchables de la Formule Un semble être les souffleries. Red Bull possède un département aérodynamique solide. Nous avons une bonne soufflerie dans laquelle nous avons beaucoup investi au fil des ans. Mais si l’on prend en considération tout l’argent englouti dans le fonctionnement de cette soufflerie par rapport à un besoin de réduire les coûts, il faut peut-être y penser et se dire : il est temps de s’en débarrasser… Il faudrait ensuite réglementer la capacité de la CFD, tout en rédigeant des règlements moins contraignants pour donner plus de place à l’ingéniosité. Je crois que cela aboutirait à des voitures de formes différentes. Comme nous procédons tous à des programmes de développement similaires en soufflerie, si les voitures étaient toutes peintes de la même couleur, je pense qu’il serait très difficile de les différencier. Plus de liberté sur le plan technique mais avec des outils limités, voilà une approche positive pour réduire les coûts en Formule Un. » - Horner

Lors de la conférence de presse FIA au Grand Prix suivant, en Chine, les « traditionnalistes » ont vivement réagi.

Pat Symonds, directeur de la technologie de l’écurie Williams : « je crois qu’il s’agit clairement d’une déclaration ridicule et provocatrice. »

James Allison, directeur technique de Ferrari : « je crois qu’il ne faut pas trop s’en faire avec notre utilisation d’une soi-disante technologie de dinosaure ».

Devant une telle levée de boucliers, difficile de croire que cette idée avait de l’avenir. D’ailleurs elle n’a pas été mentionnée dans les propositions du Groupe stratégie lors des réunions du 14 mai et du 1er juillet.

Rappel : le Groupe Stratégie regroupe les grandes écuries (Ferrari, McLaren, Red Bull, Mercedes), une écurie historique (Williams) et la meilleure des autres (Force India cette année), ainsi que la FOM et la FIA. Ce groupe émet des propositions qui sont ensuite soumis pour approbation à la Commission F1 puis au Conseil mondial du sport automobile.

Surprise : cette idée vient de réapparaître!

Elle a fait l’objet de discussions lors de la dernière réunion du Groupe Stratégie, le lundi 14 septembre dernier. Avec comme échéancier envisagé 2017 (nouveau règlement technique) ou, plus probablement, 2020. Donc discussions seulement pour le moment, il n’y a rien de décidé.

À nouveau, l’idée suscite de vives réactions.

Lors de la conférence de presse FIA du Grand Prix de Singapour, les « traditionnalistes » sont à nouveau montés au front.

Monisha Kaltenborn (directrice écurie Sauber), Franz Tost (directeur Toro Rosso), Claire Williams (Williams) et Toto Wolff (directeur Mercedes) se sont fermement opposés à l’idée.

Mais dans les paddocks fusait une autre voix. Éric Boullier, directeur sportif de l’écurie McLaren, envisage carrément la disparition des souffleries à moyen terme si on permet à la technologie de la CFD de se développer.

Une guerre de propagande semble s’installer entre les pour et les contre.

D’un côté…

Pat Symonds (Williams) : «  la Formule Un a contribué à l’amélioration de la CFD. »

James Allison (Ferrari) : « en tant qu’industrie, nous avons fait progresser les outils de la CFD. »

De l’autre…

Éric Boullier (McLaren) : « nous n’utilisons pas la toute dernière technologie en terme de calcul informatisé. Je ne crois que ce soit une bonne chose que la F1 utilise une technologie qui date de 10 ans. Nous sommes supposés être au sommet ».

Qui croire?

Ajoutez à cela les intérêts personnels des uns et des autres.

Ferrari vient de rénover sa soufflerie, Williams possède deux souffleries, Sauber possède l’une des souffleries les plus performantes au monde, Mercedes vient d’en commander une pour son usine de voitures de rue à Stuttgart.

À l’opposé, McLaren et Force India doivent se contenter de souffleries vieillissantes.

McLaren avait projeté de construire une nouvelle soufflerie, mais va maintenant attendre la conclusion du débat autour d’une éventuelle disparition des souffleries. En attendant, on procédera à une mise à niveau.

En terminant, mentionnons qu’une soufflerie, avec son moteur de 3 millions de watts, est très énergivore. Ce qui va à l’encontre du message véhiculé par la F1 depuis l’an passé avec l’adoption des groupes propulseurs hybrides qui ont permis une réduction de 40 % de la consommation d’essence.

Le dernier mot à Christian Horner.

« Une soufflerie coûte une fortune à opérer, sans compter toutes les pièces qu’il faut fabriquer pour s’en servir.

« Retournons à l’ingéniosité. Donnons à chaque écurie la même puce électronique pour leur système CFD et laissons les cerveaux en découdre. Pourquoi ne pas être radical? ».

F1 radicale ou traditionnelle, le débat est ouvert.

* Mécanique des fluides numérique, plus souvent désignée par le terme anglais computational fluid dynamics (CFD): simulation sur ordinateur des écoulements de l’air intervenant dans la conception aérodynamique des véhicules