Le doublé des Mercedes en Malaisie a consolidé leur statut de favorites en ce début de saison. Quant aux 17 secondes séparant le vainqueur Lewis Hamilton de son coéquipier Nico Rosberg, seule explication (officielle) : Lewis était le meilleur ce jour-là.

Heureusement, derrière, la course a donné lieu à de belles bagarres sur la piste. Et, comme à l’habitude, la stratégie a joué un rôle dans le résultat de certains pilotes.

Échec et mat

Avant la course, Pirelli avait établi que la stratégie idéale, en théorie, consistait à prendre le départ avec la gomme medium (le choix était libre, puisque des pneus pluie avaient été utilisés pour la qualification), réutiliser ce type de gomme vers le 15e tour et le 29e tour, puis passer à la gomme dure (le règlement exige d’utiliser les deux types de gomme) au 43e des 56 tours à couvrir.

Pourquoi trois arrêts? Pour avoir des pneus performants tout au long d’une course se déroulant sous une forte chaleur et sur une surface abrasive.

Les pilotes qui sont montés sur le podium ont adopté cette approche :

Lewis Hamilton : départ sur medium / med 15e tour / med 33e tour / dure 51e tour
Nico Rosberg : départ sur medium / med 14e tour / med 32e tour / dure 50e tour
Sebastian Vettel : départ sur medium / med 13e tour / med 31e tour / dure 49e tour

C’est avec Fernando Alonso, 4e à l’arrivée, que ça change un peu. Question de stratégie.

En début de course, Alonso roule devant Nico Hülkenberg sur la Force India à moteur Mercedes. L’Espagnol effectue son premier arrêt au 11e tour. Un peu tôt, mais dans la norme. À l’opposé, l’Allemand est le dernier à s’arrêter lors de la première séquence d’arrêts aux puits, au 16e tour. Hum…

Quelque chose se trame chez Force India. L’an passé, on sait que cette écurie a plusieurs fois effectué un arrêt de moins que les autres, avec un certain succès. On s’en souvient chez Ferrari…

Et lorsqu’Alonso passe pour la deuxième fois aux puits, au 27e tour, il chausse la gomme dure, moins performante. L’idée? Disposer en fin de course de la gomme medium, plus performante, pour aller chercher Hülkenberg si jamais une stratégie de deux arrêts devait le placer devant Alonso.

Les intentions de Force India se concrétisent lorsque Hülkenberg effectue son 2e (et dernier) arrêt au 34e tour, repartant avec la gomme dure.

Lorsqu’Alonso effectue son 3 e arrêt, au 42e tour, il reprend la piste avec la gomme medium, mais avec un retard de 14 secondes sur Hülkenberg. Et il reste 14 tours à compléter.

Alonso réduit l’écart, puis passe à l’attaque au 53e tour.

Et ce n’est pas dans les deux lignes droites du circuit qu’il va parvenir à facilement dépasser son rival grâce à l’utilisation du système de réduction de traînée (aileron arrière entrouvert). Non, c’est dans l’enchaînement des virages 2-3, grâce à une bonne tenue de route. Grâce aux gommes medium.

Bonne stratégie de Ferrari.

Le jour de la marmotte

L’écurie Williams a aussi tenté de faire de la stratégie, mais l’affaire était plus compliquée…

Valtteri Bottas, pénalisé pour avoir nui à un concurrent lors de la qualification, partait de la 18e place. Il termine le tour initial en 12e place, tout juste derrière son coéquipier Felipe Massa.

Bottas se sent plus rapide que Massa et veut passer devant. « Avez-vous vu ce qu’il a fait? », se plaint le Brésilien. « J’ai plus de rythme que lui », réplique le Finlandais. L’écurie demande à son jeune pilote de garder sa position.

Bottas décide alors d’user de stratégie pour passer devant. Lors de chacun de leurs trois arrêts, Bottas va s’arrêter deux tours plus tard que son coéquipier. L’idée? Faire deux tours rapides en étant libéré de l’obstacle Massa, et ressortir devant.

N’oubliez pas que tout cela se joue sur quelques secondes.

Bottas est à 0,961s de Massa avant la première séquence d’arrêts aux puits. En revenant en piste, le Finlandais se trouve coincé cinq tours derrière la Toro Rosso de Daniil Kvyatt. Résultat : il tombe à 8,269 secondes de Massa. Il va lentement réduire cet écart. Après la troisième séquence d’arrêts aux puits, il est à 5,671s de son coéquipier.

Sept tours plus tard, il n’est plus qu’à 0,559 seconde de Massa en 7e place, qui suit Jenson Button (McLaren) depuis le 9e tour et ne démontre aucune intention/capacité à faire un dépassement.

Bottas a des pneus plus frais que Massa (deux tours) et Button (cinq tours).

Sentant que Bottas pourrait peut-être aller voler la 6e place à Button, l’écurie envisage la tactique suivante : on demande à Massa de laisser Bottas pour qu’il tente de dépasser Button. Si la tactique s’avère infructueuse après 2-3 tours, l’écurie demandera aux pilotes de reprendre leur place (donc Massa devant Bottas).

Mais l’écurie commet deux erreurs.

Premièrement, ne pas avertir Massa de son stratagème de replacer les pilotes dans l’ordre si la manœuvre sur Button devait échouer.

Deuxièmement, traumatiser Massa en utilisant exactement les mêmes mots que le 25 juillet 2010 à Hockenheim. Rappelez-vous : presque un an après son terrible accident en Hongrie (blessé après avoir reçu un ressort sur son casque, il avait raté la suite de la saison), le Brésilien mène le GP d’Allemagne à la régulière lorsqu’une communication radio émane de l’écurie : « Fernando is faster than you ». Autrement dit : laisse-le passer devant.

Alors entendre « Vallteri is faster than you » n’a pas dû l’enchanter.

Et Massa n’a pas obtempéré…

Bien expliquée, cette tactique est tout à fait acceptable et ne constitue pas une consigne d’équipe destinée à clairement favoriser un pilote aux dépens d’un autre. Mais le jeu (possiblement gagner 2 points de plus) en valait-il la chandelle (zizanie dans l’écurie)?

Les malheurs de Lotus

La Lotus était la meilleure voiture après la Red Bull en fin de saison 2013. Romain Grosjean a mené le GP du Japon et a terminé 2e aux États-Unis, l’un de ses quatre podiums lors des six dernières courses de l’année.

Mais l’exode des cerveaux et des contraintes financières ont sérieusement affecté la conception, la construction et la préparation de la voiture 2014.

Bien sûr, son motoriste Renault est en partie responsable des ennuis de l’écurie, mais les Red Bull et Toro Rosso s’en sortent beaucoup mieux.

Lors des émissions dans le cadre du Grand Prix de Malaise, j’ai évoqué le fait que lorsqu’un problème semblait résolu, un autre apparaissait aussitôt.

Par manque de temps, il était impossible d’énumérer tous les déboires de l’écurie.

Voici donc un résumé.

Australie

Essais libres 1 (vendredi matin, 90 minutes)

Grosjean : aucun tour, ennuis boîte de vitesses (perte liquide)
Maldonado : 2 tours complétés, aucun tour lancé, ennuis électriques forçant le remplacement du faisceau électrique

Essais libres 2 (vendredi après-midi, 90 minutes)

Grosjean : problèmes de logiciel et de turbo, quelques excursions hors-piste, 12 tours, 18e temps
Maldonado : aucun tour, les mécaniciens n’ayant pas le temps de compléter le remplacement du faisceau électrique; les mécaniciens doivent procéder au changement de la batterie et des deux systèmes de récupération d’énergie (cinétique/freins et thermique/échappement) pour le lendemain

Nuit de vendredi à samedi 

bris du couvre-feu (chaque écurie a droit à six dérogations cette saison)

Essais libres 3 (samedi, 60 minutes)

Grosjean : seulement 4 tours
Maldonado : 15 tours

Qualifications

Grosjean : ennuis cartographie/calibration du groupe propulseur, notamment au niveau de la récupération d’énergie sur les freins arrière, ce qui crée des problèmes de freinage (« ils font ce qu’ils veulent… c’est un peu comme si le passager de votre voiture s’amusait à tirer le frein à main sans prévenir »), 21e temps
Maldonado : ennuis (non identifiés) du groupe propulseur, aucun tour lancé

Course 

Grosjean : part de la ligne des puits puisqu’on a travaillé sur sa voiture dans le parc fermé; abandon en course sur défaillance du système de récupération d’énergie cinétique après 45 tours (Mais Grosjean est content car il s’attendait à compléter 15-20 tours)
Maldonado : abandon sur défaillance du système de récupération d’énergie cinétique

Malaisie

Essais libres 1

Grosjean : 4 tours complétés, aucun tour lancé; ennuis avec une évolution logicielle pour la cartographie/calibration du groupe propulseur
Maldonado : 2 tours complétés, aucun tour lancé; ennuis cartographie/calibration du groupe propulseur, puis bris du turbo

Essais libres 2

Grosjean : divers ennuis, dont un câble brûlé qui empêche la boîte de vitesses de fonctionner; la souplesse de conduite n’est pas encore « optimale »;14 tours, 17e
Maldonado : aucun tour, manque de temps pour compléter le travail de réparation sur le groupe propulseur

Essais libres 3

Grosjean et Maldonado : quelques excursions hors-piste, 15e et 16e avec 16 et 20 tours

Qualification

Grosjean : atteint Q2 et aurait pu participer à Q3 s’il avait eu le temps d’utiliser un train neuf de pneus pluie en fin de séance
Maldonado : 16e (drapeau rouge lors de son meilleur tour lancé en Q1)

Course

Grosjean : 11e
Maldonado : abandon au 7e tour; fuite au niveau de l’entrée d’air du turbocompresseur qui limite la performance de sa voiture; abandon pour ne pas endommager le moteur

Malgré tous ces ennuis, les ingénieurs ont pu découvrir le potentiel de leur voiture. Première constatation : il faut trouver de l’appui aérodynamique, principalement sur l’arrière. Selon Grosjean : « cela peut venir vite comme prendre énormément de temps… »

Et dire que Grosjean venait de se remonter le moral avec une superbe saison 2013.