C’est quand même un fait assez rare. Lorsqu’une plainte ou un protêt est déposé et qu’une décision est rendue, il est quand même assez unique de voir les deux parties impliquées demander un processus d’appel. 

C’est pourtant ce qui se passe présentement dans le dossier impliquant Racing Point et Renault. La FIA a finalement rendu sa décision. 

Racing Point n’a pas respecté le règlement sportif concernant la conception de ses écopes de freins arrière. Résultat, l’équipe a dû payer une amende, en plus de perdre 15 points au championnat des constructeurs. Une décision qui aura été accueillie…froidement. 

Racing Point ET Renault ont l’intention de faire appel de la décision, en plus de Ferrari, McLaren et Williams qui se joignent à la fête. Finalement, on peut dire que le verdict ne plaît visiblement à personne… et on peut comprendre, puisque des deux côtés de la médaille, les arguments ont du sens.

Une sanction qui ne représente pas l’infraction

Commençons par le point de vue de Renault, et des autres équipes qui se sont jointes à l’écurie française dans le processus d’appel. 

Pour ces équipes, les sanctions sont trop clémentes pour l’infraction commise par Racing Point. En effet, le verdict rendu par la FIA est clair : Racing Point n’a pas respecté la réglementation sportive. Autrement dit, les écopes de freins arrière que l’équipe de Lawrence Stroll utilise depuis le début de la saison sont illégales. 

Dans ce cas, pourquoi retirer à Racing Point 15 points, et non pas tous les points récoltés lors des courses qui avaient été placées sous enquête? Et surtout, si ces pièces sont illégales, pourquoi laisser Racing Point les utiliser pour le reste de la saison? Avouons que cela envoie un drôle de message. Si vous ne respectez pas les règles dans la confection d’une de vos pièces, on vous enlève une quinzaine de points… mais combien pourrez-vous en récolter pendant une saison complète grâce à l’avantage acquis? C’est ce point en particulier qui agace les autres équipes. 

Et finalement, c’est également une question de philosophie et de ce qu’on souhaite pour l’avenir de la Formule 1. 

Est-ce qu’on veut voir les grandes équipes mettre sur pied des écuries satellites reprenant plusieurs éléments de la voiture, comme Haas avec Ferrari et Alpha Tauri avec Red Bull? Ou est-ce qu’on veut encourager les équipes indépendantes à concevoir leur propre voiture et voir chaque équipe se débrouiller sans l’aide des écuries avec plus de ressources?

Racing Point veut blanchir son nom

Chez Racing Point, c’est le verdict même de culpabilité qui ne passe pas. L’écurie est convaincue de n’avoir rien fait d’illégal et entend le prouver lors du processus d’appel. 

Même si l’écurie n’a jamais caché ses ressemblances avec Mercedes, elle croit que toutes les règles sont respectées.

Pour mieux comprendre le point de vue de Racing Point, il faut bien comprendre comment l’équipe a conçu ses écopes de freins depuis l’an dernier. Pour ce faire, je vous invite à lire ce texte du site motorsport.com qui est très complet. Je vais tenter de vous le résumer en quelques lignes.

En 2019, les écopes de freins ne font pas partie des pièces « listées » par le règlement. Cela veut donc dire que les écuries peuvent acheter des plans ou même des écopes de frein au complet à d’autres constructeurs en Formule 1. C’est ce qu’a fait notamment Haas avec Ferrari, par exemple, au cours des dernières années.

L’an dernier, Racing Point s’est donc procuré les plans des écopes de freins de Mercedes. On sait que l’écurie collabore déjà avec le motoriste allemand pour le groupe propulseur, par exemple. 

À ce moment, Racing Point prend la décision de s’inspirer des plans de Mercedes pour les écopes de freins avant. Par contre, comme l’arrière de la voiture de la Racing Point est passablement différent de celui de la Mercedes, on décide de prendre une autre direction et de ne pas utiliser les informations de Mercedes.

Cette année, le règlement des pièces listées change et les écopes de freins en font maintenant partie. C’est donc dire que les équipes doivent concevoir elles-mêmes ses écopes de freins et n’ont plus accès aux informations provenant d’autres constructeurs impliqués en Formule 1. 

Par contre, les équipes bénéficient d’un droit acquis si une pièce se trouvait déjà sur la voiture en 2019. Donc, par exemple, Alpha Tauri peut continuer d’utiliser des écopes de freins fortement inspirées de Red Bull, car cela faisait déjà partie de l’ADN de la voiture en 2019 et qu’au moment de la « copie », cela était légal.

Revenons à Racing Point. Vous comprenez maintenant que les écopes de freins avant des voitures roses sont légales, puisqu’elles se trouvaient déjà sur la voiture l’an dernier et donc, l’équipe bénéficie d’un droit acquis.

Cependant, comme Racing Point a décidé de s’inspirer fortement de la Mercedes cette saison, l’écurie a décidé de retourner au plan des écopes arrière de Mercedes et de s’en inspirer pour leur conception, plans que l’équipe avait obtenus en toute légalité en 2019. 

Par contre, puisque ces pièces n’étaient pas sur la voiture l’an dernier, le droit acquis ne s’applique pas. La FIA a jugé que les écopes arrière version 2020 ne sont pas la propriété intellectuelle de Racing Point, mais bien de Mercedes, et donc, cela ne respecte pas le règlement sportif. 

Bref, vous voyez la zone grise. Depuis que le règlement est en vigueur le premier janvier 2020, Mercedes n’a pas fourni d’information à Racing Point et cette dernière peut affirmer qu’elle a elle-même conçu ses écopes… à partir, notamment, de certaines informations qu’elle avait obtenues légalement avant que le règlement soit appliqué. 

On peut ainsi comprendre que Racing Point continue de plaider son innocence. Surtout qu’en fin de compte, c’est une pratique qui se fait légalement dans d’autres équipes! 

À la fin, on a presque l’impression que la plus grande faute de Racing Point, c’est de ne pas avoir utilisé les plans de Mercedes dès l’an dernier. Si cela avait été le cas, nous n’en parlerions probablement pas aujourd’hui. 

Je vous disais que Mercedes n’a pas fourni d’information à Racing Point à la suite de l’entrée en vigueur du règlement, le 1er janvier. Pour être totalement exact, il faut ajouter que Mercedes a envoyé des écopes de freins à Racing Point le 6 janvier 2020... ce qui ne respecte pas la nouvelle réglementation. 

Toutefois, la FIA n’a pas jugé que cet élément était problématique, car Racing Point n’a jamais utilisé ces écopes et que cela ne lui a pas permis d’avoir des informations qu’elle n’avait pas déjà sous la main. Ces pièces servaient de pièces de rechange lors des essais hivernaux, mais Racing Point ne les a finalement pas utilisées. Ça ajoute encore un peu de complexité au dossier, mais comme la FIA a jugé que ce transfert ne changeait rien à sa décision, passons à autre chose. 

Alors, on fait quoi?

Clairement, chez Racing Point, on a tenté d’exploiter une zone grise du règlement. C’est ce que font les équipes en Formule 1 depuis toujours… 

Est-ce que Racing Point a triché ou non? Je vous laisse vous forger votre opinion avec les explications que nous avons sous la main…mais surtout, je laisse la FIA décider. 

En fait, elle a déjà pris sa décision… mais elle sera forcée de la revoir puisque personne n’est satisfait de son jugement. Néanmoins, il faut dire que pour juger cette histoire qui n’est ni blanche ni noire… elle n’a peut-être pas le choix d’y aller d’une sanction en demi-teinte.

Par contre, ce qui est clair pour moi… c’est qu’au fond, il est déjà bien trop tard. C’est un dossier qui aurait dû être clos dès les essais hivernaux.  Depuis février que l’on sait que Racing Point a choisi une philosophie basée sur Mercedes. Depuis février que la FIA a l’occasion d’analyser les écopes de freins de Racing Point. 

D’ailleurs, l’écurie avait même reçu une confirmation que la voiture était dans les règles. 

« En mars, nous avons invité la FIA à venir voir et analyser tout ce que nous avons fait. Nous étions totalement transparents. Ensuite, la FIA nous a écrit pour nous dire que nous étions dans les règles », explique le directeur de l’écurie, Otmar Szafnauer, sur le site officiel de la Formule 1. 

Qu’une écurie fasse appel à la suite d’un Grand Prix si elle croit qu’une équipe rivale n’a pas respecté les règles, c’est tout à fait normal et souhaitable. Mais que le processus prenne ensuite des mois avant d’avoir une décision ne fait aucun sens. 

Imaginez si la FIA donne maintenant raison à Renault, McLaren, Ferrari et Williams. Cela voudrait dire qu’on devrait disqualifier Racing Point de quatre Grands Prix? Et surtout, qu’on devra demander à l’écurie canadienne de redessiner ses écopes de freins en plein milieu d’une saison où les Grands Prix s’enchaînent presque chaque semaine? 

Cela n’est pas réaliste du tout et viendrait ruiner la saison d’une équipe… qui aurait pu s’ajuster avant même que la saison commence si la décision avait été rendue à ce moment. 

Il y a longtemps que ce dossier aurait dû être réglé… mais parions qu’il sera encore une fois parmi les sujets de discussion cette fin de semaine, lors du Grand Prix d’Espagne.