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Il était impossible de définir les enjeux de Liberty Media, nouveau « propriétaire » de la F1, sans faire le long survol du parcours fascinant de Bernie Ecclestone et de la façon dont la F1 s’est bâtie tout long de 5 décennies! Il était important de démontrer, comme nous l’avons fait hier, que Bernie laisse derrière lui, un produit de divertissement mondial absolument colossal, qui explique le montant global de 8 milliards $ US consenti par le nouvel acquéreur.

Il était aussi important de démontrer que Bernie, de par son mandat avec CVC, laisse derrière lui d’importants soucis, qui devront être confrontés un à un par les nouveaux dirigeants. Liberty Media devra travailler sur deux grands terrains qui, par ricochet, sont intimement liés : celui des bases et des structures fondamentales du sport de la F1 et celui du spectacle offert au grand public!

La mainmise des grands constructeurs

Celui qui m’apparaît le plus dangereux et à la fois le plus complexe à gérer, est celui de la mainmise des grands constructeurs. Il est clair que la F1 actuelle repose essentiellement sur des bases purement techniques, celles des énergies alternatives, celles de la performance « verte » et que Mercedes, Renault, Ferrari (avec son éventuelle association avec le groupe Peugeot) et Honda veulent en tirer tous les bénéfices d’abord et avant tout pour leurs activités commerciales en général. Cela dit, on apprécie aussi les retombées médiatiques des victoires, des podiums et de la haute performance et c’est pourquoi trois des quatre manufacturiers en F1 ont aussi investi des sommes colossales dans la création de leur propre écurie, afin de contrôler entièrement le lien indéniable entre le sport et la technologie.

Résultat? Cela crée une véritable bombe à retardement! De tous temps, les manufacturiers sont venus en F1... et ont quitté la F1! Lorsqu’un cycle technique est complété, lorsqu’un mauvais cycle économique ou politique s’installe, les grands joueurs claquent la porte sans pitié ! La seule stabilité observée au cours des 66 ans du Championnat du monde est celle procurée par les écuries indépendantes... et par Ferrari! Or, ce sont ces mêmes écuries indépendantes qui ont été cavalièrement laissées pour compte dans les dernières ententes individuelles avec Bernie. Non seulement ont-elles de plus en plus de difficultés à générer des revenus de commandite, mais elles ne récoltent en plus qu’une part injuste du gâteau. Seule Red Bull, en déployant des moyens colossaux de façon délibérée et à des fins purement promotionnelles, peut prétendre rivaliser avec les grandes équipes.

Où est donc la solution pour assurer la compétitivité et la pérennité des Williams, Force India, McLaren, Haas et autres ? À court terme, il faut revoir le plus rapidement possible la formule de partage des revenus. Liberty Media a déjà annoncé ses couleurs et a la ferme intention de travailler avec diligence en ce sens. Mais aura-t-elle la collaboration des plus riches ? Rien n’est moins sûr.

À long terme, il faudra travailler avec le pouvoir sportif et définir une fois pour toute la véritable base du Championnat du monde. Si on veut accentuer l’équité et favoriser le « pilotage sportif » avant la « performance technique », si on veut redonner une certaine capacité financière aux écuries indépendantes, il faudra peut-être un jour avoir le courage d’interdire aux constructeurs d’opérer leur propre écurie et de s’en tenir exclusivement à un rôle de fournisseur. À ce titre, le modèle d’affaires de l’écurie Haas est très intéressant. L’écurie américaine est entrée en F1 en sous-contractant tout ce que le règlement permet. Elle se concentre sur les zones de création et de développement imposées à chaque écurie par les règles de la FIA. Malgré des hauts et des bas en 2016, Haas fut l’une des nouvelles équipes ayant le mieux réussi son entrée en F1 depuis des lunes!

Rompre avec l’extrême technologie de pointe?

Voilà un épineux débat mais qui, encore là, devra être confronté à compter de maintenant. La FIA et les manufacturiers ont toujours voulu et voudront toujours un développement technique de pointe extrême en F1. CVC Capital, jusqu’à la fin de son engagement, voulait un rendement financier ambitieux. Liberty Media, elle, veut développer la marque F1 par... le spectacle! Clash de philosophie, dites-vous? Et comment. Mais pas impossible à gérer, si toutes les parties impliquées en sortent gagnantes.

En nommant Ross Brawn responsable du volet sportif de la F1, le nouveau détenteur des droits de commercialisation de la discipline s’est doté d’une personne ressource inestimable pour rallier les écuries, les manufacturiers et la FIA aux grands enjeux de l’avenir du Championnat. Ingénieur émérite et titulaire d’une feuille de route impressionnante avec les écuries championnes Benetton, Ferrari et celle portant son propre nom, Brawn possède à la fois l’expertise technique et l’expérience d’un propriétaire d’écurie pour comprendre les grands enjeux qui se dressent devant lui.

Déjà, en 2017, les devis techniques des voitures ont tenu compte des doléances exprimées par les amateurs au cours des dernières années. Pneus, ailerons, extracteurs, dimensions des monoplaces, sonorité des moteurs, voilà autant de secteurs où il y eut des mesures concrètes pour rehausser les performances et améliorer le produit offert aux acheteurs de billets et aux téléspectateurs du monde entier. C’est un virage majeur, positif, basé sur les principes d’affaires de Liberty Media et qui n’enlève pas à la F1 sa nouvelle couleur verte. Mais il faudra plus.

Le défi le plus criant est celui de l’équilibre des forces. La domination de Ferrari et de Michael Schumacher, au cours des premières années du nouveau siècle, était légitime, mais elle eut un effet dévastateur sur l’intérêt global du public. Ce fut la même chose pour les quatre conquêtes consécutives de Sebastian Vettel et de Red Bull, au début de la décennie. Une autre domination claire et nette de Lewis Hamilton et de Mercedes, en 2017, en dépit des nouvelles règles, pourrait avoir des répercussions négatives encore plus grandes. Ce que le public souhaite, c’est qu’il y ait plus d’un prétendant à la victoire, à chaque course, peu importe le type de circuit. Point à la ligne ! Et dans un monde idéal, le potentiel de victoire serait aussi ouvert à Force India, Williams, Haas, etc.

Pour y arriver, Brawn dit « vouloir simplifier la F1 », simplifier ses règles techniques et sportives, pour que les amateurs s’y retrouvent facilement. C’est très bien tout cela. Mais il faudra d’abord simplifier l’accès à l’argent et à la technologie pour que les équipes les moins bien nanties puissent participer à la fête elles aussi. On revient alors au premier segment de ce dossier. À règles techniques égales, tout passe par un meilleur partage des ressources. Or, si un partage plus équitable est impossible, il faudra alors avoir le courage de sabrer dans ce qui est hors de prix : la technologie de pointe, celle dans laquelle les manufacturiers investissent des fortunes colossales pour gagner un dixième par ci, quelques millièmes par là. Il faudra alors imposer le beau principe de la « simplification » aux moteurs, à l’aérodynamisme, aux pneus, etc.

Et il y a fort à parier, alors, que de grands manufacturiers quitteront le navire, comme on le disait plus tôt. Pas simple que cette boucle, n’est-ce pas? En apparence, non. Mais au moins, il y a un certain mouvement positif perceptible en ce début de nouvelle saison et aux premiers jalons de cette nouvelle ère.

Il sera intéressant, fort intéressant, de découvrir à quoi ressemblera la F1, à compter de 2020.