Le nouveau magicien
Formule 1 mercredi, 16 nov. 2016. 14:33 vendredi, 13 déc. 2024. 08:56Ma liste de pilotes « magiciens », dans l’histoire de la F1, remonte à Gilles Villeneuve. Avant sa venue chez Ferrari, je n’avais qu’entendu parler des exploits de Juan Manuel Fangio, dans les années 1950 ou Jim Clark et Jackie Stewart, dans les années 1960. Je n’avais suivi que du coin de l’œil les beaux coups de volant de Niki Lauda, James Hunt et autres principaux acteurs de la première moitié de la décennie 1970.
Mais à compter de 1978, j’ai pu apprécier de très près, en raison de mes différents mandats professionnels, les exploits de pilotes qui ont poussé leur talent déjà exceptionnel bien au-delà des limites « raisonnables ». Et la plupart du temps, ces limites furent repoussées dans des conditions de pluie, sur des pistes détrempées. Plusieurs disent que c’est en pareille circonstance qu’on distingue les pilotes d’exception, parmi les autres grands pilotes et je le crois fermement!
Même si son départ prématuré l’a privé d’un titre des pilotes, ou à tout le moins d’un plus grand nombre de positions de tête et de victoires, Gilles Villeneuve demeure encore aujourd’hui reconnu par l’ensemble des observateurs de l’époque comme l’un de ceux-là. On peut tous facilement revoir ses exploits mémorables sur les outils modernes de recherche, certes, mais bien d’autres prouesses furent réalisées sans la présence de caméras, exclusivement devant les yeux des spectateurs émerveillés ou devant ceux de ses pairs incrédules. Il suffit d’entendre les récits des témoins de ceux qui l’ont vu tourner, en personne, dans le déluge du vendredi, à Watkins Glen, en 1979, pour en avoir des frissons. Des six pilotes qui ont bravé ces conditions exécrables, Gilles a dominé par… 9 secondes!
De Gilles à… Ayrton!
La mort tragique de notre héros national a laissé un grand vide dans l’univers de la F1, en mai 1982. Le titre de Keke Rosberg cette année-là fut dénué de lustre, le pilote finlandais n’ayant remporté qu’une seule victoire en route vers son championnat. En 1983, au cœur d’une révolution technique qui mit fin à la dangereuse technologie de l’effet de sol, il y eut une belle lutte à quatre pilotes, couronnée par le titre de Nelson Piquet, mais il manquait quelque chose de vibrant à l’univers de la F1.
Vint 1984 et un certain… Ayrton Senna da Silva! Au Grand Prix de Monaco, le Brésilien sortit de l’ombre pour toujours et dessina sans le savoir son formidable destin professionnel. Au volant d’une modeste Toleman propulsé par le moteur « artisanal » Hart, dans des conditions atmosphériques épouvantables, Senna fit pâlir les plus grands de l’époque, y compris Alain Prost. Parti 13e, il remonta le peloton une étape à la fois, passant notamment Niki Lauda pour la 2e place, au 19e tour. Devant lui, il y avait Alain Prost, le « professeur », qu’il rattrapait au rythme infernal de quatre secondes au tour! À n’en pas douter, Senna allait triompher avec gloire, mais la course fut interrompue tout juste au moment où il allait enfoncer le clou au futur champion. Les thèses de conspiration ont fusé de toutes parts, ils furent légion à crier à l’injustice, mais le résultat, aussi décevant soit-il pour Ayrton, n’allait aucunement influencer la suite extraordinaire qui l’attendait. À ce moment précis, le « Magicien » était né!
Senna, par beau temps ou sous la pluie, allait offrir à répétition des moments de pur bonheur aux passionnés de F1, et ce, jusqu’aux derniers moments de sa trop courte vie. Même quand ses montures n’étaient pas à la hauteur, comme c’était le cas pour la McLaren-Ford de 1993, il défiait la logique! Il suffit de revoir ses quelques tours d’anthologie à Donington, cette année-là, pour mieux comprendre. Il y remporta l’une de ses deux seules victoires de la saison. Dans les deux cas, il donna une victoire inespérée à son équipe, dans des conditions climatiques extrêmement difficiles!
À Michael, Lewis et… Max!
La mort tragique de Senna, à Imola en 1994, créa plus qu’un vide immense. Elle fut au cœur d’un véritable film d’horreur pour le Championnat du monde de F1. La veille de son accident fatal, l’Autrichien Roland Ratzenberger perdit aussi la vie au volant de sa Simtek. Deux semaines plus tard, Karl Wendlinger est passé à deux doigts de la mort à la sortie du tunnel, à Monaco. Il fut dans le coma pendant 19 jours. C’en était trop pour le président de la FIA, Max Mosley, qui amorça alors une longue croisade pour rehausser la sécurité des pilotes, autant sur les circuits qu’à l’intérieur même des voitures. Un recul technique important s’amorça alors, surtout sur le plan de l’assistance électronique au pilotage. C’est dans ce contexte qu’est apparu le nouveau magicien : Michael Schumacher!
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Dès ses premiers tours de roue, au volant d’une Jordan au Grand Prix de Belgique, en 1991, à 22 ans à peine, on a tout de suite compris qu’il s’agissait d’un futur champion, ce qu’il devint d’ailleurs dès 1994 chez Benetton. Inutile, je crois, de revenir sur l’extraordinaire carrière qu’il a connue par la suite. Mais malgré les astres qui furent souvent parfaitement alignés pour lui, ce sont ses exploits dans des conditions exceptionnelles qui, selon moi, viennent ennoblir ses nombreux titres et records. On pourrait citer quantité d’exemples, mais retenons notamment sa performance mémorable au GP d’Espagne, l’un des rares courus sous la pluie, à Barcelone. Au volant d’une Ferrari inférieure à la Williams, dans des conditions de visibilité presque nulle, Schumacher remporta l’épreuve avec une avance de 45 secondes sur ses plus proches rivaux! L’un de ceux-là était Jean Alesi, un maître sous la pluie. L’autre était Jacques Villeneuve.
La série historique de titres de Schumacher prit fin en 2006, au moment même où se pointait aux portes de la F1, un jeune prodige d’à peine 21 ans, du nom de Lewis Hamilton. Le Britannique fut directement impliqué dans la course au titre jusqu’à la dernière épreuve de sa première saison, en 2007, ce qui constitue déjà un fait d’armes. Mais de cette première année en F1, plusieurs retiennent la maîtrise exceptionnelle de sa McLaren, au GP du Japon, dans une véritable mousson! « Il a gagné de la tête et des épaules », titrait le site zonef1.com dans son résumé de la course présentée au mont Fuji, en reconnaissance de sa dextérité et de sa capacité d’analyse d’une situation hors du commun.
Le talent de Hamilton sur revêtement détrempé fut maintes fois mis à l’épreuve, depuis. Les défis furent relevés avec brio, comme encore cette année à Monaco (sa plus belle victoire selon lui) et pas plus tard que dimanche dernier, à Interlagos, au Brésil.
Ce qui nous amène à Max Verstappen.
On dira que l’échantillon est encore petit, qu’il faudra attendre une vraie saison complète chez Red Bull aux côtés de Daniel Ricciardo pour mieux juger, etc. Je ne souscris pas à cette thèse. Verstappen a jusqu’ici rempli toutes les conditions pour se classer de plein droit comme « le nouveau magicien » de la F1. Déjà, sa première victoire en F1 tenait de la fiction! Il s’agissait de sa première course chez RBR, à l’âge hallucinant de 18 ans, 7 mois et 15 jours!
Vint aussi « l’intangible », c’est-à-dire cette faculté de déranger l’ordre en place qui a mené plusieurs ténors (Vettel et Raikkonen surtout) à constamment tenter de le ramener à l’ordre, sur la place publique, situation que les Villeneuve, Senna, Schumacher et Hamilton ont vécu de façon presque identique à leurs débuts.
Vint finalement, l’endossement absolu, celui qui fit même dire aux détracteurs que le jeune homme est en voie de redéfinir la « physique du sport automobile ». Sa spectaculaire remontée vers la troisième marche du podium, dimanche, a non seulement donné à la F1 l’un des plus grands moments de son histoire, mais elle fut le symbole du passage du flambeau, celui que se relaient les grands parmi les grands, depuis 1950. Lewis Hamilton est au sommet de son art et il a tout pour régner encore quelques années, s’il a la monture pour le faire. Mais ne nous leurrons pas. Le « prochain » n’est plus le prochain.
Il est déjà là. À 19 ans.