Deux écuries en faillite (Caterham et Marussia, placées sous la coupe d’un administrateur judiciaire), trois autres pas très en santé (Lotus, Sauber, Force India)… Même Williams éprouve des ennuis : l’écurie a officiellement annoncé en septembre des pertes de 37 millions de dollars pour les six premiers mois de 2014!

Et dire que tout cela était très prévisible.

Et dire que l’on croyait que la raison allait finir par l’emporter.

Le 9 décembre 2013, le Conseil mondial de la FIA publiait le texte suivant :

Changements au règlement de la Formule Un

Championnat du monde FIA de Formule Un

À la suite d’une réunion du Groupe stratégique F1 et de la Commission F1 aujourd’hui à Paris, les items suivants ont été unanimement approuvés :

Championnat du monde de Formule Un

- plafond budgétaire

Le principe d’un plafond budgétaire global a été adopté. La limite sera appliquée à partir de janvier 2015.

Écurie MarussiaAu début de 2014, les discussions allaient (semble-t-il) bon train. Le chiffre de 200 millions de dollars circulait comme budget maximal. Soit quelque part entre les Marussia (85 M) et Caterham (110 M) dans le bas de l’échelle, et les 300 à 400 M des écuries de pointe.

Mais qui souhaite une réduction des coûts? Les petites écuries.

Qui est prêt à dépenser tout l’argent auquel on a accès? Les grandes écuries.

Et qui prend les décisions en F1? Les grandes écuries.

Comment? Grâce à la nouvelle gouvernance de la F1, une véritable entourloupe.

Depuis 2013, tout changement doit passer par le Groupe stratégique F1, qui fait ensuite ses recommandations à la Commission F1 qui remet ses délibérations au Conseil mondial.

La Commission F1 est très démocratique, car elle regroupe toutes les écuries, ainsi que des représentants des commanditaires, des partenaires techniques et des promoteurs.

À l’inverse, le Groupe stratégique est très aristocratique. Il comprend Ferrari, McLaren, Red Bull, Mercedes, Williams (à titre d’écurie historique) et Lotus (la meilleure des autres en 2013), pour un vote chaque, ainsi que la Formula One Management (six voix) et la FIA (six voix).

L’entourloupe, c’est que le Groupe stratégique peut simplement ne pas proposer certaines mesures (comme le plafond budgétaire) à la Commission F1, qui n’a ainsi même pas l’occasion de voter sur le sujet!

C’est ainsi qu’au printemps 2014 les grandes écuries ont commencé à dire que le plafond budgétaire n’était pas la meilleure idée, qu’il y avait d’autres manières de réduire les coûts.

Les petites écuries ne suivent pas le rythme

Jean Todt, le président de la FIA, a déclaré qu’il ne pouvait rien y faire, puisque c’était le choix du Groupe stratégique. Pourtant cela allait à l’encontre d’une décision du Conseil mondial de la FIA! Quelle déception ce Jean Todt!

Et qu’est-ce que le Groupe stratégique a trouvé à la place? Deux fois rien : réduire le temps de soufflerie, réduire les capacités de simulation sur ordinateur et autres babioles du genre. Pour une économie d’environ 2 M$. Ridicule.

Même Jean Todt n’a pu s’empêcher de qualifier cette proposition de « plaisanterie ».

Le Groupe stratégique s’est à nouveau réuni et a accouché d’autres brillantes idées : pas de couverture chauffante pour les pneus, une seule séance d’essais libres le vendredi, etc.

Tellement ridicule, à nouveau, que tout cela a été rejeté par la Commission F1. Commission F1 qui, je vous le rappelle, n’a pas pu voter sur d’autres formes de réduction des coûts car c’est tout ce que le Groupe stratégique lui a présenté.

Nous voici donc à la fin de la saison 2014 avec deux écuries en moins à Austin et au Brésil, et rien de sérieux pour réduire les coûts à court, moyen et long terme. C’est ce que l’on appelle refuser de faire face à la réalité.

Vous allez me dire qu’il y a toujours la solution d’une troisième voiture engagée par les grandes écuries.

Cela pourrait effectivement faire l’objet d’un long débat.

Mais songez à ceci.

Imaginez une troisième Mercedes en piste cette saison. Vous croyez que Daniel Ricciardo aurait remporté trois courses?

Imaginez une troisième Red Bull en piste au cours des quatre années précédentes…

Les riches s’enrichissent

S’il est difficile de réduire les coûts, peut-on envisager d’augmenter les revenus des écuries?

Encore là la situation est grotesque.

Le secteur commercial de la F1 génère de 1,5 à 1,8 milliard de dollars par année. Et ce n’est pas suffisant pour faire vivre 11 écuries? Une pure folie!

Où passe cet argent?

Environ la moitié va aux propriétaires de la F1, avec en tête la firme CVC. Oui oui, ceux qui assurent le spectacle, les écuries, ne reçoivent que la moitié de la récolte financière….

Les écuries se divisent donc 800 millions de dollars.

La moitié (400 M$) est versée à parts égales aux 10 écuries les mieux classées au championnat, donc 40 M$ chacune.

L’autre moitié (400 M$) est versée selon les résultats, de 80 M$ pour l’écurie championne à 10 M$ pour la 10e au classement.

Qu’est-ce que reçoit l’écurie qui a le malheur de terminer au 11e rang? Un beau forfait de 10 M$. Une honte!

Les derniers accords entre les écuries et la FOM (détentrice des droits commerciaux) se sont terminés avec la saison 2012.

Bernie Ecclestone avait tellement peur de la FOTA (Association des constructeurs de F1) qu’il a décidé d’utiliser la bonne vieille méthode de diviser pour conquérir. N’oublions pas que la FOTA avait déjà envisagé d’organiser son propre championnat du monde au milieu des années 2000.

Au lieu de tenter de signer une entente collective avec l’ensemble des écuries (qui auraient pu faire front commun pour obtenir plus que la moitié des revenus), il a signé des ententes bilatérales avec chacune des écuries.

En commençant par Ferrari, à qui il a offert 5 % de tous les revenus. Puis en offrant des primes aux trois autres écuries de pointe (selon les victoires), soit Red Bull, McLaren et Mercedes.

Résultat : la FOTA se désolidarise et finit par disparaître en mars dernier. Évidemment, les petites écuries n’avaient pas grand choix : soit signer soit le contrat offert par la FOM, soit se saborder.

De toute évidence, la FIA doit s’en mêler pour réduire les coûts. Pour sauvegarder SON Championnat du monde, le plus visible.

Et est-ce que l’intérêt supérieur du sport peut passer par-dessus l’intérêt personnel des grandes écuries bénéficiant d’ententes préférentielles?

Même en redistribuant plus d’argent, les grandes écuries ne souffriraient pas financièrement, comme le souligne l’ex-président de la FIA, Max Mosley, dans une entrevue à la BBC.

« D’un point de vue sportif, il faudrait distribuer l’argent de manière égale puis laisser les écuries chercher autant de commanditaires que possible. Une écurie comme Ferrari va toujours attirer plus de commandites que Marussia. Mais si les écuries reçoivent toutes le même montant, elles partent sur un pied d’égalité, surtout si vous avez en place un plafond budgétaire qui limite le montant que chaque écurie peut dépenser. »

Et Mosley d’ajouter une autre observation intéressante sur l’arrivée des nouveaux groupes propulseurs, qu’il approuve :

« L’erreur a été de ne pas dire aux motoristes qu’ils pouvaient dépenser autant qu’ils le voulaient sur la recherche à condition que le montant facturé soit de l’ordre de 5 à 7 millions de dollars, au lieu de 25 à 35 millions comme c’est le cas aujourd’hui. »

Et de conclure :

« Ce n’est plus une compétition équitable. Il devrait y avoir 10 à 12 écuries de deux voitures, avec des règlements permettant à une écurie qui a de bons ingénieurs de partir du fond du peloton et de faire son chemin jusqu’à l’avant du peloton. »

Oui, c’est une bonne définition de l’ADN de la Formule Un. Que les grandes écuries ont tendance à oublier dans leur recherche effrénée de la victoire à tout prix. Ou devrait-on dire : quel que soit le prix?