En Italie, même si ce sont habituellement les pilotes du cheval cabré qui sont sous les projecteurs, ce sont les pilotes du taureau rouge qui ont réussi à briller. Les dernières semaines ont mis en lumière la grande qualité du programme de développement de Red Bull, mais ont, aussi, relancé certains débats sur ses défauts.

Il ne fait aucun doute que l’académie des jeunes pilotes Red Bull est un modèle de succès en Formule 1. Les exemples sont nombreux. Avec Sebastian Vettel, Daniel Ricciardo, Carlos Sainz fils, Max Verstappen, Alex Albon, Pierre Gasly et Daniil Kvyat, c’est 35 % de la grille actuelle en Formule 1 qui a fait ses classes sous le programme d’Helmut Marko. Nous en conviendrons, c’est une solide moyenne au bâton.

Et si la moyenne est si bonne, c’est notamment parce que Red Bull n’hésite pas à faire appel à ses protégés lorsque des opportunités se présentent. La dernière fois que l’écurie de Christian Horner a fait appel à un pilote provenant d’ailleurs que dans les rangs de Red Bull, c’était lors de l’embauche de Mark Webber, en 2007. Ça, c’est ce que j’adore du programme. C’est bien beau investir des millions de dollars afin de faire progresser de jeunes pilotes dans les niveaux inférieurs, à quoi bon si l’on se tourne ailleurs lorsqu’un volant se libère au sein de la grande équipe.

Mais comme rien n’est jamais totalement noir ou blanc dans la vie, cette volonté de faire confiance à ses jeunes pilotes a aussi son aspect plus négatif, ou disons plus risqué. Est-ce que des pilotes comme Kvyat, Gasly et Albon se sont retrouvés trop rapidement chez Red Bull, sans être totalement prêts au défi qui se présentait à eux? Les trois se sont retrouvés au sein de l’écurie mère après seulement une saison chez Toro Rosso, et les trois ont eu besoin de temps pour s’ajuster... trop de temps dans le cas de Kvyat et Gasly.

En fait, dire que Red Bull montre souvent de l’impatience envers ses pilotes est un euphémisme, et on le voit partout, pas seulement en Formule 1. Albon et Brendon Hartley ont été largués par Red Bull en raison de mauvais résultats avant de voir la compagnie autrichienne les reprendre une fois leur carrière relancée. L’an dernier, Patricio O’Ward a été laissé de côté après seulement six mois au sein de la filière. Le champion actuel de Formule électrique, Antonio Felix Da Costa, était aussi un protégé de Red Bull. Bref, vous avez compris le principe. Ce sont tous d’excellents pilotes, mais qui ne pouvaient se permettre de passage à vide.

En fait, une des grandes qualités de Red Bull est de faire confiance à ses jeunes protégés. Une autre de ses grandes caractéristiques est de s’impatienter rapidement. Le problème, c’est que mis ensemble... ça donne un mélange plutôt difficile à gérer.

La rédemption de Gasly

À Monza, c’est Gasly qui a marqué l’histoire de la compagnie autrichienne en inscrivant seulement la 2e victoire de l’histoire d’AlphaTauri/Toro Rosso depuis celle de Vettel, sous la pluie, en 2008, sur le même tracé de Monza. Il faut bien sûr reconnaître les circonstances exceptionnelles de ce Grand Prix marqué par un drapeau rouge qui est venu chambouler les stratégies.

Non, Gasly n’aurait pas gagné cette épreuve sans ce coup du sort, mais pour moi, ça n’enlève rien à son mérite. Le Français a traversé beaucoup d’épreuves cette dernière année, avec sa rétrogradation, mais aussi, avec la perte de son proche ami Anthoine Hubert.

Le meilleur de chaque équipeIl faut donc souligner sa force mentale et sa résilience. Ce que fait Gasly cette saison est remarquable et va bien plus loin qu’une seule victoire. Avec sa récolte de 43 points, contre seulement 10 pour Kvyat, Gasly a amassé plus de 81 % des points de son équipe, un sommet cette saison à l’exception de Kevin Magnussen, qui avec son seul point, a amassé l’entièreté de la récolte de Haas.

Après neuf courses cette année avec AlphaTauri, Gasly compte aussi le même nombre de points qu’après neuf courses l’an dernier avec Red Bull.

Et il ne faut pas oublier non plus que Gasly avait amassé un autre podium au Brésil l’an dernier.

Bref, le Français démontre de plus en plus de maturité et surtout, il gagne rapidement en confiance. Son talent est indéniable et il a tourné sa mauvaise fortune de l’an dernier en opportunité de démontrer son caractère.

La question toutefois, c’est de savoir si Red Bull ne l’a pas «brûlé» lors de son séjour dans la grande équipe l’an dernier. Advenant le cas qu’on lui propose une autre chance, est-ce qu’il acceptera sans hésiter ou est-ce qu’il préférera aller dans un autre environnement? L’avenir nous le dira, mais assurément qu’il y pensera avant de se relancer dans une aventure qui a été pour le moins compliquée et éprouvante pour lui.

Le cas Albon

À peine une semaine plus tard, à Mugello, c’est Alexander Albon qui a fait parler de lui en connaissant une excellente fin de semaine. D’abord, sa 4e place en qualifications était un très bon résultat, surtout lorsqu’on considère ses ennuis le samedi cette saison. Puis, lors de la course, il a été en mesure de monter sur la 3e marche du podium, inscrivant son 1er podium, le premier de l’histoire pour un pilote représentant la Thaïlande et le premier pour un pilote Red Bull qui ne s’appelle pas Max Verstappen depuis le Grand Prix de Monaco en 2018.

C’est une troisième place qui fait du bien pour Albon. Il aurait bien pu y parvenir auparavant (Brésil l’an dernier, Autriche cette année), mais reste que la pression commençait à augmenter sur ses épaules. Et on l’a bien senti lors de sa communication radio avec l’équipe après la course. Alors qu’on pouvait s’attendre à une explosion de joie, Albon a plutôt calmement dit à son équipe « Thanks for sticking with me », qu’on pourrait traduire par « merci de m’avoir conservé au sein de l’équipe ».

Il faut dire qu’Albon doit vraiment apprendre à vitesse grand V depuis l’an dernier. Se retrouvant dans une Formule 1 pour la première fois lors des essais hivernaux, puis chez Red Bull après à peine une demi-saison, disons qu’il a peut-être sauté quelques étapes.

Alors, est-ce que Red Bull sera plus patient dans son cas? Parce que déjà, les rumeurs vont bon train. Un retour de Gasly? L’embauche de Sergio Perez? Nico Hulkenberg? Ce sont tous de bons pilotes et de bons candidats, aucun doute là-dessus. Mais j’espère qu’enfin, Red Bull saura donner du temps et appuyer son pilote. Je ne suis pas en train de dire qu’Albon connaît une saison exceptionnelle, ni même qu’il est le plus talentueux que les autres que j’ai nommés. Mais Red Bull ne pourra pas continuer de changer de pilote de cette façon et ensuite espérer que le deuxième suive le rythme de Verstappen. Ça n’arrivera pas.

Parce que oui, Verstappen est le contre-exemple. Oui, il est arrivé chez Red Bull bien plus jeune que Kvyat, Gasly et Albon. Oui, il a sauté encore davantage les étapes. Et oui, dans son cas, cela a fonctionné. Mais Verstappen est un prodige. Si c’est ce que Red Bull attend d’un deuxième pilote... alors la chaise musicale va durer encore longtemps.

Je comprends la mentalité que la grande équipe de Red Bull n’est plus une école. Que son objectif est de gagner et que ses pilotes doivent atteindre les objectifs. Mais si l’on souhaite garder cette mentalité, alors qu’on engage des pilotes expérimentés et qu’on laisse les jeunes pilotes faire leurs classes pendant 2 ou 3 ans avec l’écurie sœur.

Si au contraire, on souhaite continuer d’offrir des opportunités aux pilotes qui font partie de la filière depuis longtemps, alors qu’on évite de leur mettre trop de pression dès leur arrivée et de gaspiller nos investissements en leur montrant la porte trop rapidement.

Les dernières années ont bien démontré que tenter de faire les deux en même temps ne fonctionnait pas.

Un bel exploit aux 24 Heures du Mans

Parlant de la filière Red Bull, Sébastien Buemi et Brendon Hartley ont mis la main sur la victoire lors des 24 Heures du Mans à bord de la Toyota numéro 8. Une autre belle réussite pour Toyota malgré les ennuis mécaniques sur l’autre voiture, et un autre exemple du flair de Red Bull pour dénicher les talents.

Les 24 Heures du Mans représentent sans doute l’événement de sport motorisé que j’attends le plus chaque année. Et en 2020, c’est la voiture no 50 de Richard Mille Racing, en LMP2, qui retenait mon attention. J’étais très heureux qu’une équipe donne une opportunité à trois femmes de prendre le volant et de se mesurer aux meilleurs au monde.

L’équipe était composée de Tatiana Calderon qui est pilote d’essais pour Alfa Romeo et qui était en Formule 2 l’an dernier. Elle avait comme coéquipière Sophia Floersch, qui vous dit peut-être quelque chose en raison de son effroyable accident de F3 à Macau en 2018. Alors âgée de 17 ans, sa voiture s’était envolée dans un abri pour photographes. L’Allemande s’était alors fracturé une vertèbre et avait dû subir une opération d’une dizaine d’heures. Cette saison, Floersch roulait en F3, terminant notamment 12e à Monza.

Katherine Legge aurait dû être la troisième pilote. Plus expérimentée, on a notamment vu Legge en IndyCar, en Nascar et en DTM. Toutefois, en juillet dernier, Legge a été victime d’un grave accident lors d’essais sur le circuit Paul-Ricard. Provoqué par un problème sur la voiture, l’accident a causé des fractures à une jambe et à un poignet de Legge.

Elle a été remplacée par Beitkse Visser, qui avait pris le 2e rang derrière Jamie Chadwick lors de la 1re saison de la W Series. D’ailleurs, soit dit en passant, Visser est devenue en 2013 la première femme à introduire le programme des jeunes pilotes de Red Bull... avant d’être écartée moins d’un an plus tard en raison de résultats qui n’ont pas satisfait Helmut Marko (tiens donc!).

Bref, tout ça pour dire qu’elles ont franchement bien fait, surtout dans un contexte qui n’était pas facile. C’était la première fois en LMP2 qu’une équipe totalement féminine participait aux 24 Heures du Mans. Elles ont dû changer de pilote en raison des blessures de Legge. Elles ont toutes moins de 30 ans et surtout, toutes les trois en étaient à une première expérience à ce mythique événement. Malgré tout, elles ont réalisé une excellente 9e place dans leur catégorie (sur 24 voitures), pour prendre la 13e place au classement général.

Bref, une performance inspirante qui devrait ouvrir des portes à d’autres à l’avenir. Parce que même dans une course d’endurance de 24 heures, elles ont prouvé qu’elles étaient tout à fait à leur place.

Et en terminant, soulignons aussi la 9e place en GTE-AM d’une autre équipe toute féminine composée de Rahel Frey, Michelle Gatting et Manuela Gostner.