Par Jean-François Ferland, collaborateur NASCAR - Le Darlington Raceway est un circuit ovale de 1.366 mille situé à Darlington, au nord-est de la Caroline du Sud. Cette piste unique en forme d'oeuf est la doyenne des pistes superovales en stock-car. Elle est aussi exigeante pour la mécanique que pour les pilotes, que ces derniers disent y courir non pas contre les hommes mais contre la piste! Voici celle avec qui les pilotes rêvent de danser pour gagner, et ainsi obtenir le plus haut respect et une place dans l'histoire. Voici la Dame en Noir de Darlington.

Le Darlington Raceway est le fruit de Harold Brasington, un fermier et entrepreneur en construction qui avait fait de la course automobile dans sa jeunesse. Il visite à quelques reprises le vénérable Indianapolis Motor Speedway pour assister au Indy 500 des voitures Champ Car à roues libres et à la fin des années 40 il revient chez lui d'une course à Indianapolis et se dit "Et pourquoi pas une grande piste dans le Sud?" À l'époque, les pistes dans le sud des États-Unis mesuraient moins d'un mille de longueur et avaient une surface en terre battue, et étaient utilisées pour des courses de voitures modifiées ou des tacots.

Touche pas aux poissons!

En 1949 Brasington achète un champ qui avait déjà servi à faire pousser des arachides et du coton près de Darlington. Son intention est d'y construire un ovale symétrique composé de deux lignes droites et deux virages inclinés. Brasington commence à faire son tracé mais Sherman Ramsey, celui qui lui a vendu le champ, lui dit qu'il ne doit pas nuire à l'étang à poissons sur le lot voisin, près de l'endroit où serait construit le virage 2.

Brasington réfléchit, et choisit de déplacer l'extrémité de la ligne droite arrière vers l'intérieur du circuit, et de bâtir les virages 1 et 2 avec un rayon plus petit. Dans les deux courbes, l'inclinaison resterait inchangée à 14 degrés.

Brasington saute sur son bulldozer et construit sa piste avec seulement un peu d'aide externe. Sans notion en génie civil, sinon son expérience acquise dans le domaine de la construction, et avec des moyens limités il travaille le terrain, érige les monticules pour façonner les virages, asphalte sa piste et érige des gradins dont ceux le long de la ligne droite avant sont recouverts d'un toit. Il construit deux lignes des puits, une à l'avant et une à l'arrière, et place la ligne de départ-arrivée sur la ligne droite qui restait alignée selon le tracé original.

La piste de 1.25 mille (2.01 kilomètres) est prête au début de 1950, et il s'agit du premier superovale asphalté aux États-Unis (Indianapolis avait encore un revêtement en brique à cet époque).

Après le travail, les loisirs!

Harold Brasington tente d'organiser une course de stock-car, un concept dont il entend parler de l'émergence dans le Sud. Il s'associe avec un promoteur et annonce la tenue d'une course le lundi de la Fête du Travail en septembre, mais le nombre d'inscrits est faible à quelques semaines de la course. Il entre en contact avec Bill France Sr qui avait fondé NASCAR deux ans auparavant, et France accepte de co-sanctionner la course.

Le premier Southern 500 a lieu le 4 septembre 1950. Il s'agit de la première course de 500 milles (804.6 kilomètres) de l'histoire de la série Grand National (aujourd'hui la Coupe Winston). Les 75 pilotes inscrits au départ, les propriétaires d'équipes et les spectateurs se demandent si les voitures vont tenir le coup pour la distance entière sur cette nouvelle piste asphaltée. C'est presque le double de la distance habituelle courue sur les petites pistes, et tout porte à croire que les vitesses vont être plus élevées qu'à l'accoutumée, alors que la vitesse moyenne de la qualification de tête de Curtis Turner est de 82 m/h (132.6 km/h).

Le départ est donné, et tous roulent à fond pour prendre la tête...sauf le pilote Johnny Mantz, qui avait couru plusieurs fois à Indianapolis. Il s'impose une vitesse de croisière au volant d'une Plymouth chaussée de pneus de camions! La surface de la piste est très abrasive, et une vitesse trop rapide dans les virages allait user prématurément les pneus.

Mantz a fait un bon choix, parce que de nombreux pneus éclatent pendant la course, en raison d'usure causée par la surface abrasive, surtout par un passage trop rapide dans les virages. Les voitures doivent s'arrêter fréquemment pour changer les semelles, mais les pneus de Mantz sont plus durables et il fait moins d'arrêts!

D'autres ont des problèmes de moteur, de suspension ou de bris de de la roue avant droite. Et ce, sans compter ceux qui percutent violemment les murs. C'est que ce n'est pas facile d'y conduire, mais pas du tout! Les voitures se frôlent sur les flancs dans les virages, et les murets semblent agir comme des aimants à la sortie des virages. Mantz termine la course avec neuf tours d'avance sur le deuxième, et complète la distance en 6 heures 38 minutes à une vitesse moyenne de 75.250 m/h (121.1 km/h).

En 1953, le président de Darlington Raceway Bob Colvin décide de repaver la piste et de modifier l'inclinaison des virages. La longueur de la piste change un peu à 1.375 mille (2.213 kilomètres).
En 1957, une deuxième course est ajoutée au calendrier de la série Grand National, cette fois-ci au printemps. C'est le deuxième samedi de mai, soit le jour où le Sud célébrait le jour du Souvenir en mémoire des Confédérés de la Guerre civile américaine (Confederate Memorial Day). La course de 300 milles (482.78 kilomètres), une course de voitures décapotables, est nommée Rebel 300. La course est transférée au calendrier de la série Grand National, et la distance à parcourir est établie à 400 milles (643.7 kilomètres) dès 1964.

La piste est remodifiée en 1969. Les virages un et deux de la plus petite courbe sont dorénavant inclinés à 23 degrés, tandis que ceux des virages trois et quatre sont inclinés à 25 degrés, comme c'est encore le cas aujourd'hui.

La Dame en Noir

La piste a été rapidement surnommée la Dame en Noir (The Lady in Black), en partie à cause de sa couche d'asphalte foncé comme une longue robe noire qui repose sur le sol de la Caroline du Sud. C'est aussi une expression dérivée du nom de la ville de Darlington, qui contient le mot darling (chère, comme dans chère dame).

Mais la Dame en Noir a un sale caractère et ceux qui ont conquis son coeur sont peu nombreux et très chanceux. Ses virages semblent insignifiants, mais ses murets ramènent rapidement les pilotes insouciants à la dure réalité. Certains ont même passé par-dessus bord dans les virages et atterri avec leur voiture dans le stationnement! Ce n'est pas pour rien qu'on dit d'elle que c'est une piste trop dure à dompter (a Track too Tough to Tame).

Il y a eu peu de changements au Darlington Raceway pendant plusieurs années, mais la piste a subi une grande altération en 1989 lorsque l'ouragan Hugo a arraché une partie du toit des gradins, dont un seul conservera son toit. La piste a été repavée entièrement pour la dernière fois en 1994.

En 1997 des gradins ont été ajoutés à la sortie du virage 2 (les poissons sont toujours dans leur étang et ils se portent bien) et ont été nommés Pearson Tower en l'honneur de David Pearson, un des grands pilotes de la Coupe Winston qui domine le livre d'histoire de la piste. Par la même occasion, les dirigeants de la piste ont décidé de déplacer la ligne de départ-arrivée sur l'autre ligne droite et de renommer les virages. Le virage 1 est devenu le 3, le 2 est devenu le 4 etc. En vertu de la nouvelle numérotation, les gradins Pearson Tower sont derrière le virage 4. La ligne des puits à l'avant a été reconfigurée et la ligne droite arrière a été désafectée en 2000.

La piste aujourd'hui

La plus récente mesure du Darlington Raceway indique que la piste mesure 1.366 mille (2.198 kilomètres) de longueur.

Les deux lignes droites mesurent 1 229 pieds (374.6 mètres) de longueur et ont une largeur de 90 pieds (27.43 mètres). L'inclinaison est de 3 degrés en avant et 2 degrés en arrière.

Les virages 1 et 2 sont inclinés à 25 degrés et la largeur de la piste est de 79 pieds (24.08 mètres). Le rayon est de 600 pieds (182.88 mètres) d'une extrémité à l'autre de la courbe. Les virages 3 et 4 sont encore inclinés à 23 degrés mais la largeur de la piste n'est que de 62 pieds (18.90 mètres). Le rayon est également plus petit à 525 pieds (160.02 mètres) d'un bout à l'autre de la courbe. La ligne des puits mesure 2 025 pieds (617.22 mètres), et sa largeur est de 46 pieds (14.02 mètres).

Outre les gradins Pearson Tower du virage 4, les gradins à Darlington sont situés le long des deux lignes droites. Ceux situés le long de la ligne droite avant sont nommés Wallace Grandstand et Tyler Tower en l'honneur de deux anciens présidents de la piste.

Le long de la ligne droite arrière se trouvent les gradins Brasington Grandstand, en l'honneur du fondateur, et Colvin Grandstand, qui honorent un ancien des anciens présidents. Le gradin Brasington possède encore son toit, et est un des symboles les plus remarquables à Darlington, un symbole survivant de la belle époque des grands toits le long de l'ancienne ligne droite avant...

Le record de vitesse en qualification appartient à Ward Burton depuis 1996, et il est de 173.797 m/h (279.686 km/h), soit plus du double de la meilleure vitesse de la première qualification.

Un élément qui distingue Darlington des autres pistes est le Darlington Record Club, un club sélect réservé aux pilotes qui obtiennent la meilleure vitesse en qualification pour la marque de leur voiture. Ce club est supporté par la compagnie pétrolière Pure Oil/Unocal/Tosco depuis 1960. Chaque nouveau membre reçoit un blouson bleu, alors que le détenteur de la position de tête, le plus rapide des plus rapides, reçoit un veston blanc lors d'un souper. Une bague, une plaque, un habit de pilote et de l'argent leur sont également remis. Les membres de ce club ont comme tâche de donner des conseils aux recrues qui affronteront le Darlington Raceway pour la première fois.

La piste Darlington Raceway est un des joyaux de la Coupe Winston. Cette piste regorge d'histoire, de mystique et d'anectodes. Chaque pilote rêve d'y gagner et d'y gagner ses gallons, qu'on appelle Darlington Stripes. Mais ça, c'est une autre histoire...