DAYTONA BEACH, Floride - Je n’aurais jamais pensé que mon expérience et ma modeste expertise en tant que descripteur de poker au Réseau des Sports depuis maintenant onze ans allait me servir dans mon rôle d’analyste de course automobile. À ma grande surprise, l’occasion s’est présentée cette année avec le nouveau format de qualifications adopté par NASCAR en vue du Daytona 500 de dimanche prochain.

La notion la plus importante à retenir pour un joueur de poker, qui espère avoir du succès autrement que par la chance, est de mesurer le rapport entre le risque encouru dans une situation donnée et le bénéficie potentiel de cette même situation.

Par exemple, s’il ne vous manque qu’une seule carte pour compléter une séquence et que votre adversaire a une paire d’as en main, vous avez moins de chances que lui de remporter la main. Par contre, si le montant à investir pour voir votre séquence se compléter au tournant ou à la rivière est assez modeste, il vaut peut-être la peine de miser ce petit montant pour remporter une grosse cagnotte. C’est ça, le rapport entre le risque et le bénéfice potentiel. Si le prix est trop cher pour prendre le risque, le jeu n’en vaudra pas la chandelle.

Avec ses qualifications groupées en vue du Daytona 500, NASCAR a grandement augmenté le risque pour les pilotes et le coût potentiel pour les équipes sans pour autant que les bénéfices espérés ne soient au rendez-vous.

Trop d’appelés, trop peu d’élus

Certes, la position de tête et la position de tête extérieure du Daytona 500 étaient à l’enjeu. En revanche, pour les 47 autres pilotes forcés de se qualifier en groupe, le retour sur investissement se limitait à leur position de départ dans les Duels qualificatifs de ce soir, une position de départ qui veut dire peu de choses sur un tracé comme celui de Daytona.

Au poker, ce serait comme forcer toutes les équipes à se déclarer All In tout en offrant des bourses seulement aux deux meilleurs! L’influence de la chance dame ainsi trop facilement le pion au calcul et à l’habileté.

Sur un superovale comme à Daytona, la position de départ a un impact quasi nul sur les chances de l’emporter. Sachant cela, pas surprenant que les pilotes se demandent pourquoi on les a placés dans une situation où une malheureuse manoeuvre de la part d’un de leurs adversaires peut détruire a) une voiture valant près de 200 000$ b) trois mois de travail acharné de la part des mécanos et c) leurs espoirs de participer au Daytona 500.

C’est justement pourquoi Bobby Labonte et J.J. Yeley ont carrément refusé de participer à la deuxième étape qualificative afin de réduire le risque d’endommager leur voiture, car leurs petites équipes n’ont pas de mulet. Ils se sont retrouvés 11es à la ligne de départ de leurs duels qui comptent 24 et 25 pilotes au départ. Pas mauvais pour deux gars qui, dans les faits, ont abandonné en plein milieu des qualifs! Comme quoi, parfois, le salut est dans la fuite!

Le même type de retrait stratégique s’est vu au Sprint Unlimited de samedi dernier où 5 des 25 pilotes initialement invités, ont laissé leur place pour garder toutes leurs munitions pour les qualifications. Si la tendance se maintient, NASCAR pourrait avoir de la difficulté à garnir ses pelotons pour les premières journées des Speedweeks.

Les duels offrent suffisamment de spectacle

Il est vrai que le type de compétition à Daytona est tellement dicté par l’aspiration, l’aérodynamique et la circulation en peloton qu’il serait bancal de ne pas en tenir compte dans la façon d’établir la grille de départ de la première - et plus importante - course de la saison.

Cela dit, dans le cas de la Coupe Sprint et du Daytona 500, les duels qualificatifs de ce soir permettent justement d’intégrer la notion de course en peloton dans le processus de qualification. Il était inutile et irresponsable d’exposer les pilotes à un tel niveau de risque dès la première étape du (long et complexe) processus qualificatif.

Comme l’a si bien fait remarquer le pilote et, surtout, propriétaire d’équipe Tony Stewart , la première étape des qualifs de Daytona, les essais chronométrés individuels de chaque voiture, servait, depuis 1959, de barème pour le travail abattu par les équipiers.

Les équipiers destitués de leur jour de gloire

Avec des moteurs bridés à 450 chevaux plutôt que 725, avec un ruban d’asphalte aussi lisse et large qu’incliné et, surtout, avec personne autour pour déstabiliser l’air ou tamponner votre voiture, le pilotage n’a que très, très peu d’incidence sur le résultat. Le bolide fait foi de tout. Et les gars et les filles qui se sont désâmés à cajoler et fignoler pendant trois mois la berline qui se retrouve toute seule en piste le savent trop bien.

J’ai assimilé cette notion en 2007 quand Slugger Labbé et son équipe de chez Bill Davis Racing avaient travaillé comme des damnés à préparer la Toyota Camry de Jacques Villeneuve. En visitant leur atelier en Caroline du Nord deux semaines avant les qualifs, Slugger m’avait vanté avec fierté la précision aérodynamique de la voiture, son angle d’attaque optimisé en soufflerie et même le polissage attentionné de la carrosserie. Il m’avait convaincu que l’équipe était All In pour la position de tête. Les essais libres avaient validé le travail de la modeste équipe de Slugger et Jacques, mais un changement de direction dans le vent inattendu avait sapé ses espoirs comme, au poker, un as vient trop souvent découdre une paire de rois sur la rivière.

Regarder des voitures tourner toutes seules en piste est peut-être triste comme les pierres pour les spectateurs. Il suffit cependant d’expérimenter, ne serait-ce qu’une fois, la fébrilité qui anime les mécanos lorsque les chronos s’affichent sur les écrans pour comprendre l’importance de ce rituel pour ces équipiers qui travaillent trop souvent dans l’ombre.

OK pour la Camping World et l’Xfinity

NASCAR a décidé d’ajuster le processus qualificatif pour les courses de la série de camionnettes Camping World et de la série Xfinity de vendredi et samedi en envoyant moins de voitures ensemble en piste et en réduisant le temps de chacune des vagues qualificatives et c’est très bien. Même chose pour le Coke Zero 400 en juillet et les deux courses sur l’autre superovale, à Talladega.

Pour ces épreuves, la qualification établit la grille de départ de la vraie course, un bénéfice suffisant pour justifier le risque accru d’une qualification groupée. Sans compter que cela donne un meilleur spectacle que des essais chronométrés individuels.

En Coupe Sprint, les duels offrent ce spectacle accru et c’est pour que des dizaines de milliers de spectateurs s’entasseront dans les gradins pour voir ces courses.

Dimanche dernier, malgré le format de qualification groupée, le spectacle a été bien désolant. Sauf pour Jeff Gordon et Jimmie Johnson qui se sont partagé les honneurs du premier rang pour le 500, le reste s’est malheureusement résumé à beaucoup de tôle froissée (comme pour Clint Bowyer qui a vu sa voiture principale détruite) et tout autant d’espoirs brisés (comme pour Reed Sorenson dont l’équipe ne possédait pas de mulet pour faire les duels et le 500).

Qu’on laisse donc les équipes exprimer leurs aptitudes et leur stratégie sans les forcer à prendre des risques contre lesquels ils ne pourraient que remporter des bénéfices plutôt marginaux.

À Daytona comme aux Séries mondiales de poker, la chance permet à tout le monde de rêver à un bon résultat, voire même à la victoire. Il faut cependant s’assurer que les règles permettent quand même aux meilleurs user de leurs talents et leurs habiletés pour éviter que le sport ne soit réduit au rang de vulgaire tombola.