Dimanche soir, Kevin Koe a reconquis son trône au Championnat canadien de curling. Pour la troisième fois, avec une troisième équipe différente, le joueur de curling originaire de Yellowknife a remporté les plus grands honneurs. La victoire fut pleinement méritée puisque cette formation a réussi l’exploit de vaincre les trois autres formations qui avaient accédé à la ronde des médailles. En effet, avec le système « Page » utilisé lors des Championnat nationaux, une équipe qui se classe en troisième ou quatrième position doit assurément battre les trois autres formations qui ont terminé dans ce quatuor tant convoité. Koe et ses coéquipiers ont réussi cet exploit en disposant non seulement des trois autres équipes classées pour la ronde des médailles, mais ces trois équipes en question sont présentement les trois meilleures selon l’ordre du mérite mondial. Tout un accomplissement de la part de cette formation qui a été formée l’an dernier.

La formation de Brad Gushue de St. John’s, Terre-Neuve, a vu son rêve de porter les couleurs d’Équipe Canada l’an prochain dans sa propre ville lors du prochain championnat canadien s’envoler au fur et à mesure que Kevin Koe réussissait les pierres clés lors de la grande finale. Gushue en était à une treizième participation au Brier, et pour la deuxième fois en carrière, il a dû se contenter de la médaille d’argent. Cette défaite en finale pour Brad Gushue était une 10e défaite en carrière contre seulement trois victoires dans la ronde des médailles au Championnat canadien.

Le Nord-Ontarien, médaillé d’or aux derniers Jeux olympiques d’hiver, n’a pu faire mieux qu’une médaille de bronze. Après un parcours parfait dans le tournoi à la ronde, cette formation de Sault Ste Marie s’est inclinée lors des demi-finales. Heureusement pour Jacobs, lui et ses coéquipiers ont su se ressaisir à temps pour remporter une victoire contre le Manitoba de Mike McEwen, ce qui leur a permis de grimper sur la troisième marche du podium.

Lorsque l’on jette un coup d’œil sur les résultats de ce Championnat canadien, que plusieurs qualifiaient de plus relevé de l’histoire, il n’y a pas eu de surprise en ce qui a trait aux différents médaillés. On pourrait rejouer ce Brier 2016 et on retrouverait presque assurément les quatre mêmes formations en tête de liste, possiblement dans un ordre différent, mais somme toute les quatre mêmes formations de tête.

Personnellement, je m’attendais à une bataille beaucoup plus féroce pour une position dans le quatuor final. Certains observateurs avaient émis l’hypothèse d’un bris d’égalité multiple avec des fiches de 6-5 à la fin du tournoi à la ronde. Pourtant il n’y a pas eu de bris d’égalité. Même une équipe qui aurait terminé à 7 victoires contre 4 défaites aurait été éliminée, ce qui est très rare au Championnat canadien.  Même que, dès jeudi matin, c’est-à-dire avec encore trois séries de jeux à jouer dans le tournoi à la ronde, les quatre équipes classées pour la ronde des médailles étaient pratiquement déjà identifiées.

À mesure que se déroulait le tournoi à la ronde et que je voyais quatre équipes se distancer des autres rapidement, je me suis interrogé sérieusement sur ce qui pouvait causer cette situation inattendue. J’ai donc regardé la fiche des équipes qui traînaient de la patte. Les équipes qui étaient censées livrer une chaude lutte, les équipes qui permettaient de qualifier ce Brier 2016 de meilleur de l’histoire!

Parmi ces formations, il y avait Steve Laycock de la Saskatchewan, présentement classé 6e au Canada, il y avait Jim Cotter de la Colombie-Britannique, classé 7e au Canada et il y avait aussi Glenn Howard de l’Ontario qui est présentement au  10e rang. C’est sans oublier Pat Simmons, représentant d’équipe Canada,  11e au pays, Jean-Michel Ménard du Québec et Adam Casey de l’Île-du-Prince-Édouard, classés respectivement 26 et 24e au Canada!

Pourtant, toutes ces excellentes formations ont obtenu une fiche cumulative de 2 victoires et 22 défaites contre les quatre formations de tête. Seul le vétéran Glenn Howard a réussi à faire trébucher Koe et Gushue dans le tournoi à la ronde! Était-ce absolument imprévisible comme situation? Peut-être pas autant que l’on a pu le croire à première vue.

On sait très bien qu’au cours des dernières années, la différence entre les formations élite et celles qui aspirent à la devenir augmente. La poignée d’équipes qui dominent d’année en année le classement mondial des boursiers se distancent de plus en plus de leurs supposés rivaux. Ce petit groupe d’équipes pour la plupart appuyées financièrement par différents programmes olympiques ou par l’appui de commanditaires majeurs sont devenues en quelques sortent des joueurs semi-professionnels pour ne pas dire simplement professionnels. Ils se consacrent à temps plein à leur sport. Ils jouent pratiquement toutes les fins de semaine et passent leur période estivale dans les salles d’entraînement. Ils embauchent des entraîneurs ou des psychologues sportifs, des nutritionnistes, etc. Un peu comme le ferait n’importe quel athlète d’élite dans un sport donné. Je ne suis pas un spécialiste en natation, ni en ski et encore moins en patinage de vitesse, mais je serais surpris si le meilleur nageur canadien, le meilleur skieur ou le meilleur patineur de vitesse se contentait de quelques compétitions par année, quand celles-ci coïncident avec son horaire de travail ou ses autres obligations familiales. Si celui-ci devait sacrifier ses trois ou quatre semaines de vacances pour pouvoir participer aux championnats provinciaux et nationaux. C’est la situation dans laquelle se retrouve la majorité des équipes au Canada, sauf celles qui ont un statut de semi-professionnelle.

Le curling est à la croisée des chemins. Le nombre décroissant de participants dans les différentes qualifications provinciales en est la preuve directe. L’époque où quatre joueurs d’un peu partout au pays se consacraient à leur loisir favori et pouvaient aspirer aux plus grands honneurs est révolue. Il y a 10 ans, la formation de Jean-Michel Ménard a remporté le titre canadien. Avec un recul de 10 ans, lorsque l’on regarde l’évolution du sport, il ne serait pas impossible de penser que l’exploit réalisé par Jean-Michel et ses coéquipiers soit le dernier du genre.

Combien d’années encore Curling Canada réussira-t-il à maintenir l’image du Championnat canadien avec un représentant pour chaque province ou territoire versus un championnat canadien qui impliquerait les 10 meilleures formations au pays? La Coupe Canada, deuxième compétition en importance au pays, n’implique que sept formations masculines et sept formations féminines. Les autres formations aux pays, si talentueuses soient-elles, ont réalisé qu’ils n’avaient pas les moyens financiers de supporter l’élite et refusent de participer à cette compétition.

En 2018, la formule du Brier sera modifiée à nouveau, entre autres pour y assurer la participation de toutes les provinces et de tous les territoires, et possiblement une autre équipe issue d’un autre championnat quelconque. Le nombre total des équipes participantes pourrait être de 14. La question que l’on peut se poser est de savoir à quoi bon accroître le nombre si dans les faits seulement trois ou quatre formations ont réellement des chances de grimper sur le podium?

Si l’on regarde la participation du public à Ottawa au cours des derniers jours (plus de 100 000 spectateurs au TD Place),  les différentes cotes d’écoute des différents réseaux de télévision comme TSN/RDS qui continuent d’en surprendre plusieurs et l’implication financière de plus en plus intéressante des différents commanditaires,  Curling Canada pourrait bien, et avec raison, « surfer » sur cette vague pendant encore de nombreuses années. Il faudra cependant peut-être réévaluer notre choix d’épithètes lorsque l’on analysera les forces en présence.