LAUSANNE - Pour faire tomber Lance Armstrong, l'Agence antidopage américaine (Usada) n'a pas lésiné sur les moyens, mais rares sont les fédérations sportives ou agence nationales antidopage qui pourraient se permettre d'en faire autant pour déboulonner un tel champion.

Douze ans se sont écoulés entre le premier des sept Tours de France victorieux du coureur américain et le rapport de l'Usada levant le voile sur ses sombres pratiques pour régner en maître sur le peloton.

Douze années émaillées de doutes, de controverses et d'accusations de dopage, mais aucune suffisante jusqu'alors pour faire vaciller l'Américain, drapé dans le mythe de l'homme capable d'escalader des montagnes comme il a pu vaincre un cancer.

Si Floyd Landis, qui fut l'un des bras droits d'Armstrong avant de lui succéder de manière éphémère au palmarès du Tour en 2006 (victoire annulée pour dopage), n'avait pas décidé de soulager sa conscience au printemps 2010, le Texan détiendrait encore à ce jour le record de victoires de l'épreuve.

Pendant que la Fédération cycliste internationale (UCI) taxait Landis de menteur, son témoignage intéressait l'Usada, mais aussi la justice fédérale américaine, qui ouvrit une enquête.

Victoire par forfait

Celle-ci fut finalement classée en février 2012, mais la justice sportive poursuivit ses efforts et l'Usada dirigée par Travis Tygart parvint à convaincre les mêmes anciens équipiers, qui avaient été appelés à témoigner sous serment devant la justice, à lui livrer leurs aveux.

Au final, une victoire par forfait, Armstrong décidant le 23 août d'abandonner son bras-de-fer avec l'Usada.

À affaire exceptionnelle, moyens exceptionnels avec au final, un rapport de l'Usada de plus de 200 pages qui a non seulement fait chuter le Texan mais aussi plongé le cyclisme dans une profonde crise.

"Ce sont des moyens d'investigation qu'une agence comme l'Usada peut avoir mais que les fédérations individuelles n'ont en principe pas", souligne le juriste suisse, Denis Oswald, lui-même président de la Fédération internationale d'aviron. "C'est bien que cette tricherie à haute échelle ait été démasquée mais je n'ose pas imaginer ce qu'a coûté cette enquête."

"S'il fallait mettre de tels moyens en oeuvre dans chaque cas, on n'y arriverait pas. Les fédérations consacrent déjà des budgets énormes à la lutte antidopage, alors il est clair que cela ne peut rester qu'exceptionnel", fait valoir ce juriste.

Accusée d'avoir protégé la star du vélo pendant toutes ces années, l'UCI répète à l'envi que pas plus qu'elle, l'Usada n'avait réussi à attraper Armstrong par un test antidopage positif malgré les quelques 300 qu'il a subis dans sa carrière, à une époque où les méthodes de détection n'étaient pas aussi pointues qu'aujourd'hui.

Le Kenya pointé du doigt

Et souligne que si l'UCI n'avait pas contrôlé positif Floyd Landis et Tyler Hamilton, ceux-ci, mis à l'index du monde du vélo, ne seraient probablement jamais passés aux aveux.

"Ce rapport n'a pas vu le jour grâce à l'UCI ou l'Usada. C'est parce qu'un enquêteur fédéral a recueilli toute cette information pour le dossier. Cela prouve la nécessité d'avoir la police impliquée dans les enquêtes antidopage", estimait fin octobre Pat McQuaid, qui a pris la tête de l'UCI après la dernière victoire d'Armstrong dans le Tour en 2005.

La chute de l'Américain donne du crédit à l'Agence antidopage américaine, qui n'arrive pas à rallier à sa cause les puissantes ligues de basket (NBA), de hockey sur glace (LNH) ou de base-ball, soit l'essentiel du sport professionnel américain.

Elle redonne aussi quelques vitamines à une Agence mondiale antidopage (AMA) qui peine à convaincre les gouvernements - qui assurent la moitié de son financement, l'autre venant du mouvement sportif - de l'utilité d'augmenter son budget.

L'une des plus grandes icônes du sport a été déchue, mais d'autres suivront-elles? Le président de l'AMA John Fahey s'agaçait mi-novembre de voir les instances sportives au Kenya, pays riche en médailles en athlétisme, rester placides malgré des témoignages sur la circulation de produits dopants dans certains de ses centres d'entraînement.

Le CIO, lui, a mis huit ans avant de pouvoir retirer leurs médailles à quatre et bientôt cinq athlètes montés sur les podiums aux Jeux d'Athènes, dont le champion olympique du marteau, l'Ukrainien Juri Belonog.