TIGNES - Le Tour de France honore, mardi, l'un de ces rendez-vous qu'il affectionne avec sa légende séculaire, en escaladant l'Iseran, où le grand Louison Bobet mit définitivement pied à terre, puis le Galibier, où Coppi écoeura l'adversité.

Les deux cols sont les géants du Tour: 2.770 m pour l'Iseran, 2.642 pour le Galibier.

À ces altitudes, où l'organisme se ressent déjà de la raréfaction de l'oxygène, juillet n'est jamais une certitude. En 1996, la neige tombe soudain au dessus de 2.500 mètres. Au matin, de violentes rafales d'un vent glacial râpent les sommets. L'ascension des deux cols est annulée. Ce qui devait être la grande étape alpestre entre Val d'Isère et Sestrières se transforme en promenade de 46 km dans la vallée.

Il fut pourtant une époque où le Tour passait, quoi qu'il arrive. En 1948, le peloton est surpris par une tempête de neige dans les lacets du Galibier. Bartali et Bobet, les deux grands rivaux, montent ensemble. Bartali place plusieurs attaques. Bobet revient chaque fois. Le Français et l'Italien passent ensemble au sommet.

La descente est terrible. Le Français Lazarides, frigorifié, doit arracher d'un coup sec une stalactite de glace qui s'est formée sous son menton. "Les coureurs naviguent dans un torrent de boue et les crevaisons sont innombrables", note un chroniqueur de l'époque.

Sublime renoncement

Quatre ans plus tard, en 1952, un autre Italien, le campionissimo Fausto Coppi, écrit un nouveau chapitre de l'histoire du Galibier. L'étape redoutée mène les coureurs de Bourg-d'Oisans à Sestrières. Au programme, la Croix-de-Fer, le Galibier, Montgenèvre.

Coppi, agacé par les attaques incessantes de ses rivaux français, choisit le Galibier pour s'envoler. Il creuse des écarts monstrueux, écoeure le Tour, et se présente sur la ligne d'arrivée avec... 7:9" d'avance sur le deuxième, Ruiz.

Désespérés, les organisateurs décident de doubler la prime accordée au deuxième, afin de relancer l'intérêt de la course. Coppi termine le Tour avec 28:17" d'avance sur son dauphin Ockers.

Dans les années 50 toujours, c'est la légende de l'Iseran qui s'enrichit de l'orgueilleux mais sublime renoncement de Louison Bobet. Dans l'ascension, le champion vieillissant se retrouve seul, à la dérive, distancé par tous.

Le triple vainqueur du Tour trouve le courage de grimper les derniers lacets. Au sommet, il pose pied à terre, tend son vélo à son mécanicien et se laisse envelopper dans une capeline imperméable. Bobet quitte à jamais le Tour de France à son point culminant.

Si l'Iseran, depuis, n'a été escaladé que deux fois, le Galibier en revanche nourrit les souvenirs des suiveurs du Tour. Raymond Poulidor se souvient qu'il a perdu le Tour 1974 dans ce col. "J'avais pourtant lâché Merckx l'avant-veille, et nous avions eu une journée de repos la veille, raconte le Limousin, mais je ne sais pas pourquoi, j'ai eu une terrible défaillance dans le Galibier, je les ai vu partir et je n'ai pas pu suivre. J'ai perdu 7 minutes ce jour-là. J'ai finalement terminé deuxième du Tour derrière Merckx".