Je suis incapable de commencer pour vrai la rédaction de ce texte... Écris, efface, recommence, arrête.

Je me sens comme un entonnoir. Rien ne passe dans le goulot d'étranglement. Il y en a trop. De la tristesse? À la tonne. Mais tellement d'autres choses. Des souvenirs impérissables, faits de discussions passionnantes sur le sport, la politique, l'histoire mais aussi sur la vie, de grands éclats de rire aussi, de judicieux conseils ici et là et de ce petit baume de sagesse sur mes insécurités quand il le fallait...

Je bloque encore. Ça ne passe pas. Par instinct, j'appelle Baert. J'ai envie de parler à Jean-Paul et lui dire combien je m'en veux de ne pas avoir organisé ce lunch qu'on s'était promis de prendre ensemble pour se remémorer les Jeux de Londres, qui furent un pur plaisir pour nous. À la fin de ma brève conversation avec Jean-Paul, j'ai succombé à mes émotions, comme un bébé. L'entonnoir s'est libéré…

Pour René Lecavalier, j'avais et j'ai toujours une admiration sans bornes. Notre « père » professionnel a littéralement inventé la façon de décrire le sport en français et il a ennobli notre métier dès ses premiers mots à la radio et à la télé, ensuite. Je suis honoré d'avoir brièvement œuvré à ses côtés, à mes premiers pas.

Pour Richard Garneau, j'avais et j'aurai toujours une admiration sans bornes. Mais les coïncidences de la vie ont aussi fait que j'aurai toujours en plus, pour Richard, une très profonde affection. Nos chemins se sont souvent croisés depuis mes premiers Jeux à la télévision, en 1984, à Los Angeles, pour Radio-Canada. Mais ils se sont confondus à deux reprises, récemment. En partie, d'abord, à Vancouver en 2010 et en totalité, à Londres, l'été dernier. C'est vraiment à cette occasion que j'ai eu l'honneur et le privilège de partager la vie de cet homme remarquable, sur tous les plans. Je serai éternellement reconnaissant d'avoir eu cette chance.

C'est Serge Arsenault qui le surnommait « Le Grand ». Il disait toujours « Le Grand, j'aimerais te parler », « Le Grand, on va faire ceci ou cela »… J'ai toujours cru que Serge avait trouvé le plus beau sobriquet pour Richard.

C'était vrai dans la forme, bien sûr. Quel homme n'a pas rêvé de ressembler à Richard Garneau, même à 82 ans ? Il entrait quelque part et il dominait la place, mais toujours doucement, sans s'imposer. À table, à Londres, je lui ai dit, à la blague mais avec admiration, « Richard, ça m'écoeure, je suis jaloux, t'es encore le plus bel homme du Québec. Tu nous laisses aucune chance ! » Il a souri en me rappelant, un peu gêné, le concours qu'organisait à l'époque Madame Lise Payette et qui l'avait consacré sur le plan de l'éloquence physique.

C'était vrai aussi sur le fond. Richard Garneau était doté d'une très grande culture, il possédait une extraordinaire connaissance générale, qui allait bien au-delà du sport, tout comme ses collègues des beaux jours de Radio-Canada, René Lecavalier, Jean-Maurice Bailly, Raymond Lebrun et Pierre Dufault. Il était féru d'histoire, avait fait le tour du monde et rêvait de le refaire encore. Il avait lu les grands auteurs et était un mélomane averti. Quand venait le temps de livrer sa performance, devant la caméra, « Le Grand » maîtrisait ses dossiers avec une acuité parfaite. Il était aussi, encore de nos jours, doté d'une mémoire exceptionnelle. Plus important encore, il avait encore la passion.

Mais c'était aussi très vrai sur le plan humain. Lorsqu'il se sentait en confiance, il s'ouvrait complètement et acceptait généreusement, en retour, que vous fassiez la même chose avec lui. Il était aussi bon conteur qu'il était bon auditoire. Je ne compte plus les fois où nous avons été tordus de rire, tous les deux, dans la salle de travail de notre quartier-général, à Londres, ou à notre position de commentateurs, dans le grand stade. Mais je retiendrai surtout, éternellement, les discussions à « cœur ouvert » que nous avons eues. L'une d'elles s'est faite sur le quai de la Tamise, au café extérieur de notre hôtel, tard le soir, en sirotant tranquillement un verre de vin. Après une longue journée de travail, tout en admirant la splendeur des lumières de Canary Wharf sur l'autre rive, nous avons partagé plusieurs facettes de nos vies respectives. Il reconnaissait parfaitement mes angoisses personnelles et professionnelles, les ayant connues lui aussi. Il reconnaissait aussi le droit indéniable à jouir de la vie, à aimer et être aimé. Il m'a fait cadeau d'une dose extraordinaire de sérénité, comme il l'a fait pour d'autres dans son entourage.

Des Jeux de Londres, il a souvent dit qu'ils furent ses plus beaux. À chaque fois qu'il le disait, je me réjouissais pour lui. Je considérais que la vie lui rendait bien les choses, qu'elle lui offrait un cadeau qu'il méritait tellement, à cette étape avancée de son parcours. Ce fut un honneur que d'avoir fait partie de sa famille professionnelle immédiate, dans cette phase qui fut si heureuse pour lui.

Lorsque les roues du Airbus 330 d'Air Canada nous ramenant de Londres ont touché le sol, à Dorval, mon vénérable voisin de cabine m'a dit « et bien mon cher Pierre, je ne sais pas si on va se revoir à Sotchi, dans un an et demi... ».

Et bien Richard, je peux te confirmer que tu y seras. Et à Rio, aussi...

Avec nous tous.

Adieu Le Grand. Je t'aime.