Audrée Descheneaux court avec un foie de 103 ans!
En forme lundi, 8 oct. 2018. 15:06 samedi, 14 déc. 2024. 06:03Frivole à 18 ans comme plusieurs jeunes, Audrée Descheneaux décide de partir, sac à dos, direction la Colombie-Britannique. Elle s’arrête à Toronto, circonstances obligent. Nous sommes en 2003. Depuis quelques jours, elle éprouve des problèmes de santé.
Maux de cœur, symptômes de la gastroentérite, elle s’écroule soudainement dans le hall d’entrée d’un édifice à logements. Par hasard, David Blyth, qu’elle avait croisé par inadvertance auparavant, entre dans l’édifice et l’aperçoit, gisant au sol, dans un état lamentable. Il la prend dans ses bras et traverse la rue pour la conduire à l’hôpital.
Elle apprendra plus tard qu’elle s’intoxiquait, un virus, une hépatite fulminante, qui attaque sans avertissement, particulièrement les adolescentes. Les médecins doivent absolument l’opérer et lui greffer un foie en urgence. En même temps, un fermier de 88 ans meurt des suites d’un accident de tracteur sur sa ferme, un grand-papa. Il fallait agir vite. « Je fus jusqu’à l’an dernier, la greffée ayant reçu le plus vieil organe au Canada alors qu’une dame de 92 ans a posé un geste semblable. Je vis aujourd’hui avec un foie qui a 103 ans ! »
Les médecins croyaient qu’ils allaient devoir l’opérer éventuellement pour changer ce foie mais cet organe est le seul sur le corps humain qui peut se régénérer. Audrée a dû attendre deux ans avant de revenir au Québec.
Une histoire inédite pour cette gymnaste convertie à l’athlétisme en 2014 et qui aujourd’hui, pratique la course à pied et la marche rapide. D’ailleurs, aux 21e jeux mondiaux des greffés à Malaga l’an dernier, où étaient réunis 2000 participants de 55 pays, elle a remporté une médaille de bronze à la marche.
« J’adore courir des 5km mais lorsque je termine, je suis souvent malade. Les gens qui me voient paniquent dans de telles situations mais le médicament antirejet que je dois prendre est très puissant et il me faut conjuguer avec les inconvénients. » Audrée était l’unique marcheuse canadienne à ces jeux. En juillet dernier, elle a pris part au championnat canadien à Vancouver.
Elle ne cache pas sa crainte de vivre suite à une greffe. « C’était pire au début. Je craignais la fin. Aujourd’hui, je fais tout ce que je peux pour bien vivre. C’est pourtant ce que je faisais avant qu’il m’arrive cette malchance. Je bouge constamment, je vis avec l’espérance, je n’attends plus pour réaliser mes projets», de dire celle que nous avons rencontrée dans sa maison située en pleine campagne où elle cultive ses légumes et mange des viandes sauvages. « À 25 ans, je disposais d’une densité osseuse extrêmement fragile, d’une personne de 70 ans. Avec les ajustements apportés dans ma vie, tout est redevenu normal aujourd’hui. »
À cause de son médicament, elle ne peut travailler. Elle compense par le bénévolat. Elle s’implique énormément. Elle occupe le poste de chef de délégation de l’Association canadienne des greffés qu’elle conservera jusqu’en 2020.
On lui avait dit qu’elle ne pourrait avoir des enfants. Elle en a eu trois. Savez-vous qui est l’heureux papa ? David Blyth, originaire de North Bay. Vous savez qui il est ? Effectivement, celui qui avait transporté Audrée dans ses bras jusqu’à l’hôpital. À cette époque, il travaillait à Toronto.
Avouez que c’est quand même spécial comme récit ! D’ailleurs, on lui a offert à plusieurs reprises d’écrire un livre sur sa vie. Elle refuse car elle répond qu’elle a trop de belles choses qui viendront éventuellement.
« J’ai contribué à faire prendre conscience aux greffés que le projet de fonder une famille pouvait être réalisable. Mon Dieu que j’aurais aimé que mon donneur puisse voir ce que j’ai pu accomplir grâce à son foie ! » Audréanne, 11 ans, Sara, 10 ans et Olivia, 8 ans comblent maintenant la vie de ce couple des plus heureux.
Pour la découvrir, Audrée m’avait écrit pour me raconter cette histoire suite à sa participation à une course récemment. « J’ai remarqué un homme qui portait un chandail de Marcel Jobin. Je me suis présentée afin d’entamer une discussion. Inscrite pour le 5km, j’ai continué à la fin, trop absorbée par notre échange. Au 7e km, j’ai remarqué que le 2e homme qui l’accompagnait avait glissé de 400 mètres derrière. J’ai proposé d’aller le rejoindre. Nous avons terminé ensemble. À l’arrivée, il me parlait des Olympiques de 1976. Lorsqu’il a enlevé son chapeau de pêche, j’ai cliqué. Je me suis rappelée votre article qui parlait de leur discrétion, de leur générosité. J’ai reconnu les frères Caplette. Pour une jeune débutante à la marche, ce fut un moment de pur bonheur pour mon premier 10km au Québec ! La matinée n’aurait pas été aussi belle si je n’avais pas lu votre article préalablement car je n’aurais assurément pas été à même de saisir la grandeur de l’opportunité qui venait de s’offrir à moi ce matin là. Merci de faire découvrir aux plus jeunes, ceux qui ont pavé la route avant nous. Leurs parcours tout comme le vôtre sont source d’inspiration et de motivation pour les générations suivantes. »
Consciente de la chance qu’elle bénéficie, son attitude trahit sa joie de vivre. À ses yeux, le soleil brille à tous les jours car elle sait très bien qu’à 34 ans, elle compte déjà 15 années supplémentaires à son existence.
Prochaine compétition internationale : Les jeux mondiaux des greffés, du 17 au 24 août 2019 à Gateshead-Newcastle au Royaume-Uni.