Le documentaire de la série 25 ans d’émotions de RDS portant sur la formidable carrière de Jacqueline Gareau a entraîné son lot de commentaires. Plusieurs d’entre vous ont découvert le parcours exceptionnel de cette marathonienne québécoise, qui mérite d’être reconnue bien sûr pour ses nombreux accomplissements, dont sa victoire au marathon de Boston en 1980, mais également pour son rôle de pionnière.

Lorsqu’elle est sacrée championne à Boston, en 1980, les femmes n’ont le droit d’y participer officiellement que depuis 13 ans! En fait, l’histoire du marathon féminin est encore toute récente et mérite d’être racontée.

Pas assez en forme

Longtemps, les femmes se sont vues refuser l’accès à la course de 42,195 kilomètres. Les médecins, surtout des hommes et de pseudo-experts, avançaient que les courses d’endurance représentaient un risque pour le corps de la femme et sa capacité de reproduction!

Jusqu’au début des années 1960, on les croyait incapables de courir longtemps et de survivre à l’éprouvant entraînement d’un marathon. À preuve, lors des Jeux olympiques de Rome, en 1960, les organisateurs acceptèrent d’inclure une course de 800 mètres au calendrier. Mais les membres du Comité international olympique (CIO) refuseront d’aller plus loin. Les femmes participeront donc uniquement à des sprints puisque le 100 mètres, 200 mètres et 80 mètres haies sont déjà au programme.

Il y avait malgré tout des femmes qui couraient la distance dans une certaine forme de clandestinité. Une des premières à l’avoir fait est l’Américaine Roberta Gibb en 1966. Elle rêvait de participer au marathon de Boston. Même si les organisateurs lui refusèrent sèchement l’inscription, elle décida de se cacher dans un buisson et de se glisser discrètement dans le peloton lors du départ. Elle remportera son pari et terminera l’épreuve en un très honorable chrono de 3h21:40.

C’est cependant la compatriote de Gibb, Kathrine Switzer, qui marquera l’imaginaire en devenant la première marathonienne officielle de l’histoire. Contrairement à Gibb, Switzer parvient à s’inscrire à la course de Boston, créée en 1897, mais en usant d’un subterfuge. Celle qui fait partie du club d’athlétisme de l’Université de Syracuse utilise ses initiales et réussit à présenter un certificat médical pour recevoir son dossard.

Kathrine SwitzerL’histoire est connue. Des photos célèbres ont été prises ce jour-là lorsque le directeur de la course, Jack Semple, tente de l’arrêter sur le parcours en s’agrippant à son chandail. C’est grâce à Tom Miller, l’ami de cœur de Switzer, qu’elle peut lui échapper et terminer sa course même si les organisateurs la suivent en voiture pour la menacer de représailles.

Switzer terminera en 4 heures et 20 minutes. Elle sera disqualifiée et suspendue par la Fédération américaine d'athlétisme, qui interdit aux femmes les courses sur route. Peu importe, elle continuera de militer pour la place des femmes et ouvrira les yeux des organisateurs de marathons du monde entier. En 1972, finalement, les femmes auront le droit de courir à Boston. Elles seront neuf à prendre le départ, dont Gibb et Switzer.

Du côté européen, le marathon de Berlin est le premier événement majeur à ouvrir ses portes aux femmes en 1975. Paris le fait en 1979 puis Londres en 1980. Enfin, l’épreuve est inscrite au calendrier des championnats du monde d’athlétisme en 1983.

Et les Jeux olympiques? Il faudra attendre en 1984 pour que cette course d’endurance puisse finalement y accueillir des femmes. Les membres du CIO, à l’exception de l’URSS, avaient tous voté en faveur.

Joan BenoitC’est ainsi que le 5 août 1984, 50 marathoniennes s’élancèrent sur le tracé olympique dans les rues de Los Angeles lors de cette journée historique. Six d’entre elles seulement abandonneront en raison de la canicule (33 degrés). C’est l’Américaine Joan Benoit, double vainqueur du marathon de Boston et meilleure performance mondiale sur la distance, qui gagnera l’or olympique en 2h24:52.

Trois Canadiennes ont pris part à cette grande première : Silvia Ruegger, Anne Marie Malone et Gareau. Ruegger terminera en 8e position avec un excellent chrono de 2h29:09 et Malone en 17e place (2h36:33). Quant à Gareau, elle sera malheureusement contrainte à l’abandon. Une triste nouvelle puisqu’elle faisait partie des favorites en raison de sa victoire au marathon de Los Angeles six mois plus tôt.

Il est donc bon de rappeler que lors de sa victoire à Boston en 1980, Gareau participait à une course qui venait à peine de s’ouvrir aux femmes quelques années plus tôt. Que de chemin parcouru depuis alors que les inscriptions féminines au marathon sont presque à parité en Amérique avec celles masculines et les surpassent même sur l’ensemble des courses de fond.