La Vuelta a Espana : Comment s’alimenter ? Antoine Duchesne explique
Plus mercredi, 29 août 2018. 16:20 samedi, 14 déc. 2024. 11:57La Vuelta a Espana, c’est trois semaines de compétition, 21 étapes, 3271 kilomètres et ce, dans des parcours très montagneux! Les athlètes peuvent brûler jusqu’à 6000 calories en une journée, pas besoin de vous dire que l’aspect nutritionnel est crucial et c’est un enjeu important pour les cyclistes professionnels afin de permettre à leur corps de se rendre jusqu’à l’étape ultime.
Antoine Duchesne n’a plus besoin de présentation. Il y a quelques mois à peine au Saguenay-Lac Saint-Jean, il a été couronné champion du Canada, là où il a donné les premiers coups de pédales de sa carrière. Il a entre-autre participé aux Jeux Olympiques de Rio, au Tour de France et il a remporté la classification de la montagne à Paris-Nice en 2016. Je pourrais continuer encore longtemps à énumérer ses prestigieux résultats, mais avec lui, je voulais discuter de sa préparation en nutrition avant un grand Tour. J’ai donc eu la chance de lui parler quelques jours avant le départ de la Vuelta a Espana.
Antoine en est maintenant à sa deuxième expérience sur la Vuelta, donc le troisième grand Tour de sa carrière. Avant d’aborder la nutrition, essayez de vous imaginer en train de pédaler pendant cinq-six heures en moyenne par jour et ce, pendant pratiquement un mois. Semaines après semaines, vous bravez la canicule de l’Espagne sur votre vélo en empruntant les plus hautes routes montagneuses sur lesquelles vous y laissez votre sueur et votre courage. Jours après jours, vous faites votre valise avant de monter dans votre autobus d’équipe pour plusieurs heures de déplacement afin d’aller affronter une nouvelle étape qui vous réservera des surprises dont vous connaitrez l’existence seulement après avoir franchi la ligne d’arrivée. Le lendemain, vous recommencez.
« On fait des journées de 15 heures, après le transfert d’autobus, il est 22 heures et c’est le seul moment de la journée où on peut prendre du temps pour soi. » De voir à quel point tout cela est exigeant, il est logique d’arriver frais et dispo n’est-ce pas? Peut-être avec un poids corporel qui n’est pas trop bas?
Dans une compétition comme la Vuelta, les athlètes ne peuvent pas se permettre d’arriver trop lourds, puisque ça commence en montagne et ils ne peuvent pas se fier aux premières étapes pour perdre le kilos d’extra, contrairement au Tour de France qui commence sur des étapes de plat. « Tout le mois avant la Vuelta, j’essaie d’arriver à un poids de départ qui n’est pas trop lourd et pas trop maigre, car je peux perdre de deux à trois kilos sur trois semaines de compétition. »
Son poids optimal, il s’en approche graduellement avant le Tour et avec son expérience, il sait maintenant comment son corps réagit, donc il perd doucement les kilos pour s’assurer de ne pas avoir de carence. « C’est très différent d’une course d’un jour où tu dois faire des blocs de « low carb », où tu diminues considérablement l’apport en hydrate de carbone la semaine avant pour essayer de perdre le dernier kilo et pour vider les réserves. Le soir du dernier entrainement, tu « carb load » c’est-à-dire, tu augmentes considérablement ton apport en hydrate de carbone pour stocker, mais pour la Vuelta, tu dois y aller progressivement. »
Préalablement, un nutritionniste de l’équipe aura fait des évaluations et des tests sur chaque coureur. Par exemple ils vont regarder la quantité de sel dans l’urine et ils vont leur conseiller des combinaisons de repas ainsi que les quantités adéquates pour chacun. « J’ai déjà pesé mon riz, mes pâtes, mes protéines et maintenant je sais combien de gramme j’ai besoin pour mes repas et mes collations pour performer. » Par la suite, le nutritionniste aura ces informations précieuses et pourra régler ce qui ne va pas s’il y a lieu.
Maintenant qu’on a traité l’avant-Vuelta, ce qui m’intéresse, c’est qu’est-ce qu’il faut manger pendant une longue journée de compétition, lorsqu’on sait qu’il y en aura encore vingt autres par la suite? Est-ce qu’il faut penser au lendemain pour avoir suffisamment de nutriments? Comment s’assurer de ne pas « frapper le mur » après cinq jours? « Il ne faut pas finir sur les rotules, il faut être constant sur la nutrition et on doit s’assurer de manger la quantité d’énergie dépensée et en aucun cas aller en-deçà pour ne pas aller taper dans les réserves. » Pour être certain d’être dans cet équilibre calorique, les dirigeants ont des machines qui vont scanner et analyser l’hydratation, le poids et le taux de gras de l’athlète. Ils feront alors un suivi à trois ou quatre reprises durant le Tour.
Voici un exemple de l’ingestion des calories pendant une journée typique sur la Vuelta:
Déjeuner : Antoine s’assure de prendre son déjeuner 3h30 avant le départ. « Je mange une grosse quantité de yogourt grecque avec des granolas ou mueslis et des bananes. Je mets environ 200 grammes de céréales dans mon bol. » Il ne remange pas avant le départ, mais il prend la boisson « pre-race » que l’équipe lui prépare. Elle est composée de maltodextrine (poudre blanche utilisée chez les sportifs avec un mélange de plusieurs sucres lents) et d’oligoéléments ce qui aide au bon fonctionnement de l’organisme.
Pendant l’étape : « Au niveau digestif, j’ai déjà eu des problèmes, donc je mange à peu près les mêmes gels et barres au même moment de la journée. » Il va donc commencer avec un gâteau de riz (rice cake cuisiné par l’équipe), une barre, un gel énergétique de longue durée puis il remangera une barre et ainsi de suite. Il prendra un total de trois gels de longue durée dans sa journée et deux gels énergétiques de sucre rapide. « Je mange environ aux trente minutes, selon les périodes d’accalmies et je sais que dans la dernière heure, je ne pourrai pas manger en raison du rythme de course beaucoup trop élevé. »
Après l’étape : Tout de suite en débarquant du vélo, il prend une bonne boisson de récupération pour refaire instantanément les réserves dans les muscles.
Souper : Le soir, il mange une entrée, un plat avec une protéine (viande quelconque), quinoa ou patates et un dessert. « J’ai souvent deux ou trois gros sacs de bonbons dans ma valise et des fois, je prends une petite bière, disons que ça fait du bien de temps en temps! »
En gros, c’est à ça que peut ressembler l’aspect nutritionnel pendant les trois semaines, mais ça c’est quand tout va bien. Je me demandais s’il y avait des moments où Antoine n’a plus envie de rien manger à force de se surmener? « Après dix jours de course, tu atteints un plafond de fatigue et tu tombes dans un état végétatif. Tu te lèves, tu manges, tu roules, tu dors et tu es juste tout le temps fatigué. C’est un bon signe quand tu as de l’appétit, parce que quand tu n’as pas envie de manger le matin, c’est un signe que tu es défoncé et c’est là qu’il faut être à l’écoute de ces signaux pour mieux prévenir. »
Il n’y a aucun doute, il doit y avoir des moments ardus pendant ce type d’épreuve, il faut être prêt mentalement et savoir dans quoi on s’embarque. À cela s’ajoute le reste de la saison, car Antoine ne terminera pas sa saison après la Vuelta, il faudra donc qu’il s’assure de ne pas tomber malade et de maximiser sa récupération, car à 6 pieds 3 pouces, 76 kilos, il n’y a pas beaucoup de marge de manœuvre. Il terminera la Vuelta le 16 septembre et il s’envolera pour l’Autriche où il représentera le Canada aux championnats du monde le 30 septembre. Si vous faites le calcul, il n’y a pas beaucoup de temps!
« Puisque je dois préparer les mondiaux, je ne peux pas prendre repos complet pour ne pas arrêter la machine, donc je vais prendre quatre à cinq jours pour rouler facile et je vais recommencer les blocs d’entrainement. » Est-ce qu’il faut manger davantage pour refaire les réserves? « Pas nécessairement, mais parfois, deux jours après un grand Tour, tu es dans le beat de manger 5000 calories par jour, mais il faut rester concentré sur le prochain objectif. »
Gageons qu’Antoine gardera son poids plume jusqu’aux championnats du monde, car il aura beaucoup à faire sur ce parcours de 259 kilomètres avec 5000 mètres de dénivelé. « C’est un parcours pour des coureurs comme Chris Froome, Thibaut Pinot, Vincenzo Nibali et moi j’aiderai Michael Woods à sortir un bon résultat pour la nation. »
N’hésitez pas à encourager et à suivre Antoine pendant la difficile Vuelta a Espana via son compte Instagram ou sa page Facebook.