Marcel Jobin, le marcheur de légende
En forme dimanche, 25 nov. 2018. 09:48 vendredi, 13 déc. 2024. 11:48Le marcheur athlétique Marcel Jobin est une véritable légende de l’athlétisme canadien. Au-delà de son surnom de « fou en pyjama », inspiré des automobilistes qui le voyaient s’entraîner dans son survêtement de coton ouaté à la fin des années 50, Jobin est un homme qui donne l’exemple en continuant de s’entraîner activement et de marcher à l’âge de 76 ans.
Ses 15 sacres de champion canadien sur 20 kilomètres de 1969 à 1984 et ses deux présences à des Jeux olympiques, dont ceux de Montréal en 1976, lui ont valu tous les honneurs. Il est chevalier de l’ordre national du Québec et membre de l’ordre du Canada. En 1993, il fut intronisé au Panthéon des sports du Québec.
À tous ceux qui le connaissent mal, un simple coup d’œil aux meilleurs chronos du marcheur de St-Boniface, en Mauricie, donne un aperçu de ses réalisations.
3 kilomètres marche : 11 : 34
5 kilomètres marche : 19 : 54
10 kilomètres marche : 40 : 00
20 kilomètres marche : 1 h 24
30 kilomètres marche : 2 h 09
Marathon marche : 3 h 09
50 kilomètres marche : 3 h 47
J’ai eu le privilège de m’entretenir avec Marcel Jobin lors du plus récent gala Athlètas de la Fédération québécoise d’Athlétisme, soirée lors de laquelle il a été honoré pour ses réalisations dans la catégorie des vétérans. En 2018 seulement, il a établi cinq records canadiens en plus de réaliser la meilleure performance mondiale au 10 km marche sur piste.
Monsieur Jobin, comment s’est déroulée votre année 2018? Quelles ont été vos principales réalisations?
Certainement ma participation aux Championnats des maîtres en septembre dernier à Malaga, en Espagne. J’avais l’objectif de remporter trois médailles d’or, mais j’étais peut-être trop confiant. Finalement, j’ai gagné des médailles de bronze aux 5 et 10 kilomètres. J’étais déçu, car, sur papier, j’étais le favori pour gagner, mais c’est sur la piste que ça se décide.
C’est important pour vous d’être en forme et de vous entraîner?
Je n’ai pas d’entraîneur alors je me prépare seul. C’est ainsi depuis plusieurs années. J’ai commencé à courir en 1958 et à marcher en 1968. Rapidement, j’ai compris l’importance de l’activité physique et tant mieux si j’ai servi de modèle à plusieurs. À mes débuts, les gens me voyaient passer et me traitaient de fou en pyjama en me demandant ce que je faisais. Aujourd’hui, je suis heureux de constater que la plupart des gens réalisent que d’être en forme ça vaut bien des médicaments.
Cette expression du « fou en pyjama » vous a suivi longtemps. Avez-vous déjà été attristé d’être affublé de ce surnom?
Je n’aimais pas ça au début! Je marchais plus de 100 kilomètres par semaine et un automobiliste sur deux me faisait clairement savoir que j’étais fou et que ma place n’était pas sur la rue. J’ai éventuellement réussi à me concentrer et à ne plus les voir. Les gens ont compris mon travail en 1976 aux Jeux olympiques de Montréal. J’étais un des rares Québécois et, à l’inverse de ce que j’avais vécu depuis 1958, je ne passais plus pour un fou. J’étais une vedette!
Pourquoi avoir choisi la marche? Vous auriez certainement été un excellent coureur.
J’ai commencé à courir en 1958, j’avais 16 ans. Ma première course fut la Classique du parc La Fontaine, à Montréal. J’ai déjà couru un 10 kilomètres en 34 minutes! En 1965, le marcheur et coureur Nicolas Maroni m’avait invité à participer à des courses de raquettes et je ne terminais jamais bien loin derrière lui. Il voyait que j’avais une bonne technique de marche et m’a convaincu d’essayer ce sport. J’ai donc commencé à m’entraîner à la marche en 1968. Les deux premières années, je marchais en soirée dans la région de Shawinigan pour que les gens ne puissent pas me voir. Tout a déboulé par la suite. Record canadien en 1969 et champion national de 1969 à 1984.
Dans le fond, j’ai choisi la marche car je n’avais pas un bon VO2Max. Je ne suis pas un Pierre Harvey. La marche est une discipline qui requiert une technique délicate et demande moins de cardio, mais beaucoup plus d’endurance. Il est arrivé souvent que je gagne des trophées pour la meilleure technique en compétition. Je qualifierais la mienne de très économique.
Lorsque vous songez à votre carrière, avez-vous l’impression de ne pas avoir reçu suffisamment d’attention médiatique et de reconnaissance?
Sans être prétentieux, je répondrais que oui. On vient d’honorer au plus récent Gala de la Fédération québécoise d’athlétisme un officiel qui œuvre dans le milieu depuis 35 ans (NDLR : Daniel Michaud). C’est bien. Mais moi, je suis là depuis 60 ans! Il y a un peu de moi dans plusieurs Québécois qui marchent ou courent aujourd’hui. À ce même gala, j’ai tout de même été honoré dans la catégorie des maîtres, alors ça me réconforte de savoir que les gens ne m’ont pas oublié. On me dit parfois que j’ai été le Maurice Richard du sport amateur.
De quelles compétitions gardez-vous le plus beau souvenir?
Bien sûr, il y a les Jeux olympiques de Montréal en 1976. Mais ma médaille d’argent sur 30 kilomètres en 1982 aux Jeux du Commonwealth à Brisbane, en Australie, occupe une place particulière. J’avais battu Guillaume Leblanc qui avait terminé juste derrière moi. Je m’étais présenté à l’arrivée en 2 h1 2 après avoir réussi un 2 h 09 lors des essais.
Je me souviens également d’un 50 kilomètres en 1981 à Mexico. J’étais dans ma meilleure forme. Nous étions une cinquantaine de marcheurs. Les meilleurs Russes et Mexicains étaient là. J’avais terminé deuxième (3 h 56) après avoir mené la course pendant 45 kilomètres. Un Russe m’avait dépassé à trois kilomètres de l’arrivée.
Et je suis particulièrement fier de mon record canadien sur 50 kilomètres en 1983 (3 h 47). Un record que j’ai gardé pendant 34 ans et qui a été battu par Evan Dunfee (3 h 41).
Êtes-vous fier de votre carrière?
Je suis heureux même si ça n’a pas toujours été les conditions idéales. De 1980 à 1984, j’ai pris un congé sans solde de quatre ans. Je travaillais à la compagnie Alcan à Shawinigan. J’ai ainsi pu m’entraîner à temps plein et même si j’étais rendu un p’tit vieux, j’ai fait les meilleures performances de ma carrière.
Aux Jeux olympiques de Los Angeles, en 1984, à l’âge de 42 ans, j’ai terminé en 1 h 24 au 20 kilomètres et 3 h 47 au 50 kilomètres. J’étais capable de marcher un 10 kilomètres en 40 minutes. Si j’avais eu la possibilité de m’entraîner de la sorte dix ans plus tôt, j’aurais des médailles olympiques accrochées dans le cou.
Qu’est-ce qui vous pousse à continuer de marcher et de participer à des compétitions?
Je suis toujours en bonne condition physique pour un gars de mon âge! On me demande parfois si j’ai mal à certains endroits et je réponds que j’ai mal partout. Mais mon jeune médecin me dit qu’à 76 ans, il n’y a pas grand monde qui n’a pas mal quelque part. Marcher et m’entraîner me garde jeune physiquement et mentalement.
Vous pensez quoi de la relève à la marche au Québec?
Lors de mes bonnes années, de 1979 à 1984, les six meilleurs marcheurs au pays étaient tous des Québécois. Maintenant, c’est plus dans l’Ouest canadien qu’on retrouve les bons marcheurs. Ça revient tranquillement au Québec car c’est un sport accessible. Par exemple, quelqu’un de 45 ans qui n’a jamais fait de sport et qui veut commencer à courir ne va pas trouver cela évident. Alors, il optera pour la marche qui est aussi bonne pour la santé que la course et qui requiert une grande endurance.
Quels sont vos objectifs pour 2019?
Au mois de mars, je serai en Pologne pour les Championnats du monde intérieur. Je participerai aux 3 000 mètres et 10 000 mètres. En 2020, ces mêmes championnats seront à Toronto et j’ai l’intention d’y être.
Lors des Championnats de Malaga, il y avait deux participants centenaires. Ça m’encourage! Mon corps est habitué à l’entraînement et j’ignore ce qui se passerait si je devais arrêter. Si je saute deux ou trois journées d’entraînement, je ne me sens pas bien. C’est un besoin. Une chose est certaine, je veux marcher encore longtemps!