Des LANs de campagne aux campagnes publicitaires léchées de TBS, le chemin parcouru par l’esport est à peine croyable pour quiconque a vécu une époque dorénavant révolue, où une carte graphique était la plus grosse récompense qu'on pouvait espérer d’une victoire de tournoi. L’esport est en train de vivre une incroyable explosion, plus particulièrement dans sa facette financière.

Pour une grosse poignée de dollars

L'inspiration sud-coréenne a été capitale, avec le succès de Starcraft : Brood War. Devenu sport national au pays du matin frais, ce dernier fut le premier à transformer les prodiges du clavier en stars adulées et aux gains fructueux. Ces fameuses dotations de tournois sont l'argument pointé en fer de lance d'une activité qui a longtemps inspiré la méfiance, au mieux l'étonnement, plutôt que le respect ou l'admiration du grand public. En effet, le sport électronique cherche depuis sa sortie des sous-sols cette fameuse reconnaissance. Ce sont depuis plusieurs années les gains parfois colossaux qui sont agités pour attirer l'attention, et faire comprendre que l'esport va bien au-delà de quelques jeunes un peu trop accros à leur Nintendo.

Le meilleur exemple reste le fameux tournoi annuel de Dota 2, The International, avec ses records absolus grimpants d'année en année. En effet, le TI est depuis trois ans le premier chiffre avancé pour accrocher une oreille un peu trop récalcitrante : des 2,8 millions de dollars en 2013, pour atteindre les vertigineux 20 millions distribués l'été dernier, c'est assez pour briser la glace et faire comprendre que oui, les tournois de jeux vidéo, c'est du sérieux.

D'autant plus que dans ce cas précis, il ne s'agit pas d'une compagnie avec un peu trop d'argent dépensant sans compter, mais d'une communauté réunie autour d'un événement unique : en effet, le développeur depuis la toute première édition en 2010 ne pose « que » 1,2 M sur la table. Le reste des fonds provient d'un coup de génie marketing, le Compendium : sorte de grimoire du joueur, il permet d'acquérir diverses améliorations cosmétiques, parier sur les résultats du tournoi, mais surtout, soutenir la scène professionnelle : 25 % des 20 $ que coûtent cette addition sont directement injectés dans les bourses du TI, amassant une cagnotte historique.

Et pour quelques millions de dollars de plus

Cependant, à en juger par la courbe des montants, on risque d'atteindre un certains plafonnement du montant de l'International. Mais c'est un autre raisonnement qui vient s'intégrer ici : l'esport ne va bientôt plus avoir besoin des billets pour faire valoir sa légitimité, pour laisser la place aux trophées.

Alors bien entendu, on n’a pas attendu 2017 pour créer des ligues tentant d'asseoir leur notoriété sur le long terme et briller par leur prestige, comme le fait le circuit Dreamhack Open depuis plusieurs années, ou encore l’ESL Pro League. Mais la multiplication des structures de tournois a souvent dilué cette valeur. Riot l'a très vite compris, en prenant en main sa scène compétitive immédiatement, et en valorisant la Coupe de l'Invocateur plutôt que la montagne de billets, pourtant bien réelle.

Si l’on regarde du côté de Hi-Rez et son titre phare Smite, le studio a décidé l’an dernier de tout simplement fixer un plafond aux bourses attribuées lors de sa finale annuelle, à hauteur d’un million de dollars. Objectif de l’opération : répartir au mieux l’argent récolté par la communauté, afin de soutenir sa scène compétitive plus équitablement, plutôt que d’arroser seulement l’élite. Constat assez similaire chez Blizzard, dont l’annonce fracassante de sa future ligue Overwatch n’a pas évoqué une seule fois les prix attribués, mais communique plutôt sur la stabilité de la future scène professionnelle.

The International 6 : AegisLe Major et ses gros calibres

Exemple criant sur le circuit CSGO : le plus gros montant jamais distribué a été fracassé lors des WESG, le nouveau circuit chinois soutenu par le géant de la vente en ligne Alibaba. Ce sont les Français d’EnVyUs qui ont remporté le pactole de 800 000 $, dans un tournoi qui a surtout brillé par l’absence des gros calibres de la discipline, en dehors des Polonais de Virtus.pro. Si les règles concernant les nationalités des joueurs étaient certainement une restriction prohibitive pour beaucoup d’équipes, il faut chercher des explications ailleurs, plus exactement du côté d’Atlanta : en effet, deux semaines plus tard se déroulait le dixième Major de CSGO, doté « seulement » d’un million de dollars, dont la moitié fut remportée par les vainqueurs. Seulement voilà, le prestige de l’unique compétition estampillée Valve vaut bien plus que des billets, et une ligne bien plus brillante dans le grimoire de l’Histoire de Counter-Strike.

Valve, le Battle pass et l’International

Valve se retrouve donc dans une situation particulière, avec un revers de la médaille TI à gérer. Le fameux Compendium, reconverti en passe de bataille, ne pourra plus grossir indéfiniment le trésor de guerre, devenu marque de fabrique de l’événement. L’augmentation d’une année à l’autre se fait de plus en plus timide, et une régression serait ressentie comme un affaiblissement de la scène Dota 2.

Pour l’instant, les sbires de Gabe Newell semblent résolus à continuer de tirer sur la corde, avec la dernière mouture du Winter 2017 Battle Pass visant le prochain Major de Kiev. Mais maintenant que le sport électronique a l’aval des grands clubs de ce monde, comme le Paris Saint-Germain ou les Sixers, et que les coups de millions sont dorénavant dans les coulisses, Valve va devoir tôt ou tard faire le ménage dans la basse-cour CSGO, objet de guerre des ligues impitoyable. Quant à Dota 2 et The International, si ces sommes mirobolantes sont déjà mieux réparties entre les équipes qualifiées depuis 2014, et que la renommée de l’Aegis of Champions n’est plus à faire, son évolution devra certainement continuer. Rendez-vous cet été, pour la septième édition du tournoi le plus lucratif de l’histoire du sport électronique.