Il y a quelques jours, Cesare Prandelli avouait son émotion à l'idée d'affronter son vieux maître, Giovanni Trapattoni. Et reconnaissait combien il avait appris auprès du «Trap'», à l'époque où il portait les couleurs de la Juventus (début des années 80). Lorsqu'il parle d' «Il Mister», l'expression dépasse le simple respect dû à un professeur; il se teint d'admiration, de vénération, d'humilité et d'un brin de nostalgie.

Au cœur du Stade National de Varsovie, Cesare Prandelli est certainement devenu un «Mister».

Il est sans doute moins «cérébral» qu'une longue litanie d'entraîneur auxquels l'Italie nous avait habitués. Lippi, Capello, Sacchi, Ancelotti, Maldini père… Le Trap'», bien sûr… Moins cérébral dans ce sens où son cerveau ne baigne pas en permanence dans une sauce «tactique-tactique-tactique…». Il ressemble beaucoup plus à un Nevio Scala (Parme 90-96), une sorte de savant fou, allumé. Passionné par le jeu.

Lorsqu'il prend en main la sélection, après un calamiteux Mondial 2010, il décide de trancher net là où son prédécesseur, Marcelo Lippi, n'avait pas osé… Non pas dans les choix individuels de joueurs (après tout, neuf des onze titulaires contre l'Allemagne ont un passé avec la Squadra Azzura qui précède sa nomination), mais dans la forme et l'idée de son équipe. «Après le Mondial, expliquait-il, les joueurs étaient d'avis de passer à autre chose dans le jeu. Je souhaitais jouer sur les forces de ce groupe, et avec ces joueurs, ça voulait dire un jeu plus offensif…»

Il a des idées. À commencer par celle d'aligner le duo le plus improbable en attaque, deux joueurs écartés par Lippi pour 2010 en raison de leur volatilité, du risque qu'ils faisaient peser sur le groupe, Cassano et Balotelli. L'idée originale était de les associer à Guiseppe Rossi dans un 4-3-3 plutôt percutant. Les blessures et méformes ont empêché ce projet d'aboutir. La blessure de Rossi, très tôt cette saison (et la quasi-certitude qu'il ne pourrait pas revenir à temps pour l'Euro) a définitivement balayé cette option. Retour au tableau noir, et peu à peu se dessine une équipe «à géométrie variable», capable d'évoluer selon plusieurs schémas différents (quelle formidable base tactique chez chaque joueur!). Dans cet Euro, l'Italie - au gré des rencontres et des nécessités (blessures, suspensions) - aura quasiment modifié son onze de base d'un match sur l'autre.

Prandelli reconnaît aussitôt que l'ossature de la Juventus lui offre une chance exceptionnelle. Buffon, Bonucci, Chiellini, Barzagli, Pirlo (on en a déjà parlé de celui-ci), Marchisio, Giaccherini (pour le début du tournoi) sont pensionnaires chez la «Vieille Dame». Balzaretti, maintenant à Palerme, y a fait une partie de sa carrière (au moment de la descente en Serie B). Le corps est là, la tête est là. Avec les deux de devant, les ajouts de De Rossi (lecture du jeu) et Montolivo (aisance technique, que Prandelli a connu à la Fiorentina) ou Thiago Motta (volume de jeu) bonifient un milieu à quatre «centraux» qui se répartissent la tâche: Pirlo, reculé, le directeur de jeu. Autour de lui, De Rossi et Marchisio en pistons avant-arrière. Un cran devant, Montolivo ou Motta en «faux 10», qui décroche régulièrement.

Contre l'Allemagne, c'est cette belle mécanique du milieu qui a su peu à peu se libérer du marquage (titularisation de Kroos pour tenir Pirlo en pince avec Özil); De Rossi se dégage et recule à la hauteur de Pirlo pour varier la relance et le libérer du marquage; montées progressives des latéraux, Chiellini et Balzaretti… Au fait, Chiellini est plus souvent axial que latéral (il est à gauche en raison de la non-sélection de Criscito), Balzaretti est un lat' gauche plutôt que droite. Ils ont été excellents l'un comme l'autre. Comme quoi, le savoir-faire tactique peut effacer les possibles carences d'un faux placement.

Bon, évidemment on va parler de notre Mario préféré. Prandelli l'a lancé dès le premier match contre l'Espagne. A maintenu sa confiance ensuite, contre la Croatie, avant de le mettre sur le banc contre l'Irlande (entré en jeu, un but - et quel but), sans doute le match où il n'aurait pas fait de réelle différence sur 90 minutes. Mais quelle confiance, et quelle réponse! Ce coup de tête majeur, dominant, déterminé, au-dessus d'un Badstuber bien timoré. Cette prise de balle sur une sublime ouverture de Montolivo… La prise de balle est magnifique, mais ce qui vient après est au moins aussi dur. La course pour rester hors de portée (le marquage allemand a généralement été très naïf), la prise d'élan, la frappe… On a l'un des buts de cet Euro, qui n'a pas été trop riche en buts spectaculaires.

On reviendra sur l'Italie (entre-autres Buffon, magnifique) avant la finale. Reste l'Allemagne. Joachim Löw a peut-être légèrement surestimé son groupe. Qui est apparu un peu tendre, un peu jeune, un peu naïf sur certaines phases de jeu (en ne sachant pas compenser le surnombre italien au milieu par exemple, qui a toujours laissé Pirlo, De Rossi ou Marchisio offrir une solution, sans compter Balzaretti et Chiellini). L'idée Kroos était bonne - mais mal appliquée. Le retour de Podolski, définitivement raté. Mangé par Balzaretti. Gomez? Trop unidimensionnel, même s'il représente une option de choix, il n'a jamais joué (sauf une fois) hors du marquage. Il a manqué à l'Allemagne un brin de fantaisie, de choix imprévu, de «dé - rythmage» (jouer hors rythme, comme attendre une fraction de seconde de plus sur un une-deux, ou chercher un troisième joueur). L'ensemble s'est finalement essoufflé, perdant au passage un paquet de lucidité lors des gestes créatifs. Sans oublier un manque terrible de choix sur les corners ou centres, toujours gagnés par l'Italie (sauf celui de Hummels en début de match, sauvé par Pirlo). Au bout du compte, une victoire qu'on ne qualifiera peut-être pas de «facile» pour l'Italie, mais sans doute moins difficile que ce à quoi ils pouvaient s'attendre. Est-ce le début d'une «ère Prandelli»?