(ESPN) - Il est une super vedette sans être reconnu, qui joue pour une équipe qui n'a pas de domicile. Dites-moi pourquoi Vladimir Guerrero ne constitue pas la plus belle histoire ce printemps.

Où sera-t-il en mars 2004? Dans le même sens, où sera son équipe? À Montréal? À San Juan? Aura-t-il un domicile fixe ou encore jouera-t-il pour une équipe itinérante à la recherche d'un stade au coin de la rue?

Vladimir Guerrero ne le sait pas.Frank Robinson ne le sait pas. Omar Minaya ne le sait pas. Bud Selig ne le sait pas.

Vladimir a produit 111 points en 2002, une cinquième année de suite avec 100 points produits ou plus.

Ce que nous savons, c'est que Guerrero sera agent libre à la fin de la saison. S'il décide d'aller jouer ailleurs l'an prochain ou s'il est échangé en juillet, la situation déjà ridicule des Expos de Montréal ne pourra plus être considérée que comme une grosse blague.

"Si nous le perdons, a dit son coéquipier Brad Wilkerson, ce sera injuste pour cette organisation, qu'elle se retrouve à Montréal ou ailleurs. Il est impératif de le garder. Il est le coeur et l'âme de cette organisation."

Tout à fait, il est le coeur de cette équipe. En fait, il est le système cardiaque entier de cette concession.

À l'âge de 27 ans, Guerrero est déjà le meneur de l'histoire des Expos au chapitre de la moyenne avec 322. Quand la saison sera terminée, il pourrait avoir réussi à devancer Andre Dawson et Garry Carter comme meneur pour les circuits.

Au cours des cinq dernières saisons, le seul joueur du baseball à avoir récolté plus de coups sûrs que Guerrero (982) est Derek Jeter. Sammy Sosa, Todd Helton et Barry Bonds ont toutefois plus de coups sûrs de plus d'un but. Les seuls joueurs de la Ligue nationale qui ont plus de circuits que Guerrero au cours des cinq dernières années, sont Bonds et Sosa.

Les seuls joueurs de la Ligue nationale qui ont produit plus de points que le numéro 27 des Expos (582), sont Sosa, Helton et Jeff Bagwell. Puis, un seul joueur est parvenu à demeurer suffisamment en santé au cours des cinq dernières saisons pour jouer plus de matchs que lui. Il s'agit d'Andruw Jones. Guerrero a disputé 793 rencontres et le seul voltigeur à avoir obtenu plus d'assistance que Guerrero en défensive est Mark Kotsay. Vlad en totalise 66.

Mais je n'ai pas besoin de vous raconter tout cela pour prouver que Guerrero est vraiment un joueur extraordinaire. Ce qui le rend aussi fascinant, c'est qu'il ait excellé depuis cinq ans tout en restant dans l'anonymat.

"Je ne connais pas vraiment son caractère, a dit un représentant de la Ligue nationale. Je ne connais rien de sa personnalité simplement parce qu'il est un gars très tranquille. Puis, je ne connais rien de sa personnalité parce qu'il joue à Montréal. Pour être honnête, peu de gens connaissent de choses sur lui, sauf ses qualités de joueurs."

Ses grandes habilités sur le terrain sont déjà bien suffisantes pour lui permettre d'empocher un très, très, très gros chèque de paie. C'est le reste, ce qu'on ne connaît pas de lui, qui le rend aussi intrigant dans le monde des supers vedettes des temps modernes.

Sa disponibilité sur le marché des joueurs autonomes l'hiver prochain laisse déjà entrevoir qu'il pourrait toucher des sommes encore plus affolantes que celles qu'il touche déjà.

"Nous avons tenté de discuter avec son agent Fernando Cuza cet hiver, a dit le directeur général des Expos, Omar Minaya. Sa réponse a été très limpide. Il ne veut pas négocier tant que l'avenir de l'équipe ne sera pas connu."

Mais à quel moment le sort des Expos sera-t-il connu? Si ce n'est pas en juillet -et ne pariez pas là-dessus- il faudra s'attendre à retrouver le nom de Guerrero dans plusieurs rumeurs de transactions. Si l'avenir de l'équipe n'est pas connu l'automne prochain -et ne pariez pas une photographie de Youppi là-dessus- alors Guerrero deviendra agent libre.

Et ce qui rend cette saga encore plus bizarre, c'est que Guerrero est probablement le joueur des Expos le plus heureux de jouer à Montréal. Il est par contre difficile de se souvenir d'un joueur qui a signé un contrat avec une équipe dont on ignore où elle évoluera. Il pourrait ainsi devenir le premier agent libre étoile à ne pas choisir la ville où il veut évoluer, même s'il est disposé à accepter moins d'argent que Sun-Woo Kim.

"Montréal est l'endroit parfait pour lui, a dit Manny Acta, entraîneur au troisième but des Expos. Il ne s'en fait donc pas de savoir ce que les gens pensent de lui. Il ne cherche pas à attirer l'attention. À Montréal, il peut marcher sur la rue Ste-Catherine tout en passant inaperçu. Il aime cet aspect. Il apprécie de n'être qu'un autre gars de la communauté."

Dans l'une de ses rares entrevues ce printemps, Guerrero a déclaré à ESPN qu'il aimait Montréal parce qu'il s'y sentait en sécurité. Il a ajouté qu'il était désolé de la tangente que prenait le baseball dans cette ville. Quand on lui a demandé s'il ne trouvait pas ennuyant de ne pas connaître l'avenir de l'équipe et ainsi son avenir, on s'est rendu compte que le mot avenir ne faisait pas parti de son dictionnaire.

"La saison 2003 n'est même pas encore commencée, a-t-il par la voix d'Acta, son traducteur. Je ne vais donc pas commencer à songer à l'année prochaine. Je veux me concentrer sur cette saison."

Quand on lui a demandé s'il n'était agacé par l'avenir incertain de l'équipe et de se retrouver ainsi dans la plus grande noirceur, Guerrero n'a pas bronché. "Je suis dans cette organisation depuis dix ans. Cette équipe me donne l'opportunité de jouer au baseball tous les jours. Pour le reste, c'est le travail de mon agent. Moi, je veux vraiment rester ici mais je sais aussi que le sport est un business."

Il est vrai que le baseball est un business, tout comme les entrevues. Mais Guerrero en accorde rarement, spécialement aux médias de l'extérieur de Montréal. Puis, quand il le fait, ses réponses sont sans saveur, sans émotions et le plus court possible.

Il ne faut surtout pas croire qu'il est un second Albert Bell. Pas du tout. S'il ne répond pas beaucoup aux questions, c'est parce qu'il préfère éviter de se retrouver sous les réflecteurs.

"Je suis assez chanceux d'avoir côtoyé de grands joueurs, a déclaré Minaya. Sammy Sosa et Juan Gonzalez par exemple. Je connais tous ces joueurs et je peux vous dire que Vlad est le gars le plus simple d'entre eux."

"Je vais vous dire quelque chose, a ajouté Acta. La publicité, le marketing, la gloire ne sont pas importants pour lui. Je lui ai déjà demandé s'il savait à combien d'argent il tournait le dos en agissant ainsi. Il m'a dit qu'il le savait et qu'il n'était pas intéressé."

Guerrero a grandi dans la plus grande pauvreté à Nizao en République dominicaine. Pour la plupart des grands joueurs qui proviennent de ce pays, le baseball est une opportunité pour quitter cette pauvreté et se bâtir une vie confortable. Pour sa part, Guerrero vit toujours sur la même rue où il a grandi.

"Cet hiver, je voulais le visiter, a mentionné Acta, avec Alfonso Soriano et un autre ami. Je croyais que nous aurions à chercher longtemps pour le trouver. À la place, nous l'avons trouvé assis dans un parc, au milieu de tous les cireux de souliers, des chauffeurs de mobylettes et des autres personnes qui se trouvaient sur place."

"Nous avons passé l'après-midi avec lui et pendant ce temps, environ dix personnes sont venues le voir pour leur parler de leurs problèmes, tentant d'obtenir de l'argent, des gens venaient le voir pour lui parler de leurs médicaments et pour lui demander de les aider."

"Essayer d'imaginer comment il peut être difficile de rester simple dans de telles circonstances. Il est si humble et il garde les pieds sur terre. Plusieurs grandes vedettes préfèrent s'éloigner en se réfugiant dans une grande maison où personne n'ira les déranger. Vlad n'est pas comme cela. Il préfère rester près de gens avec lesquels il a grandi."

Si Guerrero préfère rester près de ceux qui l'ont vu grandir, on peut mieux comprendre pourquoi il veut rester près de ceux qui l'ont vu grandir au baseball aussi. On pense notamment à des gars comme Jose Vidro, Orlando Cabrera et Javier Vazquez, avec lesquels il peut parler sa langue maternelle, l'espagnol.

"Il a besoin de réconfort et d'être près de ceux qui l'aiment, a dit son agent qui représente aussi plusieurs joueurs des Expos. Il serait heureux de rester avec l'équipe et avec les nouveaux propriétaires. Sans doute que les nouveaux propriétaires voudront garder leur grande attraction. Si un nouveau propriétaire a les moyens d'investir pour acheter la concession, il devrait avoir les moyens pour garder le meilleur joueur de cette équipe."

"La ville de Washington n'est pas vraiment différente de la ville de Montréal, a mentionné son agent. Au-delà de la ville, être avec les mêmes gars et avec ses amis lui facilitera la transition."

Le baseball majeur va étudier des offres de Washington, San Antonio et Portland, des villes qui aimeraient obtenir une franchise. Le baseball tient à déménager les Expos dans une ville qui aura les moyens de financer la construction d'un nouveau stade. Mais avec la perspective d'une guerre en Irak et l'économie qui est chancelante, demander à une ville de financer un nouvel amphithéâtre peut- être ardu, spécialement à Washington.

Alors il ne faudrait pas être surpris si le baseball retarde la vente de l'équipe et garde la franchise au moins une autre année à Montréal ou qu'il fasse des Expos, une équipe itinérante. Dans ces circonstances, est-il possible de garder Guerrero à Montréal, même si c'est qu'il souhaite?

Que le sort des Expos soit décidé au non, la direction de l'équipe entend revenir à la charge afin de faire signer un nouveau contrat à son joueur étoile. Malgré les incertitudes économiques, malgré la faible masse salariale, Guerrero pourrait quand même signer un nouveau contrat avec l'équipe, même si l'entente ne faisait pas de lui l'un des dix joueurs les mieux payés du baseball.

Est-ce que le baseball majeur acceptera d'appuyer une offre de contrat avant la vente de l'équipe? Est-ce que les 29 autres propriétaires vont accepter de payer une partie du salaire d'un joueur qui vient les battre?

Il faudra voir quelle est la vision des propriétaires. Quand vous faites des affaires, l'idée est toujours d'obtenir le meilleur prix et pour obtenir le meilleur prix, il faut compter sur au moins une attraction. Croyez-vous qu'il serait possible de vendre un magasin d'électronique sans téléviseurs? Croyez-vous qu'il est possible de vendre un magasin de meubles sans sofa? Croyez-vous qu'il est possible de vendre une mercerie sans complet?

C'est la même chose au baseball. Comment vendre les Expos sans Vladimir Guerrero?

"C'est le genre de joueur, j'espère que les gens le réalisent, autour duquel on peut bâtir une équipe, a dit Wilkerson. Si tu demandes aux équipes autour de quel joueur elles aimeraient construire leur formation, je suis convaincu qu'elles répondraient à près de 90% autour de Vlad et de A-Rod."