MONTRÉAL - Ça relève déjà de l’exploit que deux frères atteignent la NFL et la réussite devient encore plus impressionnante quand elle concerne deux athlètes mesurant cinq pieds six pouces et cinq pieds sept pouces. Mais la cerise sur le sundae demeure d’avoir accompli cela sans l’appui d’un père qui a été confiné derrière les barreaux pendant la plupart de leur vie.

Originaire du Texas, l’explosif, mais miniature, James Rodgers a surmonté ces épreuves pour aboutir dans le giron des Alouettes de Montréal il y a moins d'un mois à la suite d’un séjour sur l’équipe d’entraînement des Falcons d’Atlanta.

À la suite d'une blessure poussant Larry Taylor sur la touche, le spécialiste des retours de botté a pu étaler son talent la semaine dernière face au Rouge et Noir d'Ottawa. 

James RodgersLe nouveau joueur intrigant des Alouettes a changé de nid avec des regrets d’abord, car il croyait en ses capacités de s’établir dans le circuit Goodell, mais surtout parce qu’il s’est séparé de son partenaire de toujours et petit frère, l’électrisant Jacquizz Rodgers.

Nés à seulement 14 mois d’intervalle, les deux souriants athlètes ont été élevés par leur mère et un de leurs oncles. Par la force des choses, ils ont découvert la vie sans la présence de leur père qui a écopé de sa plus longue peine de prison pour avoir vendu de la drogue dans une zone scolaire.

Les deux marchands de vitesse sont reconnaissants envers leur mère et cet oncle dévoué pour la façon dont ils ont su les encadrer. Dans le temps de le dire, ils ont réalisé que la vie offre parfois une bonne et une mauvaise voie à suivre et que ce piège doit être évité.  

« J’ai été chanceux d’avoir une mère et un oncle pour me guider dans la vie. Ils ne m’ont pas poussé ou contraint dans certaines choses. En fait, ils m’ont laissé prendre mes décisions et si je me brûlais la main la première fois, je savais quoi faire pour ne pas reproduire la même erreur », a confié James Rodgers au terme d’un entraînement des Alouettes vendredi.  

À tous les niveaux, les deux comparses ont épaté la galerie. De triste manière, leur père n’a jamais pu assister à l’une de leurs parties durant leur parcours à l’école secondaire et à l’université en raison de ses emprisonnements. Éloigné de ses fils par ses torts, le paternel leur a envoyé plusieurs lettres de sa cellule, mais ils n’ont jamais cru bon pour lui répondre.  

Après avoir payé sa dette à la société, il a été libéré de prison en 2012 et il a vécu le soulagement de pouvoir reprendre contact avec James et Jacquizz.   

« Je lui parle à l’occasion, mais ça ne va pas trop loin dans les relations », a cerné James Rodgers, un être fascinant qui a déjà publié quelques poèmes.

Un précieux mentor

Ce revers de la vie a été en partie compensé par le support d’un autre oncle, un certain Michael Lewis. L’ancien maraudeur, qui a œuvré pendant neuf saisons dans la NFL avec les Eagles, les 49ers et les Rams, s’est transformé en un mentor de renom.

« Ce fut un merveilleux exemple, il nous a appris tout ce que nous devons savoir, il a aussi été un entraîneur exceptionnel pendant très longtemps », a remercié James qui peut exploiter sa polyvalence grâce à sa compréhension du football. 

Les enseignements de son oncle lui ont permis d’épater les entraîneurs des Alouettes quand il a obtenu une audition.  

« À l’entraînement, il a été très, très impressionnant et on se demandait si tout cela allait être aussi concluant dans les matchs et il a définitivement été à la hauteur. C’est vrai qu’il est petit, mais on remarque sans tarder qu’il est puissant et costaud », a décrit l’entraîneur Tom Higgins. 

Après deux saisons sur l’équipe d’entraînement des Falcons, James Rodgers n’a pu convaincre l’organisation de le ramener. C’est à ce moment que l’avenue de la LCF a commencé à trotter dans sa tête même s’il n’avait regardé que de brèves séquences de matchs.   

James Rodgers

« Je ne sais pas exactement quel genre de joueur je peux devenir dans la LCF, mais j’étais surtout emballé par l’idée de venir jouer au football avec les Alouettes et j’essaie de tirer le meilleur de cette expérience », a avoué celui qui constate que sa vitesse lui sied à ravir sur un terrain plus vaste.  

Le moins que l’on puisse dire, c’est que le sentiment était réciproque du côté des entraîneurs et de ses nouveaux coéquipiers.  

« La première chose que j’aime de sa part, c’est qu’il amène de l’excitation au sein de l’équipe. Dans le sport professionnel, c’est important de croire en tes coéquipiers et c’est le cas avec Rodgers. Les joueurs ont le goût de se défoncer au maximum pour lui et d’effectuer de bons blocs », a remarqué Jean-Vincent Posy-Audette, l’adjoint en défense et sur les unités spéciales. 

Pour l’instant, l’expérience de Rodgers dans la LCF reste minime, mais il a inscrit un touché dès son premier match et un impact étincelant pourrait lui valoir une opportunité de renouer avec la NFL. 

« Présentement, je ne me soucie pas de cette possibilité, je me concentre sur mon boulot avec les Alouettes. Tout le monde aimerait cela, mais on verra d’abord comment ma saison se déroulera », a noté Rodgers qui est persuadé qu’il aurait pu s’établir au sud de la frontière sans une grave blessure subie au genou gauche avec les Beavers d’Oregon State au niveau universitaire.  

Avant cet incident, le parcours de Rodgers avec OSU rimait avec le bonheur puisque Jacquizz est venu l’y rejoindre et ils ont chacun brillé dans cet uniforme.   

« La chose amusante, c’est que je jouais comme porteur de ballon quand j’étais plus jeune. Durant notre parcours scolaire, il est arrivé comme un petit phénomène donc ils m’ont déplacé comme receveur et lui a été muté comme porteur de ballon », s’est souvenu James, 25 ans, avec le sourire.  

Pendant son association avec les Falcons, James a pu regarder plusieurs parties de son frère. Cette saison, il ne serait pas impossible que Jacquizz lui rende la pareille lors de la semaine de congé des siens à la fin octobre et constate son potentiel dans la LCF.  

« Il démontre aussi beaucoup de force pour éviter les plaqués avec son bras libre (stiff arm). De plus, il se débrouille très bien comme receveur donc les autres équipes sont mieux de se méfier si elles pensent qu’il peut seulement effectuer des balayages », a précisé Higgins sur celui qui a déjà enregistré un temps de 10,33 secondes au 100 mètres.   

Le père de James et Jacquizz a raté son rôle avec ses fils, mais il leur a tout de même demandé de ne jamais suivre son « mauvais » exemple. Cette leçon, les deux amoureux du football l’ont retenue en démontrant que les ennuis de l’enfance peuvent être surmontés. Une fois sa carrière terminée, James entend même devenir analyste sportif à la télévision ou entraîneur.