MONTRÉAL – Comme Luc Brodeur-Jourdain s’amuse souvent à le dire, Jim Popp et les Alouettes ont pris tout un risque en le sélectionnant avec le tout dernier choix du repêchage de la LCF en 2008.

Huit ans plus tard, toutes les autres équipes doivent regretter d’avoir échappé ce vétéran devenu un rouage important de l’organisation montréalaise.

« J’étais assez informé sur ce qui s’écrivait avant le repêchage. J’étais censé de sortir dans les deux premières rondes puis il y a eu le camp d’évaluation à Toronto auquel je me suis présenté en très bonne condition physique. Parmi les joueurs de ligne offensive, j’étais le plus lourd et je me suis classé le top-3 pour la force et la vitesse », s’est rappelé le sympathique gaillard.

Que s’est-il passé alors ?

« C’est au niveau des confrontations à un contre un que ça s’est joué. Ma confiance n’était pas à son sommet si bien que j’ai mal commencé et j’ai mal fini. C’est un peu ce qui est dommage dans ces camps, plusieurs personnes ne t’ont pas vu jouer et vont se fier uniquement sur cette journée », a expliqué le centre qui évoluait comme garde à l’époque.

« Mais ça ne m’a nui que pour une journée dans ma carrière! », a soupesé Brodeur-Jourdain qui a adopté la meilleure attitude face à cet événement.

Celui qui est surnommé LBJ s’est donc présenté à son premier camp d’entraînement des Alouettes avec son ardeur au travail et son ouverture d’esprit.

Malgré toutes ses bonnes intentions, il a rapidement constaté que la marche était haute pour s’établir au niveau professionnel. C’était d’autant plus vrai pour un athlète qui a commencé le football tardivement (au cégep).

« Il s’est aperçu que les gros bonhommes devant lui n’étaient pas seulement costauds, mais athlétiques et rapides. Dans le fond, ça ne sert à rien d’être le plus gros et le plus fort si tu ne peux pas leur mettre la main dessus. Il a compris qu’il devait travailler sa mobilité. Déjà, les Alouettes l’imaginaient comme centre et il a développé cette option », a indiqué Pierre Vercheval, l’analyste et ancien joueur de ligne offensive émérite dans la LCF.  

« Je dois lui dire bravo parce que j’en ai vu des joueurs qui étaient frustrés et qui n’écoutaient pas les conseils. Luc a accepté le verdict pour s’améliorer, il s’est façonné un arsenal pour réussir dans le football canadien », a souligné Vercheval.

Cette mission n’a pas été de tout repos, mais Brodeur-Jourdain s’est servi d’une autre année avec le Rouge et Or pour ajouter des cordes à son arc.  

« Je devais avant tout devenir polyvalent. Ça ne m’a pas pris 48 heures pour réaliser que je ne jouerais jamais garde à droite, ma position de l’époque, avec les Alouettes. Dès que j’ai vu Scott Flory à l’oeuvre, je savais que je ne jouerais jamais à ce poste à moins d’une blessure sérieuse ce qui ne lui était jamais arrivé dans sa carrière », a-t-il indiqué en pensant au talent de Flory.

Tout en se familiarisant avec la position de centre, Brodeur-Jourdain a poussé l’audace jusqu’à apprendre à jouer comme ailier rapproché et centre-arrière!

« Je pense que l’unité défensive ne devait pas aimer ça quand je me plaçais comme centre-arrière », a rigolé le Québécois.

De retour à son deuxième camp d’entraînement avec les Alouettes, il était conscient qu’il pouvait être libéré à tout moment par les Alouettes. Conscient du danger, il a plutôt été récompensé en récoltant les fruits de ses efforts et il s’est imposé comme le sixième joueur de ligne offensive du club. Il a gagné la bataille contre Andrew Woodruff et Gurminder Thind – qui avaient été repêchés avant lui en 2008 – ainsi que Dylan Steenbergen.

Tomber en amour avec le football

Brodeur-Jourdain a eu à tout apprendre du football

La réussite n’était pas banale pour un joueur dont les connaissances du football se limitaient à ceci lorsqu’un ami (Marc-André) l’a tiré par le bras pour qu’il l’accompagne à un essai avec les Géants du Cégep de Saint-Jean-sur-Richelieu.

« Je savais que le but était de marquer des touchés, après les joueurs dansaient pour célébrer et ils bottaient le ballon entre les deux poteaux », s’est-il remémoré en rigolant.

Le tout a mené à une scène bien amusante lors de ses premiers pas avec les Alouettes.

« Quand je me suis présenté à Anthony Calvillo, je l’ai fait en Espagnol. Je pensais qu’il était Mexicain alors qu’il ne parle pas un mot d’Espagnol », admet-il sans gêne.

Nul doute, la transformation a été impressionnante si l’on remonte à son contact initial avec le football collégial.

« La première fois, j’ai pris le gars et je l’ai lancé. On m’a dit que c’était une punition pour avoir retenu. Ce que j’aime de ce sport, c’est que tu peux constamment apprendre quelque chose de nouveau. Ça me plaît de suivre une tangente », a indiqué celui qui a appris à utiliser ses atouts physiques.

Quelque chose de différent à Laval

Même si son équipe collégiale ne faisait pas le poids à ce moment, Brodeur-Jourdain a su attirer les yeux des dépisteurs et pas seulement ceux du Québec. Le Rouge et Or a fini par l’emporter, mais l’expérience a été déchirante pour Brodeur-Jourdain qui n’aimait pas décevoir les universités intéressées par ses services.

« Après le côté scolaire, j’avais besoin de sentir que je n’étais plus le seul qui s’entraînait. Par le passé, j’avais été frustré de sentir que le degré d’implication n'était pas le même pour tout le monde. Quand j’ai visité les universités, le seul endroit où j’ai vu quelque chose de différent, c’était à Laval. Il y avait plus de 50 gars qui couraient ensemble sur le terrain, ça m’a impressionné de voir qu’ils étaient autant investis dans la cause », a exposé LBJ qui était prêt à sacrifier sa vie sociale pour le bien de sa carrière.

Ceci dit, le Rouge et Or partait avec une longueur d’avance contre l’Université de Montréal.

« Ce n’est pas un gars qui aime les grandes villes, il me disait que le bruit des sirènes le dérangeait. J’étais content d’entendre ça », a témoigné Constantin avec le sourire dans la voix.

« Je suis quelqu’un de plutôt campagnard, j’ai besoin de quiétude. Le niveau de stress, le trafic et les bains de foule comme aller sur la Ste-Catherine quand ça déborde de gens, ça m’étourdit », a convenu Brodeur-Jourdain quand on lui a relaté cette confidence.

Constantin venait en quelque sorte de se voir confier un diamant à l’état brut.

« Il n’avait pas peur de travailler sur ses faiblesses et il était capable de s’autocritiquer. Il est parti d’ici avec un diplôme en finances et deux championnats de la coupe Vanier », a résumé l’entraîneur du Rouge et Or.

« Pour moi, c’est un grand champion! Je me sers souvent de lui comme exemple dans mes discours et conférences », a révélé Constantin.

Surpris, le compliment gêne Brodeur-Jourdain.

Reconnaissant envers Trestman et Milanovich

« Euh, merci... Notre destin appartient à plusieurs personnes, mais aussi à nous par nos décisions. [...] Je dois souligner le rôle d’entraîneurs comme Michel Choquette qui m’a donné ma première chance sur la ligne offensive avec les Géants. J’étais pourtant un jeune qui ne savait même pas comment jouer au football », a exprimé celui qui a également remercié Jacques Cloutier et Justin Éthier pendant la généreuse entrevue.

Avec la crédibilité gagnée aux quatre coins du pays, Brodeur-Jourdain est également utilisé comme exemple par d’autres équipes de la LCF pour expliquer à leurs joueurs ce qu’ils peuvent accomplir.

« Si on utilise mon exemple envers les jeunes, je suis très reconnaissant. Je suis aussi extrêmement reconnaissant envers Marc Trestman et Scott Milanovich, l’entraîneur et le coordonnateur offensif qui ont accepté de me placer à cette position. J’ai aussi été très bien épaulé par Scott Flory, Bryan Chiu et Paul Lambert notamment. Ces vétérans ont accepté de partager leurs connaissances et me donner de petits conseils. Après 7 saisons jouées, ça te rend plus sensible par rapport à tes débuts. Tu revois les gens qui ont cru en toi tôt dans ta carrière », a témoigné Brodeur-Jourdain avec appréciation.

Sa réputation a rapidement fait le tour de la ligue, LBJ est perçu comme un joueur qui se démarque par son intelligence.   

« Tout le monde le respecte beaucoup et tout le monde sait qu’il est très intelligent. Même si les fronts défensifs essaient de le piéger, il est capable de voir tout ça et bien diriger le reste de la ligne offensive », a rapporté Samuel Giguère qui évoluait avec les Tiger-Cats de Hamilton auparavant.

« Il est professionnel jusqu’au bout des doigts. C’est un perfectionniste et un excellent coéquipier. Je peux vous dire qu’il voit très bien le terrain, qu’il étudie énormément durant la semaine et qu’il arrive tôt au bureau », a fait savoir son partenaire de ligne offensive, Kristian Matte.

Question de rire un peu, son ami et autre partenaire d’unité, Jeff Perrett s’est amusé à hésiter quand on lui a demandé s’il le considérait comme un joueur très intelligent. 

« Oh oui, il est brillant, c’est essentiel quand tu joues sur la ligne offensive et encore plus comme centre », a-t-il fini par répondre, fier de son coup.

Brodeur-Jourdain a quand même eu besoin d’un mentor et Flory a joué ce rôle à merveille.  

« En ayant déjà joué à cette position, j’ai essayé de l’aider. Il n’a pas tardé à devenir l’un des meilleurs centres de la LCF », a noté Flory en lui redonnant le mérite.

Flory n’a pas compté les heures à décortiquer des vidéos avec ce membre de la relève.

« Oh oui! On en a passé du temps devant des vidéos et je ne crois pas que les gens réalisent à quel point on peut étudier nos adversaires. C’est là que ça commence, le mieux que tu connais ton opposant, le mieux que tu peux le contrer », a admis Flory.

« Il serait sûrement le premier à dire qu’il n’était pas le plus athlétique ou le plus vite au départ, mais il compense par son éthique de travail et le fait qu’il est très intelligent. C’est un gars de ligne à l’attaque, ça va de soi », a observé Pierre Vercheval qui apprécie l’humour autant que LBJ.

Une première blessure majeure

Pas toujours évident pour la conjointe

Brodeur-Jourdain se remet présentement d’une déchirure ligamentaire au genou droit et il se rapproche d’un retour à l’entraînement avec ses coéquipiers.

Cette première blessure majeure a été inquiétante pour sa copine, Marie-Élaine Chicoine, mais elle se soucie surtout de la santé à long terme de son partenaire qui a d’abord été son meilleur ami à l’école secondaire.  

« Le lendemain d’un match, quand c’est sa journée de congé, je pense qu’il vieillit de 40 ans d’un coup. Il a de la misère à se lever, il sort du lit en deux temps et il a de la difficulté à se déplacer. Le long terme du football, ça m’inquiète un peu plus. En même temps, c’est sa passion et je l’accompagne là-dedans », a avoué sa compagne.

Très terre à terre, elle n’est pas devenue une maniaque du football, un sport qu’elle continue d’assimiler graduellement. Par contre, elle apprécie les profonds liens d’amitié qui unissent les joueurs de ligne offensive, ces colosses de plus de 300 livres.   

« C’est spécial et beau à voir. Au-delà du football, ce sont des personnes qui ont des vies et des familles », a mentionné sa conjointe avec justesse.

À ce propos, Brodeur-Jourdain ignore si la prochaine étape de sa vie professionnelle se consacrera aux finances, à l’électronique, à la musique ou à n’importe quel autre domaine comme les communications par exemple. 

La camaraderie de la ligne offensive

« On savait qu’il était gros, costaud et fort, mais je trouve qu’il s’est rendu à ce niveau parce qu’il a travaillé. Il met les chances de son côté, parce qu’il est parmi les premiers arrivés au stade et parmi les derniers à quitter. Il s’est bâti sa carrière de football », a conclu Vercheval au sujet de Brodeur-Jourdain qui semble posséder les atouts pour s’en construire une autre lorsque la retraite arrivera.