Le passé divertissant du pionnier du football québécois Pierre Desjardins
Alouettes mercredi, 16 déc. 2020. 09:30 samedi, 14 déc. 2024. 16:00* Dans le deuxième volet qui sera publié jeudi, on se plongera dans cette époque sans pitié du football alors que la violence était omniprésente sur le terrain et on abordera le rôle de pionnier exercé par Pierre Desjardins.
MONTRÉAL – Dévaler, à contre-sens et à toute vitesse, la rue Ste-Catherine au volant d’une Mustang, voir un coéquipier lancer un téléviseur du troisième étage, un autre se transformer en Spider-Man sur les murs des hôtels et un quart-arrière qui ratait ses receveurs en raison d’un problème de vision... Ce n’est qu’un aperçu du divertissant passé du pionnier du football québécois, Pierre Desjardins.
On parle souvent – et avec raison – de l’impact positif des Gabriel Grégoire, Pierre Vercheval, Glen Constantin, Danny Maciocia, Marc Santerre et compagnie. Mais, avant eux, il y a eu des forces de la nature comme Pierre Dumont et Pierre Desjardins qui ont défriché les terrains de football pour les francophones.
Desjardins a connu une illustre carrière, de 1966 à 1971, sur la ligne offensive des Alouettes de Montréal. De manière étonnante, il croyait plutôt devenir prêtre ou dirigeant d’une grande entreprise. Une chance que deux de ses frères lui ont fait entendre raison. Sans des pionniers comme lui, le football n’aurait pas connu un tel essor au Québec.
Dernier d’une famille de sept enfants, Desjardins se voyait respecter la coutume de l’époque selon laquelle le plus jeune d’une grande famille devait être incité à la prêtrise. Il ne peut s’empêcher de rire en racontant qu’il a été convenu, après quatre ans au Collège des Eudistes, qu’il n’avait pas la vocation en lui.
Mais, c’est à cet endroit qu’il a découvert le sport sur le tard. À 16 ans, il s’est laissé attirer par la crosse et, ensuite, le hockey. Heureusement, un frère jésuite lui a fait réaliser qu’il détenait un physique enviable pour le football. « Je ne parlais pas anglais et j’étais le seul francophone sur l’équipe. Au début, j’avais même de la difficulté à faire la différence entre l’attaque et la défense ! », a raconté, en souriant, le sympathique homme de 79 ans.
Devenu rapidement un pilier de son club, Desjardins a participé à un camp d’évaluation au parc Jarry avec plus de 200 joueurs canadiens devant près de 40 représentants d’universités américaines. Des institutions du Minnesota, de New York et de l’Arizona lui ont offert une bourse, mais il a choisi celle de l’Université Wyoming tout en s’assurant de « demander où c’était! ».
Il a vite constaté qu’il s’était joint à une puissance avec des joueurs comme le quart-arrière Tom Wilkinson et le demi offensif Jim Kiick (qui a joué pour l’édition parfaite des Dolphins de Miami). À sa première année, en 1961, il était dirigé par Bob Devaney qui est devenu un entraîneur légendaire avec Nebraska.
À cette époque, les joueurs universitaires devaient encore évoluer en attaque ET en défense. Une seule substitution par jeu était permise. Du côté défensif, il jouait comme secondeur et il se rappelle des prestations achevées de sa troupe contre nul autre que Gale Sayers qui a, par la suite, excellé avec les Bears de Chicago.
L’adaptation était également un succès sur les bancs d’école. Même s’il partait de loin en anglais, il a été élu parmi les meilleurs étudiants-athlètes.
« Mon rêve n’était pas de jouer pro, mais d’aller en Europe pour avoir un poste en marketing avec une grande compagnie américaine. Ce que j’ai obtenu au printemps 1966 avec Philco, la division électronique de Ford, pour un emploi à Paris. J’étais au paradis! », a révélé Desjardins qui était pourtant courtisé par les Alouettes et des équipes américaines.
« J’avais mis une croix sur le football jusqu’à temps que je revienne à Montréal. Mes deux grands frères, qui avaient toujours rêvé d’une carrière au football professionnel, m’ont harcelé pendant deux semaines en me disant que ce n’était pas intelligent et que je pourrais aller à Paris plus tard. J’ai changé d’idée, je suis allé au camp des Alouettes et je ne l’ai jamais regretté », a précisé l’homme qui conserve une fabuleuse mémoire.
Desjardins, qui n’était pas le plus imposant, débarque alors dans un contexte inusité. Les Alouettes avaient décidé de remplacer la ligne offensive au complet. Ils ont embauché quatre vétérans de longue date (Chet Miksza, Tony Pajaczkowski, Kaye Vaughan et Larry Jordan) qui étaient presque tous « finis ».
« C’était un moyen baptême, ça n’avait aucun sens! », ne peut s’empêcher de rigoler Desjardins qui a tout de même adoré apprendre de ces vieux routiers.
« Je pesais autour de 210 livres et on m’avait mis sur un programme de substances, ne me demandez pas ce que c’était et j’ai pris environ 30 livres », a-t-il ajouté en sachant que les temps ont bien changé.
Le comble de l’histoire demeure le quart-arrière Bernie Faloney.
« On a constaté, tôt dans la saison, qu’il lançait des passes où il n’y avait personne. Ça n’allait pas bien du tout, les receveurs étaient très frustrés », s’est rappelé. Un examen de la vue exigé par l’entraîneur a confirmé sa vision déficiente.
Bref, ça n’allait pas fort sur le terrain. Faloney a été remplacé après cette saison de 1966 qui s’est conclue par un dossier de 7-7. Ce fut bien pire en 1967 (2-12), en 1968 (3-9-2) et en 1969 (2-10-2).
« En 1967, on a eu George Bork (comme quart-arrière) et il devait faire six pieds et à peine plus de 130 livres... Nous, les gars de la ligne offensive, on avait peur pour lui. »
Une anecdote amusante après l’autre
C’était tout le contraire à l’extérieur du football alors que la carrière de Desjardins était florissante dans le monde des affaires. Il avait obtenu quelques promotions chez Imasco (qui détenait Impérial Tobacco) et ses obligations sportives retardaient son ascension. Il avait donc déterminé de quitter le football après la saison 1969 pour cette rémunération nettement plus avantageuse.
Le vent a tourné à cet instant. Sam Etcheverry, un ancien grand joueur, a été embauché à titre de nouvel entraîneur des Alouettes. Son premier geste a été de convoquer Desjardins et son coéquipier Larry Fairholm pour leur offrir d’agir en tant que capitaines.
« Avec tout le recrutement (entamé par J. I. Albrecht) et la présence de Sam, je me suis dit que je devrais donner une autre année », a expliqué Desjardins qui ne s’était pas trompé.
Contre toute attente, les Alouettes ont remporté la coupe Grey en 1970 avec une arrivée massive de nouveaux joueurs. Fairholm, Desjardins, le quart-arrière Sonny Wade et quelques coéquipiers ont pu compenser pour les lacunes tactiques d’Etcheverry qui était adoré.
« Je me souviendrai toujours d’un jeu, il me semble que c’était pendant la coupe Grey de 1970, il avait fait un bloc sur une course hors l’aile et il avait éliminé trois joueurs d’un seul coup. C’était tout un joueur de football », a vanté son ancien coéquipier Pierre Dumont.
Certes, Albrecht avait l’œil pour le talent. Mais ça voulait parfois dire de composer avec de « drôles » de personnages. Ainsi, Desjardins a été nommé comme mentor pour Ed George.
« À son arrivée, c’était un joueur complètement incontrôlable, mais doté d’un talent extraordinaire. Selon moi, il est devenu l’un des meilleurs joueurs de ligne offensive de tous les temps dans la LCF. J’allais même le chercher à son appartement. Avant les parties, je devais m’y prendre très doucement, c’était une personne en ébullition. Un matin, il s’était levé en retard. Il a sorti par sa porte du troisième étage et il a lancé le téléviseur! Sur le terrain, si on le frappait d’une façon pas catholique, il perdait la tête », a décrit Desjardins qui a su le calmer éventuellement.
Et que dire de Gene Ceppetelli.
« Il avait toujours la même routine au moment de s’enregistrer à l’hôtel. Il s’avançait pour signer sa carte et il laissait tomber ses pantalons. Aujourd’hui, ce serait impossible. »
Tant qu’à y être, parlons de Peter Paquette.
« Quand on allait sur la route, il sortait par la fenêtre au 3e ou au 4e étage et il se tenait sur le seuil pour se cacher, il aurait facilement pu tomber en bas. Il l’avait même fait à Calgary au 9e étage! Mais sur le terrain, ils étaient de vrais professionnels. »
N’oublions pas Dumont.
« On a été jumelés ensemble sur la route et Pierre était excessivement nerveux la soirée avant les matchs. Il allait s’acheter un gros deux litres de Pepsi avec deux ou trois livres d’arachides. Il regardait la télévision et il s’enfilait ça. C’est impossible de dormir après ça! Toute la nuit, il se levait, il grognait en pensant au match. C’était un joueur bourré de talent avec une bonne tête, il était très rapide et agile. On a vécu des choses assez drôles ensemble », a convenu Desjardins.
En Mustang, à contre-sens, sur Ste-Catherine !
Même en étant séparés par des écrans, c’est facile de sentir à quel point ça amuse Desjardins d’évoquer ces souvenirs. Dumont nous apprend que Desjardins ne laissait pas sa place non plus.
« C’était un boute-en-train! Un gars qui jouait des tours. Il m’agaçait tout le temps en me racontant des affaires qui n’étaient pas vraies. C’est un bon diable », a exposé Dumont.
Pierre Dufault, le journaliste à la retraite, a bien connu l’époque de Desjardins.
« C’est un homme très gentil, cultivé et il s’exprimait bien; un parfait bonhomme pour les relations publiques. Il parlait des Alouettes avec une grande connaissance et les gens l’écoutaient, il a donné une belle image à l’équipe », a noté Dufault avec son éloquence typique.
Les compliments étaient faciles à obtenir, mais Dumont ne veut pas échapper la chance de le taquiner.
« Il était un peu maniaque au volant par contre! Je me souviens, il avait une Mustang et il me faisait assez peur! C’était un gars un peu fou », lance-t-il en riant.
Quand on lance la remarque à Desjardins, il démarre lentement en parlant des courses entre les joueurs sur la rue St-Laurent pour arriver au stade en premier.
« On se plaçait trois voitures de large aux lumières rouges et on décollait! La police nous arrêtait à l’occasion, mais ils étaient assez gentils avec la promesse qu’on ne le ferait plus », a-t-il raconté avant de changer de vitesse vers la deuxième anecdote.
« Je ne le ferais plus, mais, un samedi soir, on était à la fête de Peter Dalla Riva sur un bateau dans l’Est de Montréal. Vers 22h, on a décidé de revenir au centre-ville. Mais on a choisi de faire la rue Ste-Catherine à l’envers à toute vitesse! C’était un sens unique, on l’a fait de De Lorimier jusqu’à Atwater! La police n’a jamais pu nous arrêter, mais ils étaient plusieurs derrière à essayer de nous pincer. On a caché l’auto dans une ruelle. On était quatre dans l’auto. Disons que je n’en suis pas trop fier aujourd’hui. Pierre Dumont faisait peut-être référence à ça.,. Peter s’en souvient encore, il m’en a parlé la semaine dernière », a conclu Desjardins qui est devenu un proche de la famille de Gilles Villeneuve par sa carrière chez Impérial Tobacco et Labatt.