MONTRÉAL – Eugene Lewis jouait le meilleur football de sa vie et une autre excellente saison aurait pu propulser sa carrière à un niveau supérieur. L’incertitude de la pandémie l’oblige plutôt à songer à un plan B alors qu’il pourrait entreprendre sa future vocation de travailleur social. 

Intrigué par son talent dès son arrivée en 2017, notre petit doigt nous disait de s’intéresser à son passé. Cette intuition nous a permis de découvrir sa grande histoire de résilience et celle de son père qui a sombré jusqu’à la prison après avoir été repêché dans la NBA

Cette enfance éprouvante privée de son père a dicté les choix académiques de Lewis qui détient un diplôme en développement humain et études familiales. Si la saison 2020 finissait par être reléguée aux oubliettes, Lewis songerait à compléter le dernier droit de sa maîtrise en relations humaines. 

« Je veux être un conseiller pour les jeunes qui ont des problèmes de consommation ou des enjeux au sein de leur famille. Plusieurs de mes amis ont emprunté le mauvais chemin dans la vie. Des gens dans ma famille ont fait des choses que je souhaite que des enfants ne vivent jamais », a raconté Lewis, vendredi, dans une entrevue médiatique virtuelle.  

« Je sais juste que bien des jeunes qui grandissent sans un père peuvent faire de mauvais choix simplement parce qu’ils n’ont pas eu la discipline nécessaire, cette autorité parentale. Je veux juste être un support pour ces jeunes », a poursuivi le receveur aux valeurs altruistes. 

Eugene LewisAprès des essais infructueux avec les Giants de New York et les Bears de Chicago durant la saison morte, Lewis a signé une nouvelle entente d’une saison avec les Alouettes. Il serait dans une mauvaise posture s’il devait être privé de ce salaire et il aurait à se dénicher un autre emploi.  

« Absolument, il faudrait que je le fasse. De toute façon, je ne suis pas du style à rester assis à ne rien faire. J’ai un diplôme pour une raison et je suis en voie de compléter ma maîtrise, je pourrais m’y attaquer. Je devrais faire de l’argent d’une manière ou d’une autre », a-t-il confirmé. 

Parce que oui, rien n’indique que les joueurs de la LCF toucheront leur salaire – ou une partie significative de celui-ci – si la saison 2020 était annulée. Lewis plaide, on le comprend, pour une avenue différente. 

« Je ne possède pas toutes les informations, mais il faudrait que ce dossier se règle. D’autres ligues ont arrêté leurs opérations et elles ont payé les joueurs. On parle d’enlever de l’argent à des personnes qui veulent subvenir aux besoins de leur famille. Ça provoquerait des problèmes dans n’importe quelle industrie. Il faudrait trouver un terrain d’entente. Après tout, les gars ont des enfants », a-t-il noté.  

« On ne peut pas blâmer les joueurs pour ce qui se passe présentement », a ajouté Lewis avec pertinence. 

Originaire de la Pennsylvanie, Lewis poursuit sa préparation à Philadelphie en vue d’un calendrier écourté qui pourrait s’enclencher en septembre. Aux États-Unis, la COVID-19 ne constitue pas le dossier chaud actuellement. C’est plutôt le décès de George Floyd, un Afro-Américain, qui a été malmené par le policier Derek Chauvin - qui a été arrêté vendredi - sous le regard de plusieurs témoins au Minnesota.  

« C’est une situation très triste et vraiment malheureuse. En même temps, en ayant grandi dans un milieu pas évident, c’est quelque chose qui finit par ne plus nous surprendre, ça se produit tous les jours... On souhaite seulement que ça puisse nous permettre régler ces injustices. Si tu ne vois pas cette histoire comme un problème, tu ne comprendras jamais. Je prie pour ma famille et mes proches tous les jours de ne jamais vivre une telle situation. Je trouve qu’on doit surtout s’attaquer à ce problème et gérer ces inégalités plus sérieusement. C’est si triste », a déploré Lewis avec justesse. 

Le côté mental tient le coup

Le sport devient secondaire face à une crise de la sorte. Tout de même, les Alouettes auraient dû disputer leur premier match préparatoire ce vendredi face au Rouge et Noir à Ottawa après une douzaine de jours de camp d’entraînement. 

Ça tiraille Lewis sans surprise, mais il assure que son entraînement n’en souffre pas. 

« Je m’entraîne quatre à cinq fois par semaine, je fais des sprints sur des collines, je continue de courir mes tracés, j’ai pu avoir accès à une salle de poids à mon école secondaire. En fait, j’ai tout ce qu’il faut personnellement pour conserver ma condition physique. »

C’est l’aspect psychologique qui devient l’enjeu névralgique. 

« Le côté mental est probablement plus exigeant parce qu’on doit devenir encore plus disciplinés présentement. Rien n’est structuré ces jours-ci. En temps normal, les gars seront au complexe d’entraînement, on suit un horaire et tout ça. Là, on doit s’organiser de manière individuelle. Je ne dois pas dormir 30 minutes de plus au lieu d’aller m’entraîner. Il faut faire autant de choses que si on s’entraînait en groupe », a-t-il maintenu. 

Lewis, qui a obtenu des gains de 1133 verges en 2019, continue de croire que la saison 2020 verra le jour. À vrai dire, il n’attend que le feu vert des autorités pour franchir la frontière en direction de Montréal en vue de cet objectif. 

« Dès qu’ils vont annoncer le go, tout se passera si vite, il faudra être prêts pour foncer. »

Cependant, il n’est pas impossible que les joueurs qui débarqueront dans la métropole doivent procéder à un confinement de 14 jours dans un hôtel.  

« Ça pourrait constituer un défi parce qu’on ne pourrait pas aller à l’extérieur, mais ça aiderait aussi dans le sens qu’on multiplierait les réunions avec un nombre limité de personnes dans la pièce bien sûr. Mais on peut faire bien des choses même sans le côté physique. Une grande partie de ce sport se joue mentalement. À vrai dire, au camp d’entraînement, on passe plus de temps en réunion que sur le terrain. On finira par être épuisés de ces réunions », a admis le numéro 87. Eugene Lewis

Il serait seulement plus impatient de relancer la machine pour reprendre là où il avait laissé. 

« C’est certain que c’est difficile en sachant comment les choses se déroulaient pour moi, mais aussi pour toute l’équipe. Notre élan a en quelque sorte été un peu freiné. Mais ça arrive et tout le monde doit surmonter des obstacles. On ne peut se servir de la situation comme une excuse. Il faut trouver une façon de sortir du positif de tout ça », a déduit Lewis qui aurait aimé exercer son rôle de meneur dans l’unité des receveurs auprès des jeunes.

Pour ceux qui oseraient douter de la légitimité d’un championnat dans une saison écourtée, Lewis s’en balance. Il préfère soulever une réalité plus importante. 

« Tout le monde peut dire ce qu’il veut, mais on veut juste jouer. On ne veut pas tenir ce sport pour acquis. Après tout, ça aide tellement de gens dont les partisans et les joueurs. C’est un travail pour bien du monde. Ça permet de prendre soin de nos familles », a conclu celui qui serait ravi de profiter de la situation pour offrir la présentation de la Coupe Grey à Montréal tout en voulant la gagner, vous l’aurez compris.