On a assisté à un autre triste épisode du « Jour de la marmotte » gracieuseté de l’unité offensive des Alouettes, qui a une fois de plus offert un spectacle lamentable, à domicile de surcroît, dans le match de jeudi contre les Eskimos d’Edmonton.

Une troisième défaite de suite et ce sont encore les mêmes sujets qui reviennent à l’avant-plan : le manque d’opportunisme flagrant, l’attaque anémique, la quantité dérisoire de jeux au sol, la sélection de jeux douteuse, et l’incapacité de protéger une avance dans les derniers instants de l’affrontement.

J’ai l’impression qu’on se répète semaine après semaine. Pas besoin de vous dire que ça devient réellement frustrant, et pas seulement pour les supporters des Alouettes, mais aussi pour les joueurs, le personnel d’entraîneurs et l’organisation au grand complet.

Ça ne prend pas un grand expert pour identifier les raisons qui expliquent que la défense plie l’échine en fin de match ; il y a là un lien direct à faire avec la performance de l’attaque. L’unité défensive est tellement surtaxée que les joueurs sont à bout de souffle.

Est-ce que le fond du baril a été atteint lors de cette troisième défaite consécutive? Une chose est certaine, une réévaluation s’impose à l’interne, et il ne faudrait pas se surprendre si des changements de personnel sont apportés au courant de la semaine.

On n’a même plus besoin de lire entre les lignes dans les déclarations des joueurs et de l’entraîneur-chef Tom Higgins. Ce dernier a lui-même employé le mot « régression » pour qualifier la courbe qu’a suivie l’offensive depuis le premier match du calendrier régulier. Non, ce n’est vraiment pas un vote de confiance envers son coordonnateur à l’attaque, Turk Schonert.

La tension monte

Sur les lignes de côté, on a perçu des tensions évidentes entre joueurs et instructeurs. Les gestes de frustration se sont multipliés sur le terrain, dans le caucus, dans l’attente du prochain jeu appelé. On voyait déjà des signes avant-coureurs durant les semaines précédentes, mais jeudi, ça a véritablement éclaté.

Les décideurs des Alouettes aimaient bien souligner le fait qu’il y avait de la continuité parmi les entraîneurs en début d’année, et que ça manquait cruellement lors des saisons précédentes. Malgré tout, il faudra songer à faire un remue-ménage, car il se fait déjà bien tard par rapport à la situation au classement, surtout dans une division Est grandement améliorée. Il pourrait s’avérer dangereux d’être trop patient. On verra bien ce qui sera décidé dans les réunions d’entraîneurs…

Tyrell SuttonCe qui est incompréhensible lorsqu’on se penche sur les choix de jeux de Schonert, c’est qu’il agit ainsi en ayant lui-même été quart-arrière durant sa carrière de joueur. Il est aussi bien placé que quiconque pour savoir que le général doit être protégé convenablement. C’est la base au football, car si on ne lui procure pas cela, c’est toute l’attaque qui en souffre. Je ne connais pas le personnage, mais de ce que je vois, il m’a l’air de quelqu’un de borné.

C’est sa toute première saison à la tête d’une attaque dans la LCF, et pourtant, il n’a pas l’air d’écouter ce qu’on a à lui proposer. J’ose d’espérer qu’il tend l’oreille vers les Anthony Calvillo, Ryan Dinwiddie et André Bolduc, des gars qui en ont vu d’autres et qui ont évolué dans le football canadien, pour confronter ses idées aux leurs. Il y a tout un bagage d’expérience entre ces trois adjoints. Leur point de vue doit être sollicité.

Nik Lewis a été pendant plus d’une décennie l’un des rouages importants d’une attaque redoutable durant ses années avec les Stampeders de Calgary. Ses idées sont-elles mises à contribution? S’il refuse de recourir à l’aide de toutes ces ressources, c’est inacceptable. Pourquoi se priver de telles sources d’information?

Les meilleurs coordonnateurs à l’attaque ont une relation exceptionnelle avec leur quart. Marc Trestman l’avait affirmé à répétition : c’est la relation la plus essentielle tous sports professionnels confondus. Tu as beau fournir un plan de match adéquat, est-ce que le quart et les receveurs de passes sont à l’aise pour l’exécuter?

Le mandat du responsable de l’attaque est de tirer profit des forces de chaque élément à sa disposition et de camoufler leurs faiblesses. C’est aussi de permettre aux joueurs d’exprimer leur talent.

Pour revenir à Trestman, celui-ci avait démontré beaucoup d’humilité à son entrée dans la LCF, en s’entourant d’une équipe d’adjoints. Il avait admis qu’une période d’adaptation lui était nécessaire, étant issu du football américain (comme Schonert), et avait agi en conséquence en déléguant des responsabilités à son entourage.

Et si Cato avait été ordinaire à son 1er départ?

Lorsque je regarde l’ensemble de la saison des Alouettes jusqu’à présent, je me dis – non sans une bonne touche d’ironie – que la prestation ahurissante de Rakeem Cato à son premier départ à Montréal a nui à l’attaque dans une certaine mesure. Et je m'explique. Souvenez-vous de cette première présence dans la mêlée : 80 % de passes complétées, trois passes de touché et pas la moindre interception. Un sauveur venait de débarqruer!

Comprenez-moi bien : je pense que Cato a un avenir brillant devant lui. Il est un joueur extrêmement talentueux, et c’est l’évidence même d'affirmer qu’il est supérieur à Jonathan Crompton. Il est un meilleur passeur, et de loin. Sauf que l’an passé, les Alouettes trouvaient des moyens de gagner avec Crompton en poste. La défense jouait de l’excellent football, le jeu de course était utilisé à profusion, et le jeu aérien était suffisamment impliqué pour aider la cause de l’attaque.

Après l’entrée de Cato, on est tous tombé en amour avec ses aptitudes, Turk Schonert le premier. C’est peut-être pour ça qu’on revient ad nauseam sur le déséquilibre flagrant dans les choix de jeux. On aime tellement le gigantesque potentiel du jeune quart qu’on en oublie qu’il est une recrue, en plus de laisser de côté la recette gagnante de la deuxième moitié de 2014. Peut-être que si Cato n’avait pas été aussi éblouissant en début de saison, on aurait persisté à incorporer le jeu au sol de manière plus soutenue. Et qui sait où on en serait aujourd’hui?

Encore jeudi, 34 jeux ont été consacrés à la passe (24 passes tentées, 8 sacs du quart et 2 courses improvisées), et seulement 11 fois, on a refilé le ballon aux demis offensifs. On avait pourtant cloué au banc John Bowman afin d’avoir en uniforme un deuxième porteur de ballon américain et s’assurer de ne pas être dans de beaux draps advenant une blessure. Quelle est la logique derrière ce choix tactique, compte tenu de l'utilisation aussi faible du jeu au sol?

C’est déroutant qu’on essaie toujours les mêmes patrons de jeux sans obtenir des résultats différents. Lorsque tu perds plusieurs matchs d’affilée et que ce sont des raisons différentes d’un revers à l’autre, c’est une chose. Mais dans le cas qui nous occupe, c’est ni plus ni moins une tendance lourde.

J’ai parlé d’un manque d’opportunisme plus tôt dans mon analyse. Est-ce que ça pourrait être plus évident? En première demie seulement, la défense a provoqué quatre revirements. Deux fois, l’attaque a hérité du ballon en territoire des Eskimos, au 25 et au 47, et une troisième fois en milieu de terrain, au 55. On avait la chance d’anéantir de manière définitive les espoirs des rivaux. En termes de boxe, les visiteurs avaient un genou à terre, et le moment était tout désigné pour les achever.

Pourtant, on a été incapable d’infliger le K.-O. à une formation qui a été chancelante sur la route cette année. C’est assez spectaculaire que six maigres points ont été ajoutés au tableau après les jeux réalisés par la défense.

Anémiques en premier essai

Luc Brodeur-Jourdain a résumé le tout assez efficacement après le match. Les Alouettes n’ont pas été assez bons sur premier essai. Contre une équipe aussi bien nantie sur le front défensif qu’Edmonton, auteur du plus grand nombre de sacs et de revirements dans tout le circuit, c’est impardonnable. Ils forcent leurs adversaires à se retrouver fréquemment dans des situations de deuxième essai et long, et à ce moment, l’attaque devient unidimensionnelle.

Les chiffres appuient bien les dires du centre québécois. Des 23 situations de premier essai des Alouettes,  142 verges ont été récoltées. En regardent le tout froidement, c’est somme toute assez bien, à 6,2 verges en moyenne. Mais il faut comprendre que des jeux de 53 verges à Alex Charrette et 39 verges à S.J. Green changent la donne. Combien de verges les 21 autres jeux ont-ils permis d’engranger? Seulement 50, pour une moyenne de 2,6 verges… Autant dire que les Alouettes ont passé la soirée entière en deuxième et long!

L’entraîneur Chris Jones possède un paquet de trucs dans son sac et il dirige un groupe de joueurs hyper polyvalent. La pression arrive de partout, et c’est carrément spectaculaire de les voir à l’œuvre. C’est devenu un défi physique et psychologique pour la ligne à l’attaque des Als, qui s’est fait malmener, n’ayons pas peur de le dire. Mais encore là, la sélection de jeux douteuse n’a rien fait pour contribuer à rendre leur boulot facile.

Le front défensif a fait preuve d’une belle variété entre la pression exercée à l’extérieur et à l’intérieur. Tout l’arsenal était disponible pour les Eskimos, étant donné que Montréal s’en remettait presque toujours au jeu aérien. En vérité, je ne connais pas une ligne à l’attaque qui ne se serait pas fait brasser dans un tel contexte!

Ce sont des réactions purement humaines : lorsque tu réussis un sac, ton niveau de confiance grimpe. Quand tu es celui qui encaisse, ta confiance diminue. C’est inversement proportionnel. Comment demander à un quart-arrière d’exécuter lorsque sa préoccupation première est de savoir s’il se fera de nouveau rabattre au sol, au lieu de regarder en direction de ses receveurs de passes?

Un jeu d'échecs, vraiment?

Ce qui est aussi désolant dans toute cette histoire, c’est l’entêtement à ne pas apporter le moindre ajustement. Je n’ai pas aperçu la moindre passe piège, une arme de choix pour contenir le blitz. Le jeu d’attirée, qui consiste à opter pour la course mais après un court délai, aurait été une manière tout aussi valable de déjouer les plans du front défensif. Je n’en ai pas vu non plus. Ça aura même pris le 6e ou 7e sac du match, tard au troisième quart, pour que les Alouettes bougent la pochette protectrice, donc l’endroit d’où la passe de Cato est décochée.

La protection maximale n’a pas non plus été du rendez-vous. À un certain point, la réaction normale aurait dû être de vouloir fournir du temps supplémentaire au quart pour faire ses lectures, quitte à avoir quelques receveurs en moins sur le terrain, mais ça ne s’est jamais produit. Bref, en bout de ligne, ce qui est choquant, c’est que l’on a jamais vu la réponse à ce que les Eskimos proposaient… Le traditionnel « jeu d’échecs » entre les deux clubs, on ne l’a aucunement vu. Autrement dit, on a simplement envoyé les membres de l’unité offensive à l’abattoir!

Tôt ou tard, l’anémie à l’attaque va finir par avoir des répercussions sur l’ambiance des joueurs à la défense aussi. Ce sont des gars fiers, et lorsqu’ils ont seulement alloué 13 points (deux points d’Edmonton ont été marqués sur un touché de sûreté), en plus de créer quatre revirements et que ce n’était toujours pas suffisant pour gagner, ça devient enrageant. Ils doivent se demander ce qu’ils peuvent accomplir de plus, même si devant les caméras, ils vont affirmer qu’ils doivent en donner plus.

Mis à part quelques pénalités (notamment une pour contact illégal) ayant permis aux Eskimos d’améliorer leur positionnement sur le terrain, bien malin est celui qui arrive à reprocher autre chose à l’unité de Noel Thorpe. Éventuellement, c’est ce qui a permis au clan vainqueur de prendre possession du ballon en territoire montréalais pour finalement inscrire le botté de précision victorieux. Mais sincèrement, c’est le seul et unique reproche qui peut lui être adressé.

Jeudi, les Alouettes seront de passage en Colombie-Britannique pour s’y mesurer aux Lions. On verra bien si les solutions apportées durant la semaine de préparation donneront aux partisans montréalais une raison de se réjouir. Parce que l’attaque, elle, a véritablement atteint le fond du baril!

* Propos recueillis par Maxime Desroches