MONTRÉAL – À première vue, le parcours de Jean-Marc Edmé a l’air d’une belle longue ligne droite, d’une route parfaitement pavée, libre de tous les obstacles généralement rencontrés par ceux qui partagent la même couleur de peau. 

Le Montréalais jouit d’une solide réputation dans les hautes sphères de la Ligue canadienne de football. En un peu moins de 15 ans, il a fait fructifier le stage non-rémunéré qui lui avait été accordé à sa sortie de l’université en une place de choix autour de la table de décideurs d’une équipe de la LCF. Il a été entraîneur, dépisteur et aujourd’hui, dans son rôle de directeur du personnel des joueurs du Rouge et Noir d’Ottawa, il est l’un des rares hommes noirs à occuper un poste d’influence au sein du circuit Ambrosie. 

Edmé admet lui-même n’avoir jamais été confronté à la laideur brute du racisme. Dans ses mots : « me faire dire des mots racistes directement, ce n’est pas arrivé. » Mais les tentacules insidieux de la discrimination se sont bel et bien mis dans son chemin. Ils lui ont lié les bras alors qu’une opportunité était à saisir, se sont empêtrés dans ses jambes pour freiner son erre d’aller.

« Je ne suis pas un gars qui regarde à droite, à gauche, qui commence à se comparer. Mais je sais qu’il y en a d’autres qui ont peut-être avancé plus vite que moi », disait-il cette semaine lors d’une entrevue organisée par le collègue Didier Orméjuste et à laquelle avait été invité le RDS.ca

« L’affaire qu’il faut comprendre, c’est que le racisme, ce n’est pas juste de dire le mot que personne ne veut pas entendre. C’est vraiment comment certaines personnes agissent envers toi. Ce que j’ai vu souvent dans mon parcours, ce sont des gens qui me posaient des questions comme : "Hey, tu viens de Montréal-Nord? Comment t’as fait pour monter jusqu’ici?". Comme si un gars de Montréal-Nord ne pouvait pas arriver où j’étais rendu. On dirait que ça a surpris pas mal de monde, où j’étais rendu. Quand on me fait des petits commentaires comme ça, il faut toujours que je garde mon sang-froid. » 

La semaine dernière, on vous racontait l’histoire de Ronald Hilaire, un natif du quartier Parc-Extension de Montréal qui souhaite faire sa part pour que les minorités ne soient plus si visibles dans le football canadien. À l’heure actuelle, Hilaire est l’un des trois entraîneurs-chefs noirs parmi les 27 programmes du réseau universitaires du pays.

Inspiré par l’effervescence du mouvement Black Lives Matter, Edmé a lui aussi décidé de profiter de sa tribune pour brandir bien haut l’oriflamme de la diversité. Au début du mois de juin, il a pris l’initiative d’écrire une lettre à l’intention de Mark Goudie, le président directeur général du Ottawa Sports and Entertainment Group (OSEG), qui possède notamment le Rouge et Noir, et du commissaire de la Ligue canadienne Randy Ambrosie. 

L’objet de la missive : souligner les inégalités qui existent dans les bureaux de la Ligue et initier une prise de conscience dans l’espoir qu’elle fasse naître une réelle volonté de changement. Parce qu’en termes de diversité, la Ligue canadienne est blanche comme neige... mais pas dans le sens où elle n’a rien à se reprocher. Un recensement des effectifs de chaque équipe dans les postes décisionnels permet de le constater. 

« Si tu regardes dans chaque équipe de la LCF, même dans les bureaux de la Ligue à Toronto, et ça inclut les nôtres ici chez le Rouge et Noir, il n’y a juste pas assez de francophones, il n’y a pas assez de minorités, il n’y a pas assez de femmes et il y a du travail à faire là-dessus, proteste Edmé avec assurance. Je pense que si on se met ensemble, qu’on parle, qu’on discute, on peut aller de l’avant de ce côté-là. » 

En plus d’être un Noir dans un environnement majoritairement blanc, Edmé a une voix où sa langue maternelle se fait peu entendre. Au pays des trois essais, peu de Québécois franchissent la ligne de « 55 ». C’est une réalité que l’ancien centre-arrière souhaite englober dans sa démarche. 

« Le premier message que j’ai pour les jeunes au Québec, c’est de faire un plan et de ne pas avoir peur de frapper à des portes. Moi, j’ai frappé à beaucoup de portes. Je me rappelle, quand j’étais à la bibliothèque de l’Université Laurentienne à Sudbury, j’avais plein de lettres, plein de CV, je mettais ça dans des enveloppes. J'en avais 32 pour chaque équipe de la NFL et huit pour chaque équipe de la Ligue canadienne à l’époque. Le monde me regardait, me trouvait bizarre, mais il ne faut pas avoir peur de suivre son cœur parce que personne ne va venir te chercher et t’amener où tu veux aller. Il faut le faire soi-même. Et en tant que francophone, il ne faut pas avoir peur. » 

Déjà, l’idée de Jean-Marc Edmé a fait du chemin chez OSEG. Les patrons l’ont consulté et impliqué dans la création d’un « beau programme » auquel il ne s’est pas fait prier pour participer. Mais au niveau de la Ligue, on n’en a toujours pas accusé réception. 

Edmé est conscient que le commissaire a présentement d’autres choix à fouetter, mais espère que sa lettre ne prendra pas la poussière dans le courrier indésirable. 

« J’aimerais vraiment mettre tout le monde ensemble. Quand je regarde à travers la Ligue, il y a pleine de monde qui ont des belles histoires. Khari Jones, l’entraîneur-chef des Alouettes, a passé à travers des obstacles en lien avec le racisme. Ça aurait été le fun de se retrouver tous à la même table, que ça soit par Zoom ou en personne, pour discuter de façons de faire avancer la lutte sur ce sujet. »

« J’aimerais que la Ligue fasse plus qu’un t-shirt et un slogan. C’est un beau slogan, la diversité et tout, mais je veux qu’on fasse une vraie place pour les minorités, lance celui qui a été pressenti pour le poste de directeur général des Alouettes au début de l’année. Je pense que l’une des raisons pour lesquelles j’ai duré aussi longtemps dans la Ligue, c’est que j’ai toujours eu cette motivation derrière moi qui me pousse. Moi, je veux ouvrir des portes. Je veux gagner des coupes Grey, je veux aider mon organisation à gagner, mais vraiment, un de mes buts ultimes, c’est d’ouvrir des portes à d’autres jeunes qui me ressemblent. »