Il va sans dire que toutes les activités sportives comportent une part de risques et ce faisant, elles sont responsables d’un nombre important d’accidents chez les athlètes. Force est de constater que les traumatismes crâniens sont de plus en plus fréquents tant dans les sports professionnels que dans les sports amateurs. Il n'en demeure pas moins que la commotion cérébrale échappe souvent à l’attention d’une organisation sportive puisqu’elle n’est pas aussi perceptible qu’une plaie ouverte. Pourtant, l'organisation sportive devrait mettre au cœur de sa pratique la santé et la sécurité de ses athlètes.

La récente entente de 765 millions relative aux commotions cérébrales intervenue entre la NFL et quelques 4500 anciens joueurs soulève un important débat sur la responsabilité d'une organisation sportive quant aux problèmes de santé de ses joueurs. Rappelons que la NFL avait été pointée du doigt par les anciens joueurs pour avoir gardé dans l'ombre les dangers liés aux commotions cérébrales.

Plus près de nous, ce même débat refait surface dans le dossier Kevin Kwasny. En effet, la famille de Kwasny a dernièrement intenté une poursuite de 7,5 millions $ contre l'Université Bishop pour avoir prétendument manqué à leur obligation de protection et de surveillance envers leur fils. Le 10 septembre 2011, le joueur de football des Gaiters de Bishop's a subi un hématome cérébral lors de la partie contre les Stingers de Concordia. La famille de Kwasny prétend que l'entraîneur aurait forcé le joueur à retourner au jeu après que celui-ci lui ait mentionné avoir mal à la tête. Subséquemment, il a subi une seconde blessure, laquelle a provoqué une hémorragie cérébrale et une hémorragie interne. Le jeune de 24 ans vit maintenant avec des dommages permanents au cerveau, a perdu l'usage du côté droit de son corps et doit désormais être pris en charge.

Sans aucun doute, la famille de Kwasny va miser sur le fait que l'entraîneur aurait prétendument forcé le joueur à continuer le match après lui avoir souligné son mal à la tête. De là, l'essence même du débat, car il est difficile de connaître la teneur exacte de la conversation qui a eu lieu entre Kwasny et son entraîneur préalablement à l’accident. Qu'est-ce que le joueur a réellement dit à son entraîneur et comment a-t-il réellement réagi face à cette situation? A-t-il vraiment insisté? Si oui, quel était son niveau d'insistance? Qui a fait quoi comment? Seule la preuve le dira.

Incontestablement, les préjudices subis par Kevin Kwasny sont bien réels, mais encore faut-il démontrer l’existence d’une faute et d’un lien de causalité pour établir la responsabilité de l'Université Bishop. Or, relier le dommage subi au comportement reproché n'est pas suffisant. En effet, il importe de démontrer que l'Université Bishop a commis une faute, soit un comportement non conforme aux règles de conduite généralement acceptées, qui selon les circonstances, les usages ou la loi, s'imposent à elle[i].

D’entrée de jeu, il apparaît essentiel de se questionner sur l’étendue des obligations de l'Université Bishop face à ses joueurs. Certes, elle a une obligation générale de prudence et de diligence dans l'information, la surveillance et l'assistance qu'elle procure à ses joueurs. L'obligation de surveillance commande notamment à l'Université Bishop de prendre les précautions nécessaires pour prévenir les accidents, mais au surplus d'assurer le respect par les joueurs des mesures de sécurité et des règles de conduite sur le terrain. Intrinsèquement, une organisation sportive a une obligation de sécurité, laquelle doit être appréciée avec beaucoup plus de rigueur lorsqu’il s’agit d’un sport dangereux avec contacts comme le football. L’obligation de sécurité est directement liée à une obligation d’instruire les joueurs sur le sport et sur ses dangers inhérents tout en veillant à la bonne éducation des techniques de prévention des risques d’accident.

Dans la mesure où l'Université Bishop démontre qu'elle a honoré ses obligations à la lumière du test de la personne raisonnable, c'est-à-dire, comparer sa conduite à celle qu’aurait adoptée un entraîneur et/ou une organisation sportive raisonnable dans de pareilles circonstances, elle pourra dégager sa responsabilité. En l’espèce, c’est la conversation préalable à l’accident entre Kwasny et son entraîneur qui importe fondamentalement, car sa teneur déterminera si l’université a manqué à l’une de ses obligations.

Ceci étant, il peut y avoir un partage de responsabilité lorsque la théorie de l'acceptation des risques par la victime trouve application, auquel cas l’université pourrait se soustraire partiellement ou totalement de sa responsabilité. Sachant que le football est un sport violent, l'athlète doit le pratiquer en toute connaissance de cause, soit en considérant les risques d'accidents inhérents à la pratique de son sport. En acceptant de se livrer à ce sport, le joueur accepte de facto les risques de blessures et d'accidents y étant reliés. Dans les faits, il faudrait démontrer que Kwasny a volontairement accepté de s’adonner à une activité comportant des risques et que la nature et l'intensité de ces risques lui avaient été préalablement divulguées[ii]. Pour l'université, la preuve que les instructions ont été transmises au joueur sur la manière de jouer et que les mesures de sécurité appropriées ont été prises pour prévenir les accidents pourrait être suffisamment satisfaisante pour exonérer sa responsabilité[iii].

Or, il ne faut pas oublier que Kwasny avait 22 ans au moment de l'accident. À cet âge, il a atteint un niveau de maturité et un bon discernement qui devraient lui permettre de connaître son corps et ses limites. De ce fait, il a, lui aussi, une obligation d'informer son organisation sportive de manière honnête sur son état de santé, soit en leur indiquant clairement qu'il ne se sentait pas bien et qu’il n'était pas en mesure de retourner au jeu. Kwasny sera donc appelé à comparer sa conduite à celle du « sportif prudent, raisonnable et loyal dans les circonstances[iv] ». La manière dont il a exprimé cet état sera examinée lors de l’audition et déterminera s’il y a lieu d’exclure partiellement ou totalement la responsabilité de l’université.

Dans cette optique, l'université devra démontrer que le comportement de Kwasny pouvait être connu ou était si soudain et inattendu que même la surveillance la plus rigoureuse n'aurait pu empêcher un tel accident[v]. Bien entendu, l'obligation de diligence de l'université sera contrariée aux détails soumis par Kwasny à son entraîneur. Quoi qu'il en soit, il s'agit d'abord et avant tout d'un dossier très factuel et le débat sur la responsabilité sera davantage un débat sur la crédibilité des témoignages lors de l'audition. Chacune des parties a sa propre version des faits et le tribunal devra se pencher sur les normes que devait respecter l'organisation sportive eu égard au comportement du joueur. À ce jour, aucune défense n'a été produite par l'Université Bishop, mais elle va sans doute nier sa responsabilité en tentant de démontrer qu'elle n'a pas manqué à ses obligations envers Kwasny.

Il reste néanmoins que le football est un sport extrêmement combatif et en revanche, ceux qui le dirigent doivent être extrêmement diligents. Les risques de blessures sont inhérents aux sports et la violation d'une obligation par une organisation sportive peut s'avérer difficile à prouver. La poursuite instituée par la famille Kwasny est tout à fait légitime considérant les préjudices subis par le jeune joueur, mais encore faut-il démontrer la faute de l'université. En l’espèce, c’est la trame factuelle qui sera importante dans l’examen de la preuve. Certes, les commotions cérébrales représentent un réel fléau et il faut miser de plus en plus vers des stratégies de prévention et dénoncer les dangers qui y sont relatifs, car la santé et la sécurité de tous n'a pas de prix.

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[i] Code civil du Québec, article 1457

[ii] Jean-Louis BAUDOUIN et Patrice DESLAURIERS, La responsabilité civile, 5e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1998, p.520

[iii] Id.

[iv] Canuel c. Sauvageau [1991] R.R.A. 18 (C.A.).

[v] Id. p. 519