Laurent Duvernay-Tardif venait à peine d’avoir 10 ans lorsque le dernier joueur issu du Québec, Randy Chevrier, a été repêché dans la NFL.

Deux époques complètement différentes séparent l’encan de 2001 et celui qui se déroulera de jeudi à samedi, où Duvernay-Tardif sera sélectionné par l'une des 32 équipes de la NFL.

« La journée du repêchage, j’étais dans la chambre de ma sœur. Elle avait un ordinateur avec une connexion Internet par modem téléphonique. Je naviguais sur ESPN.com pour voir comment se déroulait le repêchage. Mais je ne voulais pas rester connecté trop longtemps sur la ligne téléphonique au cas où une équipe m’appellerait », relate Chevrier au bout du fil, lui qui est maintenant spécialiste des longues remises avec les Stampeders de Calgary.

Les deux produits des Redmen de McGill ont toutefois plusieurs points en commun dans leur cheminement vers la NFL. Étant donné que peu de recruteurs de la NFL se déplacent au Canada, les deux joueurs de ligne ont dû transmettre eux-mêmes des images les mettant en valeur. Celles de Duvernay-Tardif se sont envoyées en un clic. Mais Chevrier, qui a joué 13 matchs dans la NFL, a dû utiliser une technique en voie de disparation.

« Il n’y avait pas de médias sociaux. Même l’Internet était différent dans le temps. Pour me faire connaître, j’ai dû envoyer des vidéocassettes aux équipes. Mais c’était vraiment une époque excitante », raconte celui qui a été sélectionné en septième ronde par les Jaguars de Jacksonville.

La sélection de Laurent Duvernay-Tardif ne fait plus aucun doute, lui qui est étiqueté comme un choix de troisième ou quatrième ronde sur le site web de la NFL. Chevrier avait de l’espoir en 2001. Néanmoins, la réalité de l’époque et du football universitaire ne garantissait rien. Mais avec l’aide de son agent et de sa femme, l’ancien no 50 des Redmen avait dressé une liste d’équipes qui avaient un besoin au poste de spécialiste des longues remises et Jacksonville en faisait partie.

« Le football du Sport interuniversitaire canadien (SIC) n’avait pas la même couverture qu’il a maintenant. On était vraiment tout seul dans notre projet pour passer à la NFL. D’être repêché au lieu de me présenter comme joueur autonome, c’était surprenant dans un sens. Mais je croyais en mes chances », explique-t-il.

Les anciens en appui

Laurent Duvernay-Tardif pourrait devenir le troisième joueur de l’histoire de l’Université McGill à jouer dans la NFL.

Jean-Philippe Darche, coéquipier de Chevrier avec les Redmen, a connu une belle carrière comme spécialiste des longues remises au sud de la frontière, bien qu’il ne fut pas repêché.

Jean-Philippe DarcheLes destins de Darche (photo) et Duvernay-Tardif sont en quelque sorte liés. Les deux hommes ont fait le choix d’étudier en médecine à McGill. Tout comme l’ancien des Seahawks et des Chiefs, le futur choix au repêchage a dû prendre des décisions difficiles.

Darche et Duvernay-Tardif se sont rencontrés à une seule reprise, le temps d’un dîner. Ce repas a toutefois permis à l'étudiant de voir plus clairement son avenir.

« Il avait de grosses décisions à prendre à savoir s’il mettait ses études de côté pour se concentrer sur le football, se remémore Darche. Je me souviens de cette époque quand tu te demandes si tu essaies d’y aller en prenant une pause dans les études. C’est stressant. Mais avec le recul que j’ai, je lui ai dit "Go". »

Chevrier et Darche n’ont jamais vu jouer le récipiendaire du trophée J.P.-Metras en 2013, remis au meilleur joueur de ligne universitaire canadien. Toutefois, leur ami et ancien coéquipier à McGill, Mathieu Quiviger, a été l’entraîneur de ligne de Duvernay-Tardif à l’université. Les deux hommes n’ont entendu que de bons mots de la part de Quiviger leur confirmant le potentiel du bloqueur et souhaitent ardemment voir un autre membre de leur alma mater dans le circuit Goodell.

Lors de sa rencontre avec l’espoir de la NFL, Jean-Philippe Darche a été impressionné par l’imposant physique de Duvernay-Tardif, qui pesait alors 300 livres. Celui qui a repris ses études en médecine à l’Université du Kansas lors de sa retraite est confiant que le jeune homme de 23 ans s’adaptera au calibre de jeu.

« Avec les habiletés athlétiques qu’il a, il va s’adapter. Il est intelligent et travaillant. Juste en quelques heures, j’ai vu que c’est un gars qui a une tête sur les épaules et qui a les priorités à la bonne place », mentionne-t-il.

Darche y va même de sa prédiction personnelle compte tenu de ce qu’il a entendu sur Duvernay-Tardif : « Je pense qu’il sera repêché plus tôt qu’on le pense. et pourvu qu’il demeure en santé, il sera capable d’avoir une belle carrière. »

Faire sa place comme joueur

Après le repêchage, Laurent Duvernay-Tardif pourra se concentrer sur ses performances sur le terrain. Bien que les joueurs repêchés soient rarement retranchés à leur premier camp d’entraînement, le Québécois devra composer avec de hautes attentes à son égard.

« Si tu es un choix de troisième ronde, à moins que tu ne montres absolument rien au camp, tu vas faire l’équipe. Ça ne paraît pas bien pour le directeur général s’il a repêché quelqu’un qui n’est pas capable de se tailler un poste », illustre Darche.

« Il ne sera plus le plus grand, le plus gros et le plus vite. Tous les joueurs qui seront là seront athlétiques comme lui. Ils étaient les meilleurs où ils jouaient eux aussi. Parfois, tu peux douter de ta place. […] Chaque jour, il faut se dire qu’on mérite d’être là », souligne Chevrier.

Laurent Duvernay-TardifPeu d’Américains connaissent le niveau de jeu du football universitaire canadien. En plus de se battre pour un poste, Laurent Duvernay-Tardif devra-t-il lutter contre des préjugés?

« Le préjugé est au repêchage. Une fois au camp d’entraînement, il n’y a aucune importance d’où tu proviens. Il va devoir prouver ce qu’il est capable de faire. Quand tu as le pied dans la porte, ce sont tes habiletés qui vont t’amener où tu veux », assure Darche, qui souhaite à Duvernay-Tardif une formation qui sera prête à investir du temps sur lui.

Chevrier a reçu un bel accueil à Jacksonville lors du minicamp de l’équipe, quelques jours seulement après qu’il ait reçu l’appel de l’entraîneur-chef Tom Coughlin en 2001.

« Ils m’ont bien traité, comme les autres recrues. On était là pour un travail, pour se faire un poste dans l’équipe. Mais c’est à toi de t’adapter à comment les choses se passent là-bas », fait savoir Chevrier, qui a remporté deux coupes Grey dans la LCF.

En tant que spécialistes des longues remises, Jean-Philippe Darche et Randy Chevrier ont toujours été un peu dans l'ombre. Mais leurs parcours témoignent par eux-mêmes. Ils auront pavé la voie pour un Laurent Duvernay-Tardif, mais aussi pour des joueurs comme Louis-Philippe Ladouceur (Cowboys) et Andy Mulumba (Packers), qui sont passés par les rangs collégiaux québécois avant de terminer leur stage dans des universités américaines.

Mais, il est un peu ironique – et le mot provient de la bouche de Darche – que les Redmen produisent un autre joueur de calibre NFL après des années plus difficiles sur le terrain. Mais tout comme ses prédécesseurs mcgillois, Duvernay-Tardif a tracé son chemin et bûché très fort pour se faire un nom.