Perspective juridique sur la demande rejetée de Tom Brady relative à sa suspension

Tom Brady a annoncé aujourd’hui sa décision d’arrêter les procédures judiciaires entourant le Deflategate, laquelle décision devrait normalement mettre fin à la médiatisation de ce dossier et à la propagation de ce scandale.Brady purgera donc sa suspension pour les quatre premiers matchs de la prochaine saison.

Cette annonce survient après que sa demande pour un nouvel appel ait été rejetée par la Cour d’appel en seconde instance mercredi dernier.

Rappelons que suivant la décision du 25 avril 2016confirmant la suspension de quatre matchs, l’Association des joueurs et Brady avait déposé une requête en vue d’obtenir l’autorisation de former un nouvel appel avec une demande subsidiaire pour une réaudition en banc, le tout pour que la sanction soit reconsidérée.

Mais quelle était la nature de ces demandes?

A. Nouvel appel

Une demande de nouvel appel est toujours entendue par les juges ayant rendu l’appel initial. Les juges Katzmann, Chin et Parker, ayant présidé l’appel de la NFL et rendu la décision du 25 avril 2016, devaient alors statuer sur cette demande. D’abord, ils ont dû voter sur l’opportunité de réentendre l’appel. Pour qu’un nouvel appel soit accueilli, il aurait fallu un vote majoritaire, ce qui signifie que le vote devait être soit 3-0 ou 2-1. Si au moins deux des trois juges avaient voté en faveur de cette demande, une audience pour un nouvel appel aurait été fixée. Dans le cas de Brady, cette demande n’a pas été accueillie. Cela s’explique par le fait que l’appel, qui a été examiné et résolu par les trois juges, a été reconsidéré par ces mêmes trois juges.

B.
Réaudition en banc

Puisque la demande pour un nouvel appel a été rejetée, l’Association des joueurs ademandé subsidiairement une réaudition en banc. Ce recours est exclusif aux États-Unis, il n’y a pas d’équivalent au Canada.  Cette requête nécessite que le tribunal entende l’affaire à nouveau, mais cette fois avec tous les juges du deuxième circuit, lequel comprend actuellement 13 juges actifs.

La première étape pour les 13 juges actifs était de voter sur la réaudition de l’affaire. Pour que la permission de procéder par audition en banc soit accueillie, Brady avait besoin d’un vote majoritaire, c’est-à-dire au moins 7 juges en sa faveur. Malheureusement pour Brady, les 13 juges étaient majoritairement en désaccord sur l’opportunité de réentendre l’affaire. Par conséquent, la demande pour réaudition en banc a donc été rejetée.

Rejet de la demande

La Cour a confirmé la décision du 25 avril 2016, qui avait conclu que le commissaire de la NFL Roger Goodell jouissait d’une très grande autorité en tant qu’arbitre et qu’il avait agi dans les limites de son pouvoir en décidant de maintenir la suspension de Brady.

Spécifions que l’article 46 de la convention collective de la NFL confère au commissaire de vastes pouvoirs disciplinaires contre les joueurs pour toute conduite préjudiciable à l’intégrité de la ligue. Contrairement à la NBA, la LNH et la MLB, il n’y a pas d’arbitre neutre pour renverser une décision du commissaire de la NFL. Ainsi, les actions du commissaire ne sont révisables que par lui-même, n’offrant aucun examen indépendant. Cet aspect est le nerf de la guerre entre Brady et la NFL.

Pourquoi le tribunal a rejeté la requête de Brady ?

L’explication la plus simple est que le deuxième circuit n’accorde presque jamais ce type de demandes. Pour être accueilli, il faut démontrer que les droits d’une personne ont été affectés gravement, excessivement ou déraisonnablement.

Même s’il est digne d’intérêt, le cas de Tom Brady est d’une importance limitée d’un point de vue juridique. Essentiellement, les démarches encourues par Brady depuis plusieurs mois concernent la portée du pouvoir du commissaire Goodell à titre d’arbitre conformément aux dispositions de la convention collective.

Les tribunaux fédéraux ne renversent les sentences arbitrales que dans des circonstances exceptionnelles. De telle sorte que les tribunaux civils ne sont pas sensés intervenir à moins que l’arbitre ait erré en droit. Auquel cas, ils doivent le faire en respectant l’examen initial de l’arbitre. D’ailleurs, la décision du 25 avril 2016 avait spécifié que même si Goodell avait commis des erreurs de fait ou de droit, les tribunaux fédéraux ne pouvaient intervenir que s’il était possible de démontrer que sa décision dépassait les limites de son autorité. Puisque les tribunaux ne peuvent généralement pas vérifier l’exactitude des allégations factuelles soulevées dans le cadre d’un arbitrage, la validité de la conjecture de la NFL quant aux ballons de football des Patriots semble hors de la portée du contrôle judiciaire.

C’est notamment pour cette raison que Brady détenait peu de recours civils où il pouvait faire valoir une théorie juridique viable. Néanmoins, Brady a exploité au cours des derniers mois toutes les possibilités qui s’offraient à lui pour renverser sa suspension.

Rapports collectifs de travail

Les démarches entreprises par Brady et l’Association des joueurs avaient pour but de contester l’étendue des pouvoirs de Goodell. Ainsi, les recours civils ne constituent pas les remèdes les plus appropriés pour que les pouvoirs de Goodell en termes de mesures disciplinaires soient révisés.

Pour ce faire, il faut retourner à la table des négociations en prévision de la conclusion de la prochaine convention collective,  laquelle expirera en 2020. La portée des pouvoirs de Goodell ne pourra être modifiée que dans le cadre de la négociation des termes de la nouvelle convention collective.

Il appert que la ligue et l’Association des joueurs négocient depuis 2014 quant aux changements potentiels relativement à l’autorité disciplinaire de Goodell pour résoudre les appels des sanctions. L’Association des joueurs demande que les appels soient désormais entendus par des arbitres indépendants alors que Goodell est actuellement habilité à le faire en vertu de la convention collective.

Brady a décidé d’arrêter les procédures judiciaires, mais avait-il exploité tous les recours possibles pour faire valoir ses droits ?

- Cour suprême

Il restait franchement très peu d'options pour Brady dans le cadre de sa bataille juridique contre la NFL. Il aurait pu faire appel de cette décision devant la Cour suprême des Etats-Unis. Toutefois, il demeurait fort improbable que la Cour suprême se penche sur cette affaire puisqu'elle entend généralement des dossiers revêtant une grande importance, voire une importance nationale tels que des questions touchant le respect des droits et libertés des personnes.

Si Brady avaitexercé ce recours, il lui aurait fallu demander dans un premier temps l'autorisation de la Cour suprême d'interjeter l’appel avant que l'appel lui-même puisse être entendu. Aux États-Unis, cette demande s’intitule «ordonnance de certiorari». Ainsi, Brady aurait d’abord institué une demande de certiorari pour obtenir la permission d’aller en Cour suprême. Pour trancher les demandes de certiorari, la Cour suprême détient une large discrétion pour analyser les points juridiques soulevés, pour évaluer sa compétence en la matière et pour formuler ses recommandations sur le sort de l’affaire.

Comme il peut prendre un certain délai avant que la Cour ne se prononce sur l'ordonnance de certiorari, Brady aurait pu demander un sursis d’exécution dans l'intervalle afin de suspendre les effets du jugement du 25 avril 2016, soit la suspension de quatre matchs. Plus précisément, le sursis aurait eu pour effet de suspendre la suspension de quatre matchs de Brady jusqu'à ce que les juges décident d'accorder ou non le certiorari. Habituellement, les juges prennent plusieurs semaines pour décider d'accepter ou non un certiorari. La NFL aurait eu 30 jours pour répliquer suivant la réception du certiorari.

Si la demande de sursis et de certiorari avaient été accordées, l'affaire Brady aurait pu être entendue en Cour suprême dans plusieurs mois, signifiant que l’exécution de la suspension aurait été suspendu jusqu’à l’audition sur le fond et que Brady aurait pu jouer durant cette période.

Pourquoi Brady n’a-t-il pas tenté sa chance devant la Cour suprême?

Simplement parce que ses chances de succès étaient extrêmement minces, voire nulles. La Cour suprême accorde rarement des demandes de sursis et de certiorari, car il faut que l'affaire relève d'une question de droit sérieuse portant sur la Constitution ou la loi américaine. Il aurait fallu que Brady soit extrêmement convaincant et qu’il démontre deux éléments essentiels, soit que son cas était digne de la Cour suprême et qu'à défaut d'obtenir un sursis et un certiorari,  il subirait un préjudice irréparable.

Quel type de préjudice irréparable Brady aurait-il pu subir? Il aurait pu soulever sa perte salariale pendant la suspension, mais la Cour aurait probablement conclu qu’il n’a pas subi un préjudice irréparable en ce que son préjudice est purement monétaire. Ainsi, au-delà de sa perte salariale, Brady devait faire valoir que sa suspension lui causait un préjudice sérieux et prétendre qu'il était privé de ses droits fondamentaux en tant que joueur de la NFL et que son avenir dans la ligue était maintenant en danger. Qui plus est, il aurait pu alléguer qu’il ne pourrait jamais reprendre les quatre matchs, que son absence pourrait causer un dommage irréparable à son équipe et sur son classement au cours de la saison. Mais encore.

Puisque la Cour suprême est exigeante et qu’elle ne tranche généralement que sur des questions d’ordre constitutionnel, Brady devait pousser l’argumentation plus loin. Par exemple, Brady aurait pu alléguer que son cas posait des conséquences radicales à l'arbitrage à travers les États-Unis.  Brady aurait pu prétendre que les erreurs présumées de Goodell alors qu'il agissait à titre d'arbitre étaient si importantes qu'en l'absence d'intervention de la Cour suprême, les Américains perdraient confiance dans le système d'arbitrage. Brady aurait pu soutenir que la sentence arbitrale de Goodell reflétait sa propre marque de justice industrielle et qu'elle était contraire à l’esprit d’une convention collective. Mais encore.

Ces arguments, bien que légitimes, ne démontrent pas des préjudices raisonnablement irréparables au sens de la Cour suprême.D’autant plus qu’il aurait été étonnant que la Cour suprême se penche sur une question qui touche d'emblée les rapports collectifs de travail au sein de la NFL. Brady a sans doute pris la meilleure décision en cessant la bataille judiciaire entourant le Deflategate.

Recours en diffamation

Dans un autre ordre d'idées, Brady conserve la possibilité de déposer une demande en diffamation contre la NFL devant les tribunaux civils. En vertu de la loi du Massachusetts, Brady a trois ans à compter de la date d'une déclaration prétendument diffamatoire pour intenter une telle action contre la NFL. Or, une poursuite en diffamation constituerait une demande complètement distincte et n'aurait pas d'impact sur la suspension de Brady.  

Est-ce que la NFL a porté préjudice à la réputation de Brady en prétendant qu'il a participé à un programme pour dégonfler les ballons de football? Si Brady considère que oui, il pourrait réclamer à la NFL des dommages-intérêts compensatoires, mais cerecours en diffamation présente, lui-aussi, de faibles perspectives de succès.