Le bruit et la fureur
NFL lundi, 20 janv. 2014. 16:42 samedi, 14 déc. 2024. 06:24« Je suis le meilleur demi de coin de la NFL. »
Une affirmation franche, sans détour, hurlée à pleins poumons par un Richard Sherman exubérant au visage d’une Erin Andrews décontenancée.
L’entrevue improvisée par la correspondante de la chaîne FOX à la suite de la victoire des Seahawks de Seattle, dimanche, lors de la finale de la NFC contre les 49ers de San Francisco, a fait le tour du web. Comme une traînée de poudre, la déclaration émotionnelle de Sherman a enflammé les débats et dans la foulée, les critiques sont nombreuses à son endroit.
Pour se remettre en contexte, Sherman avait toutes les raisons d’être fier comme un coq devant ses partisans. Le demi de coin étoile des Seahawks venait de sceller l’issue du match en provoquant la déviation menant à l’interception du secondeur Malcolm Smith dans sa zone des buts. Évité avec raison par l’offensive des Niners depuis le début de la rencontre, le volubile demi de coin a répondu au défi lancé par Colin Kaepernick qui tentait d’offrir une victoire à son équipe en lobant une passe par-dessus la tête du couvreur de son receveur favori, Michael Crabtree.
On connaissait déjà le manque d’affection partagé par Sherman et Crabtree avant la rencontre, signe d’une rivalité tangible entre les deux formations. Cependant, personne n’avait prévu une explosion de la sorte de la part de l’étoile défensive au verbe assassin.
« Si vous me défiez avec un receveur ordinaire comme Crabtree, c’est le résultat que vous allez obtenir. »
La tirade explicite de Sherman ne laissa aucun doute sur l’objet de sa fureur. Dimanche, sous les confettis déversés sur le terrain du CenturyLink Field, Richard Sherman a eu le dessus sur son rival. Cette manche lui appartient et personne ne lui enlèvera. Surtout pas les défenseurs d’un sport sans soubresaut baignant dans la rectitude politique.
C’est sur cet aspect que s’articule le malaise entourant la sortie colorée de Sherman. Le diffuseur officiel de l’évènement, la chaîne américaine FOX, a préféré lui couper la parole plutôt que de poursuivre l’entretien en direct sur le terrain. Par la suite, le débat a débordé sur les réseaux sociaux et les détracteurs de Sherman se sont manifestés de manière très volubile.
Un manque de classe pour certains, de l’esprit antisportif pour les autres. Un mauvais gagnant pour faire simple et, surtout, pour éviter de tomber dans le piège des insultes raciales et souligner le clivage encore très apparent aux États-Unis entre les différents groupes ethniques.
Bref, Sherman a secoué plus que l’amateur moyen de la NFL en exprimant sa fierté aussi cavalièrement.
Passion ou retenue?
Au lendemain des évènements, on se demande pourquoi l’ascension d’un personnage singulier comme Sherman froisse autant la moyenne des amateurs.
Au Québec, les mêmes reproches sont souvent lancés en direction de Jean Pascal en raison de son franc-parler et de sa confiante arrogance. D’ailleurs, Pascal s’est retrouvé dans le rôle ingrat du vilain en prévision de son combat contre Lucian Bute, samedi dernier au Centre Bell.
À deux semaines du Super Bowl, Sherman s’est vu remettre le chapeau d’âne. Le porte-parole de la défensive des Seahawks devra composer avec cette réalité pour le match le plus important de sa carrière doublé de la plus grande exposition médiatique qui soit dans la NFL.
Composition qui irrite déjà le principal intéressé, comme en témoigne son compte Twitter.
There was a lot of talk before the game.... Now I'm the bad guy lol.... Well if u judge my character on the field ....So many glass houses
— Richard Sherman (@RSherman_25) January 20, 2014
Malheureusement, la presse négative obscurcit l’exploit des Seahawks et l’excellence du jeu de Sherman sur une base régulière. Devrait-on bâillonner pour autant un athlète qui, fondamentalement, n’exprime que ses opinions à propos de ses adversaires?
Sherman n’est pas spécifiquement méchant ni systématiquement mal intentionné. Il a d’ailleurs rapidement exprimé du respect pour le quart des Broncos, Peyton Manning, soulignant que « quiconque essayait de s’aventurer dans la tête de Manning risquait de s’y perdre ».
Concrètement, Richard Sherman est victime d'une passion pour le sport qui le consume 24 heures par jour. Le demi de coin des Seahawks est un érudit de son sport et ses débordements émotifs sur le terrain ne sont pas sans rappeler l’intensité des plus grands compétiteurs qui l'ont précédés. Le vénérable Michael Jordan, à l’époque dans la NBA, ne se faisait pas d’amis sur le terrain et n’hésitait pas à remettre en place ses opposants après un bon coup à leurs dépends. Sa langue, tirée et défiante, est d’ailleurs devenue l’une de ses marques de commerce au fil des ans.
Sans comparer directement Sherman à Jordan, on peut tout de même tracer un parallèle au niveau de l’investissement émotif des athlètes d’exceptions. Certains contiennent mieux le tout devant les médias tandis que d’autres, comme Sherman ou Jean Pascal, laissent tomber les barrières et s’expriment sans soumettre leur passion à un filtre.
De nos jours, des déclarations comme celles de Sherman ou quelques-unes moins planifiées de Pascal ne font pas l’unanimité.
Reste à savoir si le turbulent visage de l'imposante défensive des Seahawks sera contraint au calme en route vers le très médiatisé Super Bowl, le 2 février prochain. D’ici là, les développements de cette rivalité n'ont pas fini de faire couler de l’encre dans la NFL.
Les 49ers et les Seahawks se retrouveront l’an prochain, pour notre plus grand divertissement. Qu’on approuve ou non les tactiques de Sherman, personne ne peut renier l’important apport au spectacle que son verbe apporte.
Batman aura toujours besoin du Joker afin de sauver Gotham. Richard Sherman, devant les passes de Peyton Manning, deviendra l’opposant idéal à la saison de rêve du quart-arrière de 37 ans. Un duel qui promet d’être aussi explosif que la sortie de Sherman dimanche soir.