Depuis 2003, les éliminatoires passent sous le nez des Raiders d’Oakland. La débandade du « Silver & Black » se renouvelle annuellement depuis la désastreuse défaite contre les Buccaneers de Jon Gruden lors du Super Bowl XXXVII, en 2002.

Au cours de cette période sombre, les Raiders ont cumulé sept saisons consécutives (de 2003 à 2009) de plus de dix défaites, un triste record de la NFL. Sept entraîneurs-chefs ont tenté de redresser la barque depuis, mais aucun d’eux n’est resté en Californie plus de deux saisons.

Comme si les infortunes sur le terrain ne suffisaient pas, les Raiders ont aussi perdu Al Davis à l’automne 2011. Il s’est éteint à l’âge de 82 ans des suites de complications cardiaques. Propriétaire majoritaire de l’équipe depuis 1972, Davis a vécu les hauts et les bas de la formation, incluant trois conquêtes du Super Bowl (1976, 1980 et 1983), un séjour de douze ans à Los Angeles (de 1982 à 1994) et finalement un retour à Oakland à la suite d’une longue opération séduction de la part de la ville bordée par la baie de San Francisco.

Coloré personnage sans l’ombre d’un doute, Davis a multiplié les prises de têtes avec ses joueurs, ses entraîneurs et les autres propriétaires de la ligue au fil des ans. Par contre, la « Raider’s Nation » est attribuable à Al Davis et il n’a jamais caché sa grande affection pour ses anciens joueurs. Généreux et altruiste, Davis a souvent tendu la main vers les anciens de l’équipe, confirmant sa présence emblématique au cœur des activités de l’organisation.

« Once a Raider, always a Raider »

C’est sous cet adage que dirigeait le défunt Al Davis, pour le meilleur et pour le pire. Il est resté impliqué dans les décisions de l’organisation jusqu’à la toute fin de sa vie, ne tenant pas compte des nombreuses critiques qu’il recevait par rapport à son manque de jugement quand venait le temps d’évaluer le talent des jeunes espoirs repêchés par l’équipe. Le nom de JaMarcus Russell hante encore les Raiders qui se sont laissés berner par les belles promesses d’un quart physiologiquement gâté qui n’a jamais eu l’ambition proportionnelle à ses prédispositions.

Bien que la dernière décennie du régime d’Al Davis laisse un arrière-goût amer, l’âme de la « Raider’s Nation » s’est permis une dernière offrande avant de s’éteindre sans avoir la chance de revoir son équipe soulever le trophée Vince-Lombardi.

Un cadeau à retardement

Terrelle Pryor est devenu, par la force des choses, le dernier joueur sélectionné lors d’un repêchage chapeauté par le vénérable Al Davis.

Terrelle PryorLes Raiders ont investi un choix de troisième ronde lors du repêchage supplémentaire de 2011 afin de sécuriser les services du quart issu de l’Université Ohio State dans la NCAA. À l’époque, Pryor était perçu comme un espoir marginal en raison de ses capacités athlétiques inhabituelles pour la position de quart. De plus, sa relation houleuse avec la NCAA et Ohio State n’inspirait pas beaucoup de confiance aux bonzes de la NFL. D’ailleurs, après sa sélection par les Raiders aussi tôt qu’en troisième ronde, les critiques n’étaient pas particulièrement élogieuses. Même au sein de l’organisation, le choix de Pryor n’était pas unanime. Les entraîneurs de l’époque pensaient même convertir l’athlète d’exception vers une autre position. Avec sa vitesse et sa charpente avantageuse (6’ 5’’, 240 livres), le rôle d’ailier espacé semblait plus probable pour Pryor s’il souhaitait poursuivre sa carrière dans la NFL.

Le principal intéressé ne voyait pas sa carrière ainsi.

Pryor excellait au basketball et au football lorsqu’il fréquentait l’école secondaire, si bien qu’il avait initialement choisi de poursuivre sur les planchers de bois franc avec l’Université de Pittsburgh. Cependant, le recrutement intensif de la part des plus gros programmes de football de la NCAA a séduit Pryor qui a finalement jeté son dévolu sur Ohio State. À ce moment, Pryor délaissa le basketball pour de bon afin de devenir un quart-arrière d’exception. Le cirque médiatique entourant le choix de son université représentait bien l’ampleur du talent de Pryor pour un athlète de son âge.

Sur papier, Pryor a toujours été un athlète exceptionnel. Celui vers qui les regards se tournent. Une carrière pavée par les succès accumulés à la polyvalente et dans les rangs universitaires. Puis vint l’enquête de la NCAA (pour des rémunérations hors campus de la part de Pryor), elle-même suivie par son départ prémédité de l’université. Ensuite, c’est Ohio State qui coupa définitivement les ponts d’avec le quart qui soulevait, un an auparavant, le trophée remis au joueur par excellence du prestigieux Rose Bowl remporté par les Buckeyes.

D’exceptionnelle, la vie de Terrelle Pryor est devenue celle d’un paria. Effacé de l’histoire d’Ohio State, Pryor devait maintenant se réinventer dans la NFL avec un bagage d’apprentissage incomplet et une réputation médiatique drôlement entachée.

Pour Al Davis et les Raiders, Pryor n’était qu’un projet. Une ligne qu’on lance à l’eau sans trop d’espoir. Bref, un choix parmi tant d’autres.

Oakland avait d’ailleurs rapatrié Matt Flynn au printemps dernier avec l’espoir d’acquérir un quart partant pour la saison 2013, la deuxième complète depuis le décès d’Al Davis. S’éloignant de l’expérience Carson Palmer, les Raiders amorçaient une saison transitoire afin de redresser les finances de la formation et d’évaluer adéquatement les effectifs pour la suite des choses. Rien ne laissait présager l’éclosion tardive de Terrelle Pryor qui, après deux années discrètes, se sentait prêt à prendre la relève.

Sa conviction solitaire aura été de courte durée.

Une surprise circonstancielle

C’est lors de la présaison que les dominos ont commencé à tomber au camp des Raiders.

Matt Flynn, l’éternel réserviste, n’a pas été en mesure d’élever son jeu contre une compétition moindre. Son manque de prestance força la main de l’organisation d’une certaine façon. Pryor a rapidement saisi l’opportunité, très rapidement même. Pour preuve, Matt Flynn est présentement libre comme l'air à la suite de sa libération plus tôt cette semaine.

Après avoir porté le no 6 depuis son arrivée à Oakland, Pryor a demandé un changement vers le no 2 qu’il portait dans la NCAA. Numéro de chandail qui, dans la mémoire récente des Raiders, est doublé d’une amertume coûteuse. JaMarcus Russell, qui n’a plus besoin de présentation, portait le numéro convoité par Pryor lors de son passage mouvementé dans l’uniforme des Raiders.

Pour se refaire une image, Terrelle Pryor s’est emparé des fantômes de l’organisation afin de les exorciser une bonne fois pour toute. Repartir à neuf, autant pour l’équipe que pour le jeune quart qui vivait lui-même un long passage à vide.

Un mariage parfaitement imparfait.

Depuis, Pryor a confondu tous les experts en quatre départs derrière le centre.

Enfin de l’espoir pour les Raiders

À l’aube de la sixième fin de semaine d’activités, les Raiders affichent un dossier de 2-3 et ont été étonnamment très compétitifs à tous les matchs cette saison.

Les statistiques de Pryor ne sont pas impressionnantes à proprement parler, mais sa présence derrière le centre est clairement une source d’inspiration pour ses coéquipiers. Avec un jeune groupe de receveurs et Darren McFadden sur sa dernière année de contrat, l’offensive des Raiders présente une menace réelle aux équipes adverses, comme en témoigne la moyenne d’un peu moins de vingt points par match que maintient l’équipe.

En raison de ses capacités athlétiques, Pryor est une menace constante avec ses jambes et entre dans la conversation quand on mentionne la révolution des jeunes quarts mobiles dans la NFL. L’explosif Denarius Moore s’est vite imposé comme la cible de choix de Pryor. Plusieurs ratés en raison de l’apprentissage sont survenus jusqu’ici, mais l’amélioration est palpable depuis le début de la saison et après la victoire contre les Chargers, dimanche dernier, les Raiders ne sont plus systématiquement négligés en raison de leur jeunesse. En fait, cette même jeunesse commande un certain respect en raison de son imprévisibilité.

Ice CubeD’ailleurs, le calendrier à venir avantage drôlement Oakland. Avec des matchs à venir contre les Steelers, les Eagles et les Giants lors du prochain mois, les Raiders pourraient facilement se retrouver avec une fiche au-dessus de ,500, une réalité impensable avant l’éclosion de Pryor.

Malheureusement pour les Raiders, le virage abrupt survient en même temps que la saison de rêve de Peyton Manning à la tête des Broncos et la résurrection des Chiefs sous la tutelle d’Andy Reid. L’AFC Ouest, du jour au lendemain, est devenue l’une des divisions les plus compétitives de la NFL. Par contre, l’apprentissage de Pryor pourrait paver la route vers un avenir luxurieux à Oakland.

L’après Al Davis s’impose discrètement. Fort d’un héritage intriguant, offert par Terrelle Pryor, les Raiders pourraient redevenir aussi imposants qu’à l’époque où un voyage à Oakland (et à Los Angeles) signifiait l’hostilité affichée d’une horde de partisans farouches tout de noir vêtus.

La « Raider’s Nation », extravagante et bruyante, attend patiemment le retour d’un certain lustre sur le noir plus mat des dernières années. La fierté du quartier South Central de Los Angeles (Ice Cube, sur la photo) n’est jamais loin quand on parle des Raiders. Pryor, avec son potentiel monstre et son passé trouble, représente merveilleusement bien une communauté qui, aux balbutiements des années 90, arborait fièrement le « Silver & Black » tout en offrant au hip-hop et à la culture alternative ses lettres de noblesse.

Si une NFL en santé est l’équivalent d’un rock plus commercial, les Raiders sont et seront toujours le grain de sable dans l’engrenage qui dérange et force la mouvance vers une actualisation perpétuelle - vers un hip-hop moins marginal. Avec Terrelle Pryor aux commandes, l’espoir revient tout doucement à Oakland. Quand les Raiders vont, la NFL gagne en pertinence.

Pour notre plus grand plaisir.