CHRONIQUE / Je vais toujours me souvenir de ma première rencontre avec Laurent Duvernay-Tardif.

C’était au mois d’août 2013, au camp d’entraînement des Redmen de l’Université McGill. Ça fait drôle à dire en parlant d’un gars qui mesurait six pieds cinq pouces et qui pesait 305 livres, mais Laurent était un peu plus frêle que le joueur qui est aujourd’hui l’un des meilleurs gardes de la NFL.

Il avait toutefois le même sourire, la même détermination, le même regard qui met tout le monde qu’il rencontre à l’aise dès les premiers instants.

À ce moment, la recherche des mots « Laurent Duvernay-Tardif » et « NFL » donnait deux résultats sur Google. Bref, inutile de vous préciser qu’on ne parlait pas encore beaucoup de lui et que j’étais le seul journaliste présent pour son premier entraînement du camp!

Laurent était le dernier joueur à se présenter sur le terrain même s’il avait raté une partie du camp d’entraînement. Mais il avait une bonne excuse. Il terminait un stage en médecine parce qu’en 2013 – comme il le fait encore en 2017 – il menait sa vie d’étudiant et de footballeur conjointement. Il mettait la même énergie pour réussir dans ses deux passions que sont le football et la médecine.

Avant l’arrivée de Laurent, l’entraîneur-chef des Redmen à l’époque, Clint Uttley, m’avait dit que quelques équipes de la NFL l’avaient contacté pour avoir des bandes vidéo des matchs de son jeune prodige. Comme plusieurs, je demeurais sceptique. Laurent était parmi les meilleurs joueurs de ligne offensive du circuit universitaire canadien, mais quelle formation de la ligue de football la plus compétitive au monde voudrait d’un Québécois dont la technique était encore à travailler et qui ratait des entraînements en raison de ses études en médecine, me disais-je dans ma tête.

Eh bien, ça ne m’a pas pris beaucoup de temps pour changer mon fusil d’épaule lors de cette saison, sa première qu’il disputait exclusivement comme joueur de ligne offensive, faut-il le rappeler. Il dominait physiquement les joueurs défensifs devant lui, ouvrant des brèches qui avaient permis à Luis Guimont-Mota de terminer le calendrier régulier au sommet de la colonne des verges au sol chez les porteurs de ballon du RSEQ.

Maintenant que je le connaissais mieux, il ne faisait plus aucun doute dans ma tête que si un de nos Québécois allait réussir au pays de l’Oncle Sam, ça pouvait bien être lui. Il avait ce « je ne sais quoi » en plus de son talent brut. Après la saison, il a engagé son bon ami Sasha Ghavami pour être son agent. Un futur avocat qui croyait en lui plus que quiconque. Des agents plus expérimentés avaient approché Laurent pour le représenter. Mais, c’est ça Laurent Duvernay-Tardif. Si son chemin allait le mener vers la NFL, ça allait se faire main dans la main avec son meilleur chum.

The rest is history, comme on dit.

Le Laurent avec lequel j'ai parlé pendant plus de 10 minutes mardi, c’est le même avec lequel je m’étais entretenu le 22 août 2013. Humble, sympathique, respectueux et toujours aussi souriant. Simplement que cette fois-ci, je n'étais plus le seul journaliste à vouloir avoir ses commentaires.

Lorsque je discutais avec ses coéquipiers des Redmen lors de sa dernière saison universitaire et que je leur demandais de me décrire Laurent, avant même qu’il parle de son talent sur le terrain, ils répétaient tous la même chose : « C’est un bon gars. On est chanceux de l’avoir dans notre équipe ». J’avais à l’époque titré mon article « Le géant aux doigts de fée » parce que c’est ce qu’il dégageait. Je me disais aussi que ça prenait une dextérité assez incroyable pour manier un scalpel avec d’aussi énormes mains!

Si on fait l’exercice au prochain camp des Chiefs, j’ai l’impression que ses coéquipiers, qui sont des joueurs professionnels pour la plupart millionnaires, diraient de lui la même chose que ses anciens acolytes des Redmen. Un bon gars que l’équipe de Kansas City a été chanceuse de repêcher en 6e ronde.

Laurent n’a pas changé. Encore mardi, il venait de signer une entente de 41,25 millions $ qui faisait de lui le 4e garde le mieux payé de la NFL. Néanmoins, il disait que toute cette aventure n’aurait pas été la même s’il n’avait pas eu sa famille et ses amis à ses côtés. Que c’était cela dont il était le plus fier.

Dans le moule de Jean Béliveau

J’ai presque terminé le bouquin « Jean Béliveau : une époque, un regard » où la légende du Canadien raconte sa carrière et sa vie dans un livre paru en 1994. Je vois beaucoup de points en commun entre celui qui restera à tout jamais une icône plus grande que son sport au Québec et LDT : l’importance de la famille, le respect, l’humilité, la volonté de redonner à la communauté, l’intelligence, des capacités physiques incroyables et la loyauté.

Laurent n’est pas Jean Béliveau et ne le sera jamais. Je n’ai pas eu le privilège de rencontrer M. Béliveau au cours de sa vie, mais j’ai toujours trouvé que c’était un homme plus grand que nature. En lisant son livre, cela m’a donné l’impression que Laurent était dans la même lignée puisqu’il voue un grand respect pour son sport, sa communauté et les gens qui l’ont aidé à se rendre là où il est, comme M. Béliveau le mentionne souvent dans son autobiographie.

Le beau rêve de Laurent Duvernay-Tardif

À plusieurs reprises, Laurent a répété comment cette aventure dans la NFL n’aurait pas été la même sans le support de sa famille et de ses amis qui l’ont suivi avant même qu’il pense à tenter sa chance dans la NFL. Il m’a même dit qu’il avait le devoir pour ces gens qui l’apprécient de rester le même. Il veut aussi prouver qu’il mérite ce contrat, qu’il appartient à l’élite de la NFL.

Je le crois lorsqu’il dit cela. Parce que lorsqu’on lui demande ce qu’il va faire avec ses millions, il dit qu’il va prendre le temps d’y réfléchir, que ça ne l’a même pas encore frappé qu’il touchera autant d’argent. Pour lui, l’importance de cette entente résidait dans le fait qu’il serait un Chief pour probablement toute sa carrière.

Laurent a les yeux plus pétillants quand il parle de ses projets qu’il veut réaliser dans la communauté québécoise que de son mirobolant contrat. Ça dit tout.

Et pour vous donner un dernier exemple du genre de gars qu’est Laurent, parlons un peu de ses choix de voitures.        

Quand il a été repêché par les Chiefs, Laurent conduisait une vieille Toyota Echo. Bref, imaginez un moment un colosse comme lui se présenter à un camp de la NFL en tant que recrue avec une vieille bagnole où ses genoux devaient toucher au volant et sa tête au toit.

Ça n’aurait pas passé!

Laurent allait empocher 690 000 $ plus son boni de recrue à sa première saison s’il restait dans la formation de 53 joueurs des Chiefs. Mais pas question de se lancer dans de grosses dépenses. Ce n’est pas son genre.

Alors que s’est acheté Laurent comme première voiture en tant que joueur professionnel? Un vieux Jeep CJ8 datant de 1981… sans toit ni portières!

« C’est le véhicule qui va me décrire le mieux pour un bon bout de temps. Ça décrit bien mon entrée dans la ligue. Tout le monde aurait ri de moi avec ma Toyota Echo. Le Jeep, c’était le meilleur rapport respect/prix », m’a-t-il raconté en riant mardi en soulignant que son choix de véhicule a toujours été un sujet délicat avec sa famille.

Laurent n’a que 26 ans et il inspire déjà une jeune génération de joueurs de football. Laurent n’aime pas ça quand je lui dis cela parce qu’il est beaucoup trop humble, mais il a déjà ouvert des portes à nos footballeurs québécois et canadiens dans la NFL même s’il en est encore à ses débuts et que ses meilleures années sont devant lui.

Et en 2018, il pourra probablement ajouter « Dr Duvernay-Tardif » derrière son chandail numéro 76 des Chiefs. Si j’étais un cinéaste, je commencerais tout de suite à écrire le scénario de ce film sur l’histoire de Laurent et de Sasha. Ce sera comme leur aventure dans la NFL, un succès assuré!