Quand tu vois un joueur qui a la possibilité de se retirer après avoir gagné un Super Bowl – et c’est rare que cela arrive –, c’est comme un conte de fées qui se réalise.

Avec toutes les blessures que Peyton Manning a subies au cours de sa carrière, il ne faut pas être surpris de l’annonce d’aujourd’hui. Il a rendu sa décision publique à ce moment parce que la nouvelle année de la NFL va commencer dans les prochains jours et Manning allait compter pour 19 millions $ sur la masse salariale des Broncos.

Peyton Manning a toujours été un joueur que j’ai aimé regarder. On dit souvent que le football est un jeu d’échecs, mais avec lui, c’était à un autre niveau. J’ai toujours aimé ce côté cérébral, ses façons de faire à la ligne de mêlée et ses manières de se préparer. En tant qu’amateur, c’était quelque chose que j’aimais beaucoup regarder.

Le nouveau retraité a livré un point de presse impressionnant. J’invite ceux qui ne l’ont pas vu à le regarder. On a vu dans le point de presse les raisons qui expliquent pourquoi il a joué pendant aussi longtemps et pourquoi il a eu autant de succès. C’était clair que son amour pour le football est élevé et que c’est important pour lui. Et ça, c’est la base de tout grand joueur.

Quand tu es en amour avec ton sport et que c’est important pour toi, tu te concentres là-dessus et tu n’as pas peur de faire des heures supplémentaires. S’il y a bien une position au football que tu espères qu’un joueur soit comme ça, c’est à la position de quart-arrière, celle qui demande le plus de préparation.

Peyton ManningIl est devenu l’un des plus grands quarts-arrières de l’histoire en raison de sa longévité et de son éthique de travail irréprochable. D’ailleurs, il a dit dans son point de presse qu’il se retirait sans regret parce qu’il croyait être le joueur le mieux préparé chaque match. Il faut le croire puisqu’on entend souvent des témoignages d’anciens coéquipiers qui parlaient de cet aspect de Manning.

Il était reconnu pour son niveau de préparation exceptionnel. Son étude des bandes vidéo des matchs était légendaire. Ce dernier accumulait des cahiers spiraux parce qu’il était toujours en train de prendre des notes pendant les séances vidéo. Il voulait toujours se référer à ses notes. C’est légendaire parce que tu savais que plus la saison avançait, plus il y avait de cahiers dans son casier. C’était un homme perfectionniste.

Une autre des raisons pour lesquelles il a été un bon quart, c’était sa mémoire photographique. Les bons quarts ont besoin de cette qualité pour emmagasiner beaucoup de choses dans leur disque dur pour les ressortir au moment opportun. Peyton Manning avait le don de se rappeler de jeux, de situations, de défenses adverses, de couvertures de passe, de styles de joueur et leurs forces et leurs faiblesses. C’était un des meilleurs pour cela.

C’est un quart qui a un peu révolutionné la phase avant la levée du ballon, ce qu’on appelle en anglais le « pre-snap ». Sa capacité pour utiliser le temps entre les jeux pour tenter de décoder ce que l’adversaire veut faire et de pouvoir attaquer mieux la défensive. Il a forcé ses adversaires à déguiser leurs jeux. Il a aussi établi toute une gestuelle à la ligne d’engagement. C’est là qu’on voit que c’était vraiment un jeu d’échecs pour lui.

Il était tellement particulier qu’il a forcé des entraîneurs à prendre des décisions qui vont contre la logique ou à forcer le jeu. Combien de fois on a vu les Patriots y aller en quatrième essai contre Peyton Manning parce que Bill Belichick croyait que ses meilleures chances de gagner étaient de garder son attaque sur le terrain plutôt que de redonner le ballon à Manning. Parfois, ça fonctionnait, d’autre fois non. On voyait clairement que Manning était parfois dans la tête de Belichick. Ils ne sont pas beaucoup les quarts qui réussissent cela.

On n’a qu’à se souvenir de la décision de Sean Payton au Super Bowl lorsqu’il avait opté pour un botté court pour commencer la deuxième demie. Il se disait qu’il fallait voler des possessions à Peyton Manning. Ce sont des choses comme celle-là qui démontrent le respect que ses adversaires avaient pour lui.

Une histoire de persévérance

Quand Peyton Manning a quitté les Colts d’Indianapolis après sa blessure au cou, ça ne regardait pas très bien.

Il a subi quatre opérations et il a pris beaucoup de temps pour se remettre de cette blessure. Il fut un temps où il perdait de la sensation au bout de ses doigts et qu’il n’avait pas de force dans son bras. Il n’est jamais revenu à 100 % de cette blessure.

De revenir de ça, ce n’était pas reposant, surtout de le faire avec une nouvelle équipe et de nouveaux joueurs. Encore cette année, il s’est blessé au pied et a raté sept matchs. Il a travaillé comme un forcené pour tenter de récupérer. Il est revenu juste à temps.

ContentId(3.1175970):Le football pour Peyton, c'est important
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Il a aussi été persévérant au cours de sa carrière en raison des défaites crève-cœur en match éliminatoires. Malheureusement pour lui, ce scénario de mauvaise défaite se réalisait souvent. Mais il est revenu de ça aussi. Il a un côté persévérance dans son histoire qui est assez spectaculaire.

Lorsqu’on regarde sa feuille de route, on y retrouve une panoplie de records. Il est le seul quart-arrière partant de l’histoire à avoir remporté deux Super Bowl avec deux équipes différentes. Il a été cinq fois joueur par excellence en plus d’être invité à 14 reprises au Pro Bowl.

Il a le plus de verges par la passe en carrière avec 71 940, le plus de passes de touché avec 539 en plus de ses records de saison régulière avec 55 passes de touché et 5477 verges par la passe. Il a 200 victoires en carrière en incluant le dernier Super Bowl. Personne n’a jamais atteint cela.

Ce qui est quand même intéressant aussi, c’est qu’il y a seulement Brett Favre et lui qui ont vaincu les 32 formations de la NFL.

Est-ce le plus grand quart de l’histoire?

Le débat pour savoir qui a été le plus grand quart de l’histoire de la NFL fera toujours rage. Il est évident que Peyton Manning doit faire partie de la discussion.

Est-ce le plus grand passeur de l’histoire? On peut dire que oui. Les statistiques sont là pour l’appuyer. Mais, le plus grand passeur de l’histoire ne veut pas nécessairement dire le plus grand quart de l’histoire. Il y a une nuance.

Être un quart-arrière, c’est plus que de seulement lancer le ballon. Il y a le côté de gestion et de ressortir le meilleur de tes coéquipiers. Quand on regarde la brochette des quarts, qui pourrions-nous mettre dans l’équation?

C’est sûr que Tom Brady fait partie du débat. Brady est un compétiteur incroyable et il est excellent sous pression. Brady a remporté quatre Super Bowl en six présences.

Joe Montana a gagné quatre Super Bowl. Comme Brady, il était très bon sous pression et il était très calme. Il a profité d’une très bonne équipe avec un bon système et qui était bien dirigée par Bill Walsh, donc il n’a pas fait cela tout seul.

On parle souvent aussi de Terry Bradshaw. Il est d’une époque un peu plus lointaine, mais ce qui ressort de lui, c’est que c’était un joueur qui se présentait quand l’enjeu était grand. Plus le match était important, plus il élevait son jeu. C’était sa marque de commerce.

Brett Favre était un guerrier incroyable. C’était un flingueur (gunslinger). Ce n’était pas un joueur qui avait peur de forcer le jeu et de courir des risques.

On peut mettre le nom de John Elway aussi qui avait un bras canon et une bonne mobilité.  

Lorsqu’on parle de passeur à l’état pur, il ne faut pas oublier Dan Marino. Il a joué dans les années 1980 et début 1990 où le jeu de passe n’était pas ce qu’il est rendu aujourd’hui. Je me demande ce que Dan Marino ferait dans les attaques présentement avec la précision, la puissance de son bras et sa façon de dégainer rapidement.

Et maintenant, où Peyton Manning se place dans cette équation?

Ce que je retiens avec tout ce que je viens d’énumérer, c’est que Manning représente un cas unique dans ce débat. Je ne crois pas qu’il y ait eu un quart qui a eu autant de responsabilités au sein d’une attaque. Tout ce qu’il a fait à la ligne d’engagement, les changements, les choix de jeux.

Je me souviens d’un commentaire de Tom Moore qui a longtemps été coordonnateur offensif avec les Colts. Il a dit qu’il ne donnait pas de jeu à Manning dans ses écouteurs, mais des concepts et il décidait où il s’en allait avec tout ça.

Par exemple, on lui disait qu’on voulait faire une course et Manning décidait ensuite la course qui allait fonctionner le mieux selon ce qu’il voyait. Peu de quarts ont eu cette latitude et ce pouvoir. C’est unique! Il n’y a personne qui a eu à faire ça. Ça pourrait faire de lui le meilleur quart.

Mais, il y a tellement de critères qui peuvent rentrer en ligne de compte et c’est ce qui fait la beauté de ce débat. Il n’y aura jamais de réponse idéale.

Néanmoins, la seule question qui peut chicoter dans le cas de Peyton Manning – et pour moi c’est quand même important – : si tu as un match à gagner, qui vas-tu choisir?

Je ne pense pas qu’il y a beaucoup de personnes qui vont répondre Peyton Manning. Il y a plus de gens qui auront Tom Brady, Joe Montana ou même le petit frère de Peyton, Eli, comme réponse. Il a extrêmement bien joué lors de ses deux présences au Super Bowl.

C’est ce qui fait que selon moi, c’est difficile de le placer comme le plus grand de l’histoire. S’il fallait faire un mont Rushmore des quarts, il sera inévitablement là.

Mais pour le plus grand de l’histoire avec la dernière question que nous venons de poser, je mettrais Brady premier, Montana deuxième et ensuite Peyton Manning.

Je ne sais pas ce qu’il va faire de son après-carrière, mais je ne suis pas inquiet pour lui. S’il veut être analyste à la télévision, il va être exceptionnel. Il pourrait être entraîneur, président d’équipe ou même directeur général. Côté cérébral, il n'y a peut-être pas meilleur que lui!

C’est un grand qui a révolutionné le football qui prend sa retraite aujourd’hui! Je lui lève mon chapeau pour l’ensemble de sa carrière.

*Propos recueillis par Christian L-Dufresne