Il y avait beaucoup d'amour dans le centre-ville de Montréal, ce midi. De l'amour et une immense fierté. Montréal a toujours vibré au rythme de ses coupes, peu importe la forme.

Il y a 18 ans qu'on attend la coupe Stanley, mais on s'accommode très facilement de la coupe Grey depuis deux ans. Le public se sent soulevé avec elle chaque fois qu'un Alouette la porte au-dessus de sa tête. Si les Alouettes ont su se faire aimer depuis leur retour en 1997, fans et joueurs donnent actuellement l'impression de n'avoir jamais été aussi attachés l'un à l'autre.

Les joueurs ne ménagent rien pour créer ce lien très particulier avec le public. Ils parlent aux gens. Ils pensent à eux chaque fois qu'il leur arrive de belles choses. Comme s'ils tenaient à leur accorder un certain crédit pour leurs propres succès.

Il y a un débat en ce moment à savoir si les champions en titre de la Ligue canadienne représentent une dynastie. Pas encore, mais ils sont bien près de cette reconnaissance. Huit participations au match de la coupe Grey en 11 ans, dont les trois dernières qui se sont soldées par deux championnats, c'est exceptionnel. Mais une dynastie est la conséquence de trois, de quatre ou de cinq championnats consécutifs. Les Alouettes, construits et rajeunis si habilement, année après année, par le meilleur directeur général de la ligue, Jim Popp, se verront offrir tous les outils pour arriver.

Néanmoins, le chaleureux rassemblement d'aujourd'hui n'avait rien à voir avec la prochaine dynastie de l'équipe. Il avait tout à voir avec un groupe d'athlètes, cols bleus du sport professionnel, unis et formant une équipe dans le plus pur sens du terme. Des joueurs heureux de connaître le succès là où ils sont, dans une province et une culture qui leur étaient totalement inconnues pour la plupart jusqu'à ce qu'on leur permette d'endosser un chandail également très particulier. Un dossard qui, depuis 10 ans, porte le nom de Montréal (avec un accent, s'il vous plaît).

«De cette façon, partout où nous allons, les gens savent d'où nous venons», a expliqué Popp à une foule ravie.

Et que dire de cet autre Américain, Marc Trestman, natif du Minnesota qui, debout sur une table au centre du vestiaire, dimanche, a pensé à remercier les amateurs de Montréal et de la province de Québec pour leur appui. Ce n'était pas une opération de marketing déguisée. Trestman n'a rien à foutre de ces choses-là. N'importe quel autre entraîneur en chef se serait contenté de remercier ses joueurs, son propriétaire, ses patrons et les préposés à l'équipement. Tresman, tout comme ses joueurs d'ailleurs, réalisent fort bien qu'il n'y aurait pas grand plaisir à jouer au football et à gagner devant des gradins dégarnis. Ils ont besoin de leurs fans et ils apprécient de les savoir derrière eux.

Vous les avez vus se dandiner sur l'estrade d'honneur après le défilé? Ils ont chanté et ils y sont même allés d'une danse en ligne durant laquelle quelques tonnes de graisse et de muscles ont mis la plate-forme à rude épreuve. Voilà pourquoi ils sont aimés.

Avec eux, le protocole ne tient jamais très longtemps. Ils travaillent comme des forcenés pour connaître le succès. Ils encaissent des coups qui pourraient tuer un boeuf certains soirs. Ils souffrent, mais ils reviennent continuellement de l'infirmerie pour gagner.

Et quand ils gagnent, ça donne ce qu'on a vu aujourd'hui. Les amateurs descendent dans la rue pour leur dire merci et pour leur crier «One more year» Une supplication qui s'adresse à Ben Cahoon depuis deux ans au même endroit, mais qui a semblé cette fois viser toute l'équipe. «One more year». «One more cup».

Quand on ne se parle pas

Pendant combien de temps pourrons-nous vibrer au rythme des succès de ce beau groupe d'athlètes? Ce que les Alouettes ont de plus beau à offrir, on le voit en surface: Des saisons victorieuses, des présences au match ultime parsemées de quelques coupe Grey et des joueurs qui ont soif de victoires. Entre vous et moi, qu'est-ce que le public pourrait exiger de plus?

Vu de l'intérieur, c'est moins rassurant, cependant. J'ai fait ma petite enquête depuis deux ou trois semaines. J'ai parlé à beaucoup de gens qui sont près de la scène. Le sentiment d'incertitude est palpable chez certains. L'immense succès des Alouettes reste fragile.

Heureusement, le propriétaire Robert Wetenhall a récemment posé un geste rassurant en octroyant un contrat de quatre ans à Jim Popp. Ça veut dire que Popp, selon son habitude, saura trouver les bons hommes pour remplacer les joueurs qui partiront à la retraite et ceux qu'on devra sacrifier, plafond salarial oblige.

Si les Alouettes sont brillants sur le terrain, en haut lieu, c'est cahoteux comme situation. Il y a deux groupes bien distincts au sein de l'organisation: l'administration et les opérations de football. Il n'y a pas beaucoup de contact entre les deux. Quand le président n'a aucun lien avec son directeur général, quand Jim Popp est plus puissant que Larry Smith, ça ne peut pas faire des enfants forts.

L'image était éloquente à bord du lourd fardier transportant le personnel de direction durant ce défilé. Smith saluait la foule tout fin seul à l'arrière tandis que Popp, Trestman et leurs familles étaient à l'avant. Pour la chaleur entre dirigeants, il faudra repasser. Bien sûr, ils ne sont pas obligés de se parler quotidiennement, mais pour que tout fonctionne sur des roulettes, ils ont besoin de produire au maximum chacun de leur côté. Or, le contexte s'y prête rarement.

Il y a eu l'histoire de Wes Smith, le fils du président, qui a été congédié par le propriétaire. Il y a Larry Smith lui-même qu'on a poussé vers la sortie. On dit aussi qu'il n'y a pas suffisamment de commanditaires associés aux Alouettes. Des partenaires majeurs sont partis au fil des ans. D'autres ont réduit leur participation commerciale dans l'équipe. La visibilité médiatique a diminué malgré les succès qui s'accumulent.

Il y avait plus de médias autour de l'équipe quand le Canadien jouait d'une façon gênante, en accumulant les gaffes au repêchage au même rythme que les saisons de misère. Ça s'est replacé au Centre Bell, de sorte que les journalistes qui assistaient aux entraînements des Alouettes sur les lignes de côté traînent aujourd'hui autour de la patinoire.

Une gaffe bien inutile

Mais le retour en force du Canadien n'est pas l'unique responsable de cette situation. Quand Don Matthews, un être aussi subtil qu'une borne-fontaine, a décidé d'interdire le vestiaire aux médias, en créant une attitude de «Nous contre eux» et que la direction l'a laissé se comporter comme un poltron, les Alouettes ont commis une gaffe qui peut difficilement être réparée quand la relation entre l'équipe et les médias est déjà fragile.

Il y a aussi Robert Wetenhall qui a dû investir plus d'argent que prévu dans l'agrandissement du stade et qui, dit-on, ne trouve pas toujours très drôle d'avoir à fouiller constamment dans ses poches. Heureusement pour lui et pour l'organisation, les coupes Grey, dont il ne se lasse pas, régénèrent sa patience.

Wetenhall devra bientôt nommer le remplaçant de Smith. Une recherche ardue l'attend. Qui voudra aller s'asseoir dans le fauteuil présidentiel quand Popp possède tous les pouvoirs?

Le mieux ne serait-il pas de confier à Popp le double titre de président et directeur général puisqu'il l'est déjà dans les faits? À moins que Wetenhall confie cette responsabilité à son fils Andrew, un employé de la firme Morgan & Stanley à New York, comme le veut la rumeur.

Mais ce sont là des problèmes de grandes personnes. Les amateurs qui se sont déplacés pour acclamer leur héros aujourd'hui ne sont pas très concernés parce ce qui se passe dans les bureaux de l'équipe. L'équipe gagne et c'est tout ce qui compte à leurs yeux. Et pourquoi pas?

Pendant ce temps, en remportant des championnats, les Alouettes peuvent assez facilement cacher tout le reste.