MARRAKECH, Maroc - Même s’il a quitté le bureau en fin de soirée la veille, Stéphane Talbot arrive au clubhouse à 8 h tapant. Pas décidé et large sourire aux lèvres, il serre la main de ses employés qu’il croise sur son passage, salue les clients en vacances, engage la conversation avec les membres du club. Il est vraiment dans son élément. L’ancien professionnel québécois a toujours le golf dans le sang, ça se voit tout de suite. Parce que de la passion, ça en prend plus que la moyenne pour accepter de s’expatrier et devenir directeur de golf et designer de terrains… au Maroc.

La vie de Stéphane Talbot a pris une tournure inespérée en 2002, alors qu’il était encore joueur. Un heureux concours de circonstances, il saute à pieds joints dans l’aventure, sa vie est transformée. « J’ai rencontré, par hasard, Michel Lizotte et Raymond Chabot au salon de golf de Montréal. Ils étaient à la recherche d’un directeur de golf pour un club au Maroc. J’étais en fin de carrière, j’avais une blessure chronique à un poignet et j’avais deux jeunes enfants. Je savais que j’aurais éventuellement besoin d’un travail. Je suis venu ici pour voir le terrain. J’ai aimé. J’ai accepté sans hésiter », raconte Talbot.

golf MarocCe club de golf, c’est La Palmeraie, à Marrakech, au beau milieu des terres marocaines à quelques kilomètres des cimes enneigés des montagnes de l’Atlas. Comme son nom l’indique, le terrain est construit à même une palmeraie. Les palmiers d’un côté, les monts enneigés de l’autre, le décor est tout simplement sublime. Bref, on comprend facilement le « oui » de celui qui est devenu professionnel à 18 ans.

Autre particularité importante du terrain, il s’agit du dernier dessiné par le célèbre Robert Trent Jones Sr, l’homme ayant conçu le plus de terrains au monde (environ 500).

Sans nécessairement avoir une idée précise sur ce qu’il voulait faire après sa carrière de joueur, Talbot savait qu’il ne voulait pas devenir pro d’un club, préférant troquer ses bâtons pour hériter d’un défi plus grand comme administrateur. Directeur de golf : vraiment, il est tombé pile-poil!

« Pour mon premier vrai travail, je me suis ramassé dans un complexe 5 étoiles; la vie fait parfois très bien les choses. Puisque je n’avais pas de réelle expérience dans ce domaine-là, j’ai appris à la dure. Je suis allé suivre des formations aux États-Unis sur l’entretien des terrains. J’ai appris sur la gestion petit à petit », poursuit Talbot.

Après quelques années à La Palmeraie, le Québécois accepte de relever un autre défi important comme directeur de golf au Mazagan, un impressionnant complexe hôtelier 5 étoiles à El Jadida, non loin de Casablanca, possédant un magnifique terrain de type links de 7500 verges conçu par Gary Player. Stéphane est sur place pour travailler à l’ouverture du complexe en octobre 2009, continuant à maîtriser son champ d’expertise.

Architecte, du rêve à la réalité

Depuis un an, Stéphane est de retour à La Palmeraie. Parmi ses tâches, le rêve de plusieurs golfeurs : la conception de terrains, rien de moins. « J’ai commencé par concevoir un premier neuf trous à La Palmeraie. Le golf est en plein essor au Maroc et le groupe pour lequel je travaille va ouvrir un nouveau complexe hôtel et golf à Marrakech et à Casablanca et on m’a demandé de faire la conception de ces terrains. Pour un ancien joueur qui a toujours secrètement voulu être architecte de golf, dessiner des parcours est tout simplement exceptionnel. Nous sommes présentement à apporter les dernières touches aux verts, nous voulons qu’ils soient les plus beaux. Mon travail est extrêmement gratifiant et stimulant », explique Talbot. Un travail de plus en plus exigeant en termes de temps avec la gestion d’un premier

golf Maroc27 trous et la construction de deux autres 18 trous. Un surplus d’heures de travail qui laisse à Stéphane bien peu de temps pour s’amuser sur le terrain, une situation qui ne semble toutefois pas trop embêter le principal intéressé, qui n’aime pas faire les choses à moitié.

« Quand j’étais joueur, je ne faisais que jouer. Là, je travaille et je concentre toutes mes énergies en fonction de ces projets. » Et Talbot risque d’être tout aussi occupé au cours des prochaines années parce que le sport traverse une période faste dans ce pays d’Afrique du Nord.

« Contrairement à certains autres pays dans la région, le Maroc est très stable politiquement. Les investisseurs étrangers sont présents, il y a beaucoup de terrains en construction et ça ne semble pas vouloir s’arrêter, avec les Gary Player, Jack Nicklaus et Colin Montgomerie qui dessinent des terrains ici. Dans un an, on comptera plus de 10 terrains à Marrakech, c’est énorme pour une ville de 1,5 million d’habitants au Maroc. Ça en fait une destination internationale importante. Parce que, même si des efforts sont déployés pour initier les locaux au golf, la grande majorité des joueurs sont étrangers, et surtout Français. » 

« Le Maroc et la France ont un lien historique important. C’est tout près et les Marocains parlent français. Ça fait en sorte que les Français se déplacent beaucoup au Maroc. On touche de plus en plus les Britanniques, les Allemands, les Suisses, les Anglais, les Italiens, et, depuis peu, des Scandinaves. On doit travailler encore plus dur pour attirer plus de Britanniques pour s’ouvrir encore plus à l’international et qu’il y ait plus de monde. »

Une invitation à découvrir le Maroc

Et le Québec dans tout ça? Talbot reconnaît que trop peu de golfeurs québécois viennent y jouer, malgré le fait qu’il y ait près d’un million de joueurs au Québec, selon les statistiques de Golf Québec.

« Le réflexe naturel est d’aller en Floride, en République ou au Mexique. Le voyage de golf au Maroc n’est pas le même voyage de golf que tu feras ailleurs. Il est unique. Parce que tu ne viens pas uniquement pour jouer au golf : tu viens aussi pour aller à la montagne, pour voir les Berbères. Il y a peu d’endroits dans le monde où tu peux sortir et côtoyer la population. Il y a tellement de resorts où tu ne sortiras pas des limites de la propriété parce que c’est trop dangereux, où tu feras tout sur place. Ici, c’est le contraire. On dit à nos clients d’aller manger au centre-ville de Marrakech, même si on pourrait leur dire de toujours manger à nos restaurants. On souhaite qu’ils aient un contact, une expérience qu’ils n’auront pas ailleurs.

golf Maroc« La destination gagne à être connue parce qu’elle offre tellement de choses. Le vol direct Montréal-Casablanca, c’est merveilleux (NDLR : Royal Air Maroc est le seul transporteur effectuant la liaison directe entre les deux villes, à raison de six vols par semaine et de deux vols par jour l’été). Il faut que les gens sortent de leur zone de confort pour avoir une vraie expérience inoubliable. Si tu retournes toujours au même endroit, tu ne vivras jamais ce que tu pourrais vivre au Maroc. J’ai joué en Inde. Tu vas avoir la même chose au Maroc, mais avec plus de sécurité et plus de facilité à discuter avec les gens parce qu’ils parlent français », de poursuivre le Québécois. 

Manifestement, en écoutant Talbot parler avec une telle passion et énergie de sa terre d’accueil des dix dernières années, on comprend rapidement qu’il est amoureux de ce peuple et sa culture. Et qu’il est ici comme un poisson dans l’eau.

« J’étais venu jouer deux compétitions sur le circuit européen et je me rappelais de la bonté et de la gentillesse des caddys. Les gens sont fabuleux, accueillants, chaleureux. Ils vont toujours vouloir t’inviter chez eux pour manger. J’aime bien le rythme de vie qui s’apparente un peu à l’Europe. Faut pas se le cacher, en Amérique on vit, on mange rapidement. Ici, on prend beaucoup plus de temps pour manger avec les gens, on est plus en contact avec eux. C’est différent. Mais, pour moi, c’est le meilleur des deux mondes. Parfois, tu vas dans certains pays pour faire de l’argent rapidement et quitter quelques années après. Pas ici. C’est un endroit où tu peux rester toute ta vie. J’ai deux jeunes enfants, je ne serais pas ici s’il y avait une once d’insécurité dans le pays. Certains pensent que le Maroc est un pays musulman comme les autres, mais ça n’a rien à voir. Le Maroc a toujours été le pays le plus ouvert envers l’Amérique. C’est une société très ouverte », d’opiner l’ancien professionnel.

Où jouer au hockey?

Comme il le dit lui-même, cette décennie loin du Québec a passé en coup de vent. Avec les nombreux projets de construction, Talbot concède qu’il n’a plus le temps de rentrer à la maison comme il le souhaiterait et comme il le faisait il y a cinq ou six ans l’été. Il souhaite surtout retourner pour ses enfants. « Ils n’y sont pas retournés depuis cinq ans. Ils ont hâte de retourner. C’est toujours agréable pour moi de leur transmettre des pans de la culture québécoise et canadienne. »

Mais il retournerait aussi en courant pour pouvoir s’adonner plus souvent à son autre grande passion dans la vie… oui, le hockey. On peut peut-être sortir un gars du Québec, mais on ne peut sortir le Québec d’un gars, comme dirait l’autre.

« Ma grande passion, c’est de jouer au hockey. Je jouais beaucoup quand je faisais de la compétition pour me tenir en forme. Quand je suis arrivé ici, j’étais plus inquiet d’arrêter de jouer au hockey que de jouer au golf. Évidemment, les patinoires ne pleuvent pas ici. Mais j’ai fini par trouver une ligue de hockey… à Paris. J’y vais quelques fois par année pour jouer au hockey avec d’autres expatriés canadiens »… voilà ce qu’on appelle être passionné.

Oui, passionné de son hockey, son golf, son travail, son Maroc. Oui, la vie fait parfois bien les choses, récompense les gens qui mettent les bouchées doubles, qui osent prendre des risques. Talbot se montre philosophe sur ce que l’avenir lui réserve. Un retour à la compétition sur le senior tour à 50 ans? Du design de terrains aux quatre coins du monde? Peu importe, comme les précédentes, l’entreprise sera sûrement auréolée de succès. Et dire que cette aventure a tout bonnement débuté comme employé du vestiaire du club de golf de Beloeil à l’âge de 13 ans.