MONTRÉAL – Avec les horaires atypiques que lui impose son emploi à l’aluminerie, Jean-Marc Richard n’a plus vraiment le temps de s’impliquer dans le hockey ni de suivre de près ce qui se passe dans l’actualité. Mais comme plusieurs, il fait une exception le printemps venu. « En séries, je regarde presque tous les matchs. »

Pour cet ancien joueur professionnel, la série qui oppose le Canadien aux Golden Knights de Vegas revêt un intérêt particulier, mais peut-être pas pour les raisons qu’on pourrait croire.

« J’ai été dans l’organisation des Nordiques... Je suis moins Canadien », confesse en riant de bon cœur celui qui a porté le Fleur de Lys pendant cinq matchs à la fin des années 80.

Les frissons, l’homme de 54 ans les ressent surtout quand il voit ce qui se passe au Nevada. Cette folie que suscitent les Knights depuis leur naissance et à laquelle les amateurs montréalais ont été exposés depuis le début de la semaine, Jean-Marc Richard l’a vécue et en est aujourd’hui un témoin nostalgique.

Pendant trois ans, au milieu des années 1990, Richard a porté les couleurs du Thunder de Las Vegas dans la défunte Ligue internationale de hockey (IHL). Le directeur général de cette nouvelle équipe d’expansion, Bob Strumm, s’était déplacé à Québec pour le recruter, lui et Patrice Lefebvre. Il leur avait expliqué son plan et défilé la liste des joueurs qu’il avait l’intention de mettre sous contrat. L’équipe allait être solide, pas de doute. L’idée de jouer sous le soleil n’était pas désagréable non plus. Les arguments du DG avaient touché la cible.

Entre les Maritimes et le Midwest américain, Richard avait jusque-là joué dans des marchés plutôt traditionnels. En arrivant dans la ville du vice, il s’est vite rendu compte qu’on n’y faisait pas les choses comme ailleurs.

« Je me souviens que quand on embarquait sur la patinoire au début du match, il y avait une grosse machine à sous sur la glace. Quelqu’un baissait le bras et on passait au milieu, il y avait des feux d’artifice. Comme on s’appelait le Thunder, il y avait la chanson d’AC/DC qui jouait dans le tapis. Dans les années 90, c’était spécial voir ça, des présentations comme ça. C’était crinquant! »

Dirigé par l’ancienne légende des Islanders de New York Butch Goring, le Thunder jouait ses matchs locaux au Thomas & Mack Center, qui était principalement le domicile de l’équipe de basketball de l’Université du Nevada à Las Vegas (UNLV). Les premières années de son existence ont été couronnées de succès. Deux fois à ses trois premières campagnes, il a gagné le championnat de la saison régulière. Et comme ça allait être le cas 25 ans plus tard avec les Golden Knights, l’engouement dans la population a été instantané.

« C’était la plus petite patinoire de la ligue, il n’y avait pratiquement pas de zone neutre, mais il rentrait à peu près 18 000 personnes et les trois premières saisons, c’était pas mal plein à chaque match », soutient Lefebvre.

Les années ont peut-être brouillé les souvenirs de la première grande vedette du Thunder. Selon les chiffres compilés par Hockey DB, une moyenne de 8018 spectateurs a franchi les tourniquets pour la première saison locale de l’équipe. Mais pour Lefebvre, un fait demeure : « L’atmosphère, c’était ce que tu vois là. C’était pareil. »

« C’était nouveau pour eux autres. C’est une ville de spectacle, alors ils essayaient de faire la même chose avec leur équipe de hockey », interprète Richard qui, pour décrire l’expérience à laquelle était soumis les partisans de l’époque, parle de « choses qu’on ne voyait pas dans les autres arénas. »

« À la Saint-Valentin, ils avaient peint la glace en rose et on jouait avec des chandails roses, offre-t-il en guise d’exemple. C’était fait de manière professionnelle, mais le propriétaire avait pas mal d’argent et il y avait beaucoup de promotions durant la semaine. C’était spécial. »

Patrice Lefebvre, qui a fini dans le top-10 des meilleurs pointeurs de l’IHL à chacune de ses cinq saisons complètes à Vegas, n’a pas oublié les concours de maillots de bain pour lesquels défilaient des demoiselles légèrement vêtues dans les gradins entre les périodes.

« Il y avait aussi un spa dans un coin de la patinoire. Des partisans qui avaient gagné un concours pouvaient y regarder le match avec une bouteille de champagne. Ça sortait de l’ordinaire, mais c’était le fun. À chaque jour, on ne savait jamais ce qu’on était pour voir de nouveau. »

Pour les joueurs adverses, les attraits d’un voyage à Vegas dépassaient largement les excentricités qu’on pouvait apercevoir dans les estrades. À une époque où les visiteurs arrivaient souvent la veille ou partait au lendemain d’un match, Lefebvre admet en avoir entendu des vertes et des pas mûres.

« Il y en a qui en profitaient, c’est sûr. Ça veillait jusqu’à 6 h, 7 h du matin dans les casinos. On a entendu des histoires de monde qui ont pris des débarques, comme on dit », raconte le meilleur pointeur de l’histoire de la LHJMQ.

« Les joueurs adverses nous disaient souvent qu’ils voulaient finir la game au plus vite pour aller sur la Strip, corrobore Richard, dont les deux enfants sont nés à Vegas. Le DG nous l’avait d’ailleurs dit la première fois qu’il nous avait rencontré. Il cherchait surtout des gars qui avaient déjà des familles plutôt que des célibataires. »

Le Thunder s’est engagé sur une pente descendante en 1996, à sa quatrième année d’existence. Les propriétaires, Hank Stickney et son fils Ken, ont conclu une entente d’affiliation avec les Coyotes de Phoenix et ont diminué leur investissement dans la concession. Les chiffres aux guichets se sont maintenus pendant un certain temps, mais ont chuté de manière importante dans les années suivantes. En 1999, l’équipe a été dissoute après seulement six ans d’existence. Deux ans plus tard, l’IHL disparaissait de la carte.

« Vers ces années-là, des pays comme l’Allemagne ont augmenté le nombre de joueurs étrangers qui étaient permis dans leur championnat, rappelle Martin Gendron, qui a récolté 90 points en 81 matchs à sa seule saison avec le Thunder en 1996-97. Ça fait que les gars ont commencé à partir vers l’Europe. Dans la Ligue internationale, ça commençait à ne pas vouloir payer. C’était une ligue qui était vouée à l’échec, quand tu regardes ça. En une saison à Vegas, je n’ai pas pris l’autobus une seule fois. On pouvait jouer trois matchs en trois soirs et se déplacer chaque fois en avion. Ce n’était pas viable. »

L’aventure s’est peut-être terminée en queue de poisson, mais ceux qui ont connu les belles années du Thunder ne sont nullement surpris de voir les Golden Knights faire battre le cœur de la ville près de trente ans plus tard.

« J’étais sûr et certain que ça allait fonctionner, affirme Jean-Marc Richard. Nous, on avait eu du succès, alors avec une bonne équipe, je ne voyais pas pourquoi le monde là-bas n’embarquerait pas. J’étais vendu à 100% au projet. »