Bobby Nadeau, 15 ans plus tard
Le 22 mars 2008, le Centre Georges-Vézina est plein à craquer. Plus de 4700 spectateurs s'époumonent afin d'encourager les Saguenéens de Chicoutimi qui rossent les Remparts 7-1 en fin de deuxième période. La veille, l'équipe de Québec a remporté le premier chapitre de cette série huitième de finale de la LHJMQ en prolongation. La rivalité qui dure depuis des années entre les deux formations et leurs célèbres entraineurs, Patrick Roy et Richard Martel, est à son apogée.
Avec 28 secondes avant que les joueurs ne retraitent au vestiaire pour le deuxième entracte, Joël Champagne des Sags sert une mise en échec à son opposant Christophe Poirier, après le sifflet de l'arbitre qui ordonne l'arrêt du jeu. La mêlée générale éclate. Les dix joueurs sur la patinoire laissent tomber les gants dans la zone des Remparts. Les coups de poing pleuvent, particulièrement entre Maxime Lacroix et Antoine Roussel. Pourtant, c'est le gardien des Diables Rouges qui retient l'attention. Jonathan Roy invite son vis-à-vis à engager le combat. Il s'avance jusqu'à ce qu'un juge de lignes s'interpose. À l'autre bout de la patinoire, Bobby Nadeau ne bronche pas même quand Roy, libéré de l'officiel, se dirige finalement vers lui.
Les idées se bousculent dans la tête du gardien des Saguenéens. Il s'est déjà battu dans le passé, ça ne l'effraie pas, mais le contexte est différent. À la veille de ses 20 ans, ses solides performances devant le filet lui permettent encore de rêver à une carrière professionnelle. Cette série pourrait lui valoir une invitation à un camp de la LNH. « C'est vraiment ce que j'avais en tête, de pouvoir faire le meilleur travail possible pour mon équipe et gagner. Ce que je me rappelle, c'est de voir Jonathan traverser. Je me rappelle très bien de voir Richard, sur le banc, me faire des signes pour ne pas que je m'engage. J'étais pogné dans un entre-deux. J'y vais ou j'écoute mon entraineur?
Je me disais que je ne pouvais pas me sortir de la série. On mène la game, je joue du bon hockey. C'est mon futur, celui de l'équipe pour la série. Je me sors-tu? Ce n'est pas Kevin Desfossés qui traverse, c'est Jonathan le deuxième gardien. J'étais figé là-dedans », se remémore Bobby Nadeau sans hésitation.
La suite a fait le tour du monde. Le fils de Patrick Roy traverse la patinoire, empoigne Nadeau qui est appuyé sur son filet et le roue de coups de poing. Le gardien des Saguenéens se protège la tête, mais ne réplique pas.
De Lac-Etchemin à Kingston
Près de quinze ans se sont écoulés depuis les événements. Il faut maintenant dire Docteur quand on parle de Bobby Nadeau. Le natif de Lac-Etchemin est endodontiste, soit dentiste spécialisé en traitement de canal.« C'est une spécialité de la médecine dentaire où il y a beaucoup d'aspects technologiques. J'ai toujours aimé les gadgets. »
Déjà en 2008, la médecine dentaire était son plan B si le rêve du hockey professionnel ne se concrétisait pas. Échangé à l'Ile-du-Prince-Édouard lors de sa dernière année junior, Nadeau a ensuite enfilé les jambières pour l'Université Dalhousie à Halifax, tout en décrochant son premier diplôme. Il complète ensuite sa spécialisation en endodontie à l'Université de Toronto et dirige désormais sa propre clinique à Kingston, en Ontario. À 34 ans, Docteur Nadeau a une vie bien remplie avec sa femme Allie, également dentiste, et leurs deux enfants, une fillette de quatre ans et un petit garçon de deux ans.
Les années ont passé, mais le souvenir de 2008 n'est jamais bien loin. On lui en a encore parlé, pas plus tard que la semaine dernière, alors qu'il était de retour en Chaudière-Appalaches pour des funérailles. « Ça va toujours rester », dit Nadeau avec lucidité. C'est pour ça qu'il a accepté d'aborder le sujet publiquement, possiblement pour la dernière fois, afin de confirmer sa vision des événements. Un passé avec lequel il a fait la paix depuis longtemps. « J'essaie de ne pas y penser parce que ça ramène des mauvais souvenirs. En même temps, c'est bon de l'affronter encore un peu pour l'accepter encore plus, plutôt que de l'oublier. »
Tirer profit de la crise
Les jours qui ont suivi l'altercation prennent des allures de tempête médiatique et politique pour les deux équipes impliquées et la LHJMQ. À travers la crise, il y a encore du hockey à jouer et la série se transporte à Québec. Certains moments sont plus flous, alors que d'autres sont encore très frais à la mémoire de Bobby Nadeau.
C'est le cas de la période d'échauffement où chaque équipe doit s'exécuter séparément, ordre de la LHJMQ qui souhaite éviter d'autres échauffourées. « Je me rappelle que Richard m'avait envoyé sur la glace, je pense que c'était avec Matt Whitaker, pour se réchauffer tout seul devant des milliers de personnes qui nous criaient des noms. Je ne sais pas si c'est parce que je n'étais pas assez fort mentalement, ou que j'étais juste un jeune adulte qui manquait d'expérience, mais ça m'a aussi affecté. Je n'en veux pas aux partisans des Remparts. Je me suis toujours demandé pourquoi Richard m'avait envoyé là. Est-ce que c'était pour tirer avantage de la situation? Je ne sais pas. » Les deux hommes n'en ont jamais reparlé, mais le jeune homme vient d'encaisser une leçon qu'il retient encore aujourd'hui. « J'ai appris que dans la vie, même si tu passes un moment difficile, ça n'affecte pas les autres. Il faut que tu grandisses. »
Les Remparts remportent la série en six matchs. Incapable de répéter ses belles performances devant le filet, le gardien voit son rêve professionnel s'évaporer. Plutôt que de sombrer dans l'amertume, il souligne qu'il a plutôt saisi l'occasion de forger son caractère. « Tu peux te plaindre ou te relever les manches et faire quelque chose de ta vie. Je ne voulais pas laisser cet événement-là me définir en tant que personne. Ça m'a donné plus de motivation à devenir ce que je suis aujourd'hui. »
Supporté par sa famille et un entourage solide, il a fermé ce chapitre pour en ouvrir un autre rempli de projets.
Le hockey, encore une passion
Nadeau n'a plus remis les jambières depuis ses années universitaires en raison de blessures aux aines, mais il demeure un mordu de hockey. Il regarde des matchs de la LNH presque tous les soirs, une fois que ses enfants sont endormis. Il suit de près les Canadiens, Maple Leafs et Sénateurs, mais précise en riant que c'est seulement en attendant le retour des Nordiques.
Sa position sur les bagarres n'a pas changé au fil des ans. Il n'a jamais été en faveur de l'interdiction totale, y compris dans les rangs juniors, à condition que ce soit consentant et entre joueurs de même calibre. « Je ne suis certainement pas en faveur qu'un joueur d'impact se sente forcer de jeter les gants contre un instigateur de quatrième ligne ou le deuxième gardien de l'autre équipe, par exemple », ajoute-t-il avec un sourire en coin.
Alors que la majorité des observateurs considèrent que la bagarre de 2008 a été une étape importante dans le durcissement des règles de la LHJMQ, l'ancien Sags se contente d'acquiescer que l'événement a peut-être permis au hockey de progresser un peu. De son côté, il retient davantage de bons souvenirs de ses années de hockeyeur et espère transmettre sa passion à sa fille et son fils.
Et Jonathan Roy? Les deux gardiens s'étaient entrainés ensemble quelques fois avant l'altercation et s'entendaient très bien. « On ne s'est jamais reparlé, mais j'aimerais ça. Ça n'a juste pas adonné. Ce n'est pas parce que je ne voulais pas. Lui, je ne sais pas. Si ça adonnait, ne me dérangerait pas du tout de lui serrer la main. »
Près de 15 ans plus tard, l'invitation est lancée.