NEW YORK - Lorsqu’il s’est présenté devant les journalistes à l’aube de la finale de l’Est opposant son équipe aux Rangers de New York, le directeur général Marc Bergevin était heureux, souriant, confiant.

C’était normal. Son club, un club qui a eu plus que sa part d’ennuis au cours de la saison, un club qu’il a lui-même remis sur rail avec des interventions personnelles auprès de plusieurs de ses joueurs et aussi de son entraîneur-chef, venait d’éliminer les Bruins de Boston en sept longues parties. Une victoire que le DG du CH, comme tous les fans de son équipe, espérait sans toutefois être prêt à jurer dur comme fer que ce souhait allait se réaliser.

Avec Carey Price au sommet de sa forme et de son art, avec un club opportuniste, rapide et discipliné il était maintenant possible de regarder la série opposant le Canadien aux Rangers d’un œil et ayant l’autre sur la grande finale de la coupe Stanley.

Sans jamais manquer de respect à l’endroit des Rangers, Bergevin a plusieurs fois souligné que l’édition 2013-2014 du Canadien était spéciale. « Un groupe spécial, des joueurs spéciaux, une unité spéciale, un esprit de corps spécial », a plusieurs fois répété Bergevin lorsqu’il venait le temps de justifier les succès inattendus que le Tricolore a multipliés en saison régulière. Qu’il a ensuite prolongé en séries éliminatoires.

Avec un recul de 0-2 sur les bras alors que le Canadien débarque au Madison Square Garden, le domicile un brin ou deux hostile des Rangers, le Canadien et les joueurs qui composent cette équipe ont maintenant l’occasion de démontrer à quel point ils forment un groupe spécial.

Le défi est énorme. Les joueurs le savent. Les membres de l’état-major le savent. Les observateurs et les partisans le savent aussi. Déjà imposant, le défi prend des proportions gigantesques alors que Carey Price – blessé au genou – est condamné à jouer un rôle de meneur de claque au moins jusqu’à la fin de la série.

Il serait injuste, exagéré, à vrai dire carrément faux de prétendre que si le Canadien ne parvient pas à reprendre vie dans cette finale sa saison sera gâchée. Même si le Tricolore devait être balayé en quatre matchs.

Cela dit, avant de disséquer le Canadien, il faudrait attendre qu’il s’éteigne. Surtout qu’au-delà les réactions des joueurs et de leur entraîneur-chef Michel Therrien, ce sont celles de Marc Bergevin que j’ai hâte d’analyser.

Un DG personnellement impliqué

Dans son point de presse de dimanche dernier, Bergevin à qui il est plus difficile d’obtenir une réponse significative et franche que de la part de tous les témoins réunis à la Commission Charboneau, a levé le voile sur un élément très important qui explique la nouvelle philosophie de son équipe.

Quand, après plusieurs détours et mots lancés de façon désordonnée et saccadée, Bergevin a décidé de prendre le crédit qui lui revenait, il a lancé : « Oui je m’implique directement dans l’équipe. »

Cette phrase est très importante.

Parce qu’il est toujours un joueur de la LNH dans le cœur et dans l’âme, parce que ses expériences, bonnes ou mauvaises, acquises au fil de sa carrière de 18 ans dans la LNH dictent sa façon de travailler, de louvoyer entre son rôle de grand patron et de « one of the boys ».

Dans plusieurs organisations, ces implications directes et amicales des directeurs généraux dans le quotidien de leur équipe ont la plupart du temps été la cause d’ennuis majeurs. D’ennuis qui ont mené à des congédiements.

Chez le Canadien, depuis le début de l’ère Bergevin-Therrien, c’est tout le contraire qui arrive. Non seulement les interventions ciblées, mais très évidentes de Bergevin ont aidé l’équipe, mais elles sont loin d’avoir miné l’autorité, voire la crédibilité, de son coach. C’est du moins l’impression que les joueurs laissent filtrer. Autant par les rares commentaires que l’on peut obtenir sur le sujet qu’avec les performances offertes sur la glace.

C’est connu – et c’est aussi normal – que quelques joueurs importants du Tricolore ne peuvent blairer leur coach. L’inverse est aussi vrai.

Et c’est là que les interventions de Bergevin ont été bénéfiques. Chaque fois que le bateau louvoyait dangereusement cette saison, le DG trouvait une façon de guider le navire au travers de la tempête. Mieux encore, il trouvait la bonne façon pour calmer cette tempête.

Alors si l’on peut qualifier, avec raison, le Canadien 2013-2014 de groupe spécial, il est impératif d’écrire en grosses lettres le mot spécial et de l’accoler au nom du directeur général Marc Bergevin.

Parce que son flair en matière de hockey et son habileté plus grande encore dans la gestion des relations humaines avec ses joueurs ne font pas de lui un guérisseur, Marc Bergevin ne pourra soigner Carey Price et le faire apparaître devant le filet du Tricolore jeudi soir à New York. Pas plus que dimanche soir pour le quatrième match de la finale. Une quatrième partie qui pourrait être la toute dernière de la saison.

Ceci ne veut pas dire que Bergevin restera tapis dans l’ombre ou juché dans les hauteurs du MSG et qu’il se limitera à un rôle de témoin passif de la fin de saison de son club.

Ça non! Parce qu’il parle moins encore aux journalistes que ne parlaient Pierre Gauthier et Bob Gainey, les sombres directeurs-généraux qu’il a remplacés, il est difficile de savoir exactement ce qu’il fera.

Mais il est clair qu’il interviendra auprès de son équipe. Qu’il tentera de survolter Thomas Vanek, qu’il encouragera Pacioretty et Desharnais à poursuivre sur leur lancée du dernier match, qu’il fera de même avec P.K. et qu’il prendra les moyens pour alléger l’atmosphère lourde qui pèse sur les épaules du Canadien depuis qu’ils ont perdu leur sauveur Carey Price, depuis qu’ils sont tombés en arrière 0-2 dans la série.

Est-ce que cela donnera des résultats? On le saura dès le début du match trois.

Mais peu importe les résultats, c’est la façon qui compte. C’est la philosophie qui importe. C’est le fait que Bergevin, malgré son rôle de patron, tient à enlever son veston et à se retrousser les manches pour aider son équipe à traverser les passes difficiles, les creux de vague, mais aussi pour célébrer avec ses joueurs lorsque le temps est venu de célébrer.

Peu importe ce qui arrivera jeudi soir, peu importe que le Canadien reviennent dans la série face aux Rangers, qu’il se rende à la finale de la coupe Staney ou qu’il soit balayé par les Blue Shirts, le plus beau gage de la saison 2013-2014 sera d’avoir découvert la vraie nature du directeur général Marc Bergevin. Un directeur général émotif, sans l’être trop, qui sait motiver ou secouer ses joueurs sans passer par dessus la tête de son coach, mais qui sait aussi garder la tête froide pour ne pas prendre des décisions qui sembleraient bonnes à court terme, mais qui mineraient son club à long terme.

Si seulement il pouvait être plus ouverts avec les journalistes… ou au moins un.

Amour inconditionnel

En plus d’avoir une pente raide à monter, le Canadien ne pourra compter sur les fans des Rangers pour l’aider. À l’image des partisans du Canadien, les fans des Rangers sont très euphoriques lorsque leur club va bien. Qu’il les rend fiers. Qu’il les comble de joie.

Mais quand les Rangers vont mal, leurs partisans ne le prennent pas. Pas du tout. D’euphoriques, ils deviennent hostiles et ne se gênent pas une seconde pour huer leurs favoris quand ils sont ordinaires, voire les injurier quand ils ne jouent pas bien. Ou mal. Souvent, ce traitement-choc des fans des Rangers minent les Blue Shirts et inversement aide la cause des visiteurs. Donc du Canadien. Un club qui aurait bien besoin de ce renversement des fans des Rangers et de quelques autres petits miracles pour revenir dans la série.

« Montréal n’a pas besoin d’un miracle. Le Canadien a juste besoin de gagner le prochain match pour revenir dans la série. De 2-1 ça peut vite passer 2-2 et là on se retrouverait dans le pétrin puisque le momentum aurait changé. C’est pour cette raison qu’on doit vraiment prendre le match trois au sérieux. C’est pour ça qu’on veut se donner une avance qui sera plus confortable. Mais encore là, il faudra rester calme. Les Kings ont démontré en première ronde que tout était possible, même à 0-3 et nous sommes revenus de 1-3 contre Pittsburgh. Alors on sait très bien ce qu’on doit faire pour garder nos fans derrière nous et le Canadien aussi », a mentionné Derick Brassard qui, après avoir pris part à un entraînement complet mercredi, a tenu le coup une fois encore à l’entraînement matinal de jeudi.

Brassard devrait maintenant prendre part à l’échauffement d’avant-match. La décision finale viendra ensuite. Un éventuel retour de Brassard centre de son trio complété par Benoit Pouliot et Mats Zuccarello aiderait les Rangers à garder leurs partisans du bon bord au lieu de leurs voir se ranger derrière l’adversaire, ou pis encore contre leurs favoris.

« J’ai vécu les colères des fans à quelques occasions depuis que je suis à New York, je sais ce que c’est et c’est rarement plaisant », m’a lancé Brad Richards avec un sourire en coin lorsque je lui ai demandé de me décrire le niveau d’hostilité de la foule à New York.

« Avec une avance de 2-0 et le fait que nous ne les avons pas vus depuis une semaine – les Rangers disputeront un 2e match seulement au Garden à leurs six dernières rencontres – je sais très bien que nos fans seront rangés derrière nous pour le début du match. Ce sera à nous de les garder là. Et pour y arriver, il faudra s’assurer de ne pas donner l’occasion au Canadien de revenir dans le match et dans la série. »

« On a une très bonne foule ici. Nos partisans sont exigeants c’est vrai. Ils ressemblent beaucoup à ceux du Canadien que j’ai connu pendant mes années à la barre du Canadien. On revient devant eux après être allé éliminer les Penguins à Pittsburgh et prendre les devants 2-0 dans la série à Montréal. Je m’attends à ce qu’on puisse compter sur leur amour inconditionnel », a lancé Vigneault en esquissant un large sourire.

Un sourire qui se transformera en grimace si les Rangers et/ou le Canadien trouvent une façon de transformer cet amour inconditionnel en haine viscérale. Et attention ! Il n’en faut pas beaucoup aux fans des Rangers pour virer capot. Il leur en faut moins qu’aux partisans du Canadien.

C’est vous dire…

Le troisième match Canadien-Rangers débute à 20 h.