Il ne fallait pas s’attendre à un bilan de saison négatif où on aurait cherché à identifier des responsables. Marc Bergevin l’avait fait il y a exactement un an après une saison misérable qui en avait incité plusieurs à réclamer des têtes, la sienne la première. Il s’en était sauvé en blâmant les joueurs et en promettant d’assainir le vestiaire, ce qu’il a fait.

Un joueur qui aurait pu passer dans le tordeur est Jonathan Drouin avec lequel le directeur général a été particulièrement gentil compte tenu des circonstances. Il lui a accordé le bénéfice du doute même si son jeu peu inspiré et sa contribution offensive déficiente sont certainement des raisons pouvant expliquer qu’il n’y aura pas de séries encore ce printemps. Il a disputé 49 matchs sans inscrire un seul point sur la carte de pointage. C’est aberrant quand on y pense. Il a marqué cinq buts et amassé neuf points seulement à l’étranger. Cet attaquant, que Bergevin avait mis moins de 24 heures à enrichir de 33 millions, a manqué d’implication et de bonne volonté. On verra s’il en paiera le prix au cours de l’été.

Malgré l’insistance d’éternels mécontents dans les médias sociaux, ni Bergevin ni Claude Julien ne perdront leurs postes. Normalement, ils auraient dû être en danger après cette autre exclusion des séries, mais aussi curieux que cela puisse paraître, c’est à leurs joueurs qu’ils doivent leur sursis pour une autre saison dans les bureaux du Centre Bell. S’ils n’avaient pas joué avec autant de coeur et d’enthousiasme, s’ils avaient gardé la tête haute quand une défaite semblait inévitable et si plusieurs d’entre eux n’avaient pas compilé les meilleures statistiques de leur carrière, l’équipe n’aurait pas effectué ce bond spectaculaire de 25 points au classement. Si le Canadien avait manqué le bateau des séries par une dizaine de points, ses deux plus importantes têtes de hockey seraient probablement pendues en effigie sur l’Avenue des Canadiens en ce moment.

On est parvenu à redonner un peu de brillance à une flanelle écorchée par ses insuccès répétés de l’an dernier. Malgré tout, si cette équipe vaillante a fini par manquer de jus, c’est parce qu’elle ne possédait pas tous les éléments pour gagner. On a poussé la machine au maximum. On a parfois exigé d’elle ce qu’elle ne pouvait pas donner. Or, si elle a puisé au fond d’elle-même, si elle a été épargnée par les blessures et si, malgré tout, elle n’est toujours pas en séries, c’est parce qu’elle manquait de talent pour s’y rendre.

Voilà l’ampleur du défi qui attend Bergevin. Il y a encore tant à faire pour gagner en notoriété. La compétition est féroce dans l’Association Est. Certaines organisations devançant le Canadien au classement vont continuer de progresser. D’autres, qui lui poussent dans le dos, vont lui en faire voir de toutes les couleurs jusqu’à la fin. Pour éviter une autre élimination, il lui faudra poser un ou deux gestes d’éclat. Près d’une vingtaine de millions de dollars sont restés inutilisés sous la masse salariale depuis deux ans. Le moment est venu pour Bergevin de démontrer ce qu’il a dans le ventre en courant certains risques. On ne peut pas diriger une formation professionnelle avec la crainte de commettre des erreurs. Il faut oser, provoquer des choses. Il faut pouvoir porter de grands coups quand l’avenir et la renommée de l’équipe en dépendent.

Bergevin et son propriétaire doivent comprendre que leur clientèle est à la limite de sa patience. On ne se contentera pas de la promesse faite durant ce point de presse de faire l’impossible pour améliorer l’équipe à toutes les positions. On ne se laissera pas endormir par le talent qui pointe à l’horizon. Une élimination des séries n’est plus une option acceptable, et ce, peu importe les raisons.

À l’heure limite des transactions, Bergevin a été justifié de ne pas modifier son plan. On ne voyait pas l’utilité d’hypothéquer l’avenir dans une saison où le Canadien n’avait pas la moindre chance de gagner la coupe Stanley. Cette décision a été entérinée par Geoff Molson malgré le risque pour lui de perdre une dizaine de millions dans une seule série. Mais peut-être aurait-elle été différente si on avait pu savoir qu’on viendrait à une victoire près d’être des séries.

Chaque printemps produit son lot d’aspirants à la coupe Stanley sans que Montréal n’en fasse partie. On ne s’attend pas à ce que le Canadien remporte la coupe dans un proche avenir, mais pourrait-il au moins participer à la grande bataille?

Combien de fois nous a-t-on répété qu’il est excessivement difficile de gagner la coupe dans une ligue à 31 formations. Pourtant, depuis que le Canadien a réussi son dernier exploit en 1993, 12 organisations différentes se sont partagées 24 championnats et 10 autres ont été finalistes. Ce qui signifie que 22 équipes ont au moins participé à une finale. Qu’a fait le Canadien pendant ce temps? Il a été écarté des séries à 10 occasions, dont trois fois au cours des quatre dernières années. On a donc passé 10 ans à regarder des organisations effectuer des transactions heureuses, à prendre des décisions éclairées et à gagner. Dix ans à se contenter des miettes.

De l'espoir

Cette fois, on peut tendre une oreille plus attentive aux propos de Bergevin quand il annonce des jours meilleurs. L’espoir se justifie par l’émergence de Jesperi Kotkaniemi, par l’arrivée inattendue de Ryan Poehling, qui a mis fin à ses études avec une année à courir, et par cette banque de talents que représentent Nick Suzuki, Josh Brook, Cale Fleury, Cayden Primeau, Noah Juulsen et Alexander Romanov. Aucun d’eux n’est vraiment mûr encore. Certains mettront deux, trois ans ou quatre ans avant de débarquer ici, mais au moins, les amateurs se voient offrir de la matière pour alimenter leurs discussions et pour aiguiser leur patience.

Faudra néanmoins se garder une bonne dose de réalisme. Combien d’entre eux rempliront leurs promesses? Combien ont suffisamment de coffre pour conduire le Canadien aux grands honneurs? Quant à l’organisation, manquera-t-elle encore à ses responsabilités de bien développer le talent brut?

L’exploit de Ryan Poehling dans cette désolante fin des émissions a été providentiel pour le Canadien. Il a donné des munitions à Bergevin pour faire passer son message d’espoir. Mais que fera-ton de Poehling quand il sera là? Un entraîneur de son équipe collégiale l’a notamment décrit comme un joueur super talentueux, mais aussi très efficace en désavantage numérique. J’espère qu’on résistera à la possibilité d’en faire ce genre de spécialiste dès qu’il connaîtra des difficultés en attaque. On l’a constaté, Poehling a le physique de l’emploi. Il a le sens du jeu, de l’anticipation et de bonnes mains. Quand il a reçu la passe d’Artturi Lehkonen pour porter la marque à 5-5 en forcer la prolongation, il a battu le gardien des Maple Leafs avec un tir des ligues majeures. On ne bâtit pas un spécialiste du jeu défensif avec ce type d’athlète aux possibilités multiples.

Bergevin a promis d’être agressif le premier juillet, mais si jamais la pêche s’avérait décevante, il croit qu’avec la même équipe, le Canadien serait déjà en avance sur la saison qui se termine parce que ses joueurs ont joui d’une précieuse expérience. Ce ne fut pas sa meilleure citation du jour. Elle nous a ramenés à sa déclaration loufoque concernant son groupe de défenseurs dépouillé de talent qui était supposément meilleur que celui de la saison précédente. Rien pour calmer totalement les inquiétudes.