Tous les bilans de fin de saison de Marc Bergevin depuis qu’il a quitté les Blackhawks de Chicago, dans l’intention de rebâtir pièce par pièce l’équipe de sa ville natale, ont pris la forme d’un copier-coller. Chaque fois, il a généré de l’espoir en promettant de faire l’impossible pour donner au Canadien sa crédibilité d’antan. Il ne l’a peut-être pas dit dans ces termes-là, mais si on a bien décodé ses résumés, c’est ce qu’on a cru comprendre.

Dès le départ, il s’est engagé à ériger la formation sur du solide par la voie du repêchage. Ses cinq premières années aux côtés de Trevor Timmins ne lui ont pas valu beaucoup d’étoiles dans son bulletin. Peut-être que les jeunes défenseurs Mikhail Sergachev et Noah Juulsen pourront faire leur place à Montréal à court ou à moyen terme, mais pour l’instant, seuls Alex Galchenyuk, Michael McCarron et Artturi Lehkonen sont issus de ses repêchages. On n’est toujours pas certain du premier et tout reste à prouver pour le deuxième. Seul Lehkonen semble un espoir solide. C’est donc assez mince comme récolte.

En cinq ans, Bergevin s’est débarrassé d’une bonne quantité de bois mort. De l’équipe actuelle, seuls Max Pacioretty, Tomas Plekanec, Alexei Emelin, Andreï Markov et Carey Price étaient là lors de son arrivée qui avait créé un certain enthousiasme, mais, faut-il le dire, n’importe quel homme de hockey qui serait venu remplacer Pierre Gauthier aurait été applaudi. Bergevin, une recrue dans cette chaise, avait toutefois l’avantage d’être passé par l’université des Blackhawks que Stan Bowman, conseillé par son père Scotty et appuyé par l’entraîneur Joel Quenneville, avait mené à la coupe Stanley.

On ne peut pas l’accuser de s’être assis sur ses mains, mais les changements apportés d’une saison à une autre n’ont pas redonné au Canadien la crédibilité souhaitée. La culture et la philosophie de l’entreprise n’ont pas changé. Il n’y a pas eu d’amélioration sur le plan du développement. La filiale, dans la Ligue américaine, tourne en rond après avoir disputé quatre maigres parties en séries au cours des cinq dernières années.

La campagne qui vient de se terminer aurait dû normalement faire souffler un vent d’enthousiasme dans le Centre Bell. On avait greffé à l’équipe leadership, talent et caractère en Shea Weber, Alexander Radulov et Andrew Shaw. À ces trois-là, il fallait inclure le nom de Carey Price qui avait manqué la quasi-totalité de la saison précédente. Or, comment a-t-on pu ajouter à la formation quatre éléments aussi importants sans que ça marche? Non seulement le Canadien a-t-il paqueté ses petits après la première ronde des séries, mais on a même dû procéder à un changement d’entraîneur en cours de route.

Ce qui ajoute à la déception des irréductibles partisans du Canadien, c’est d’entendre le directeur général insister sur la très grande difficulté à réaliser des transactions, dont l’une viserait à combler la plus grande lacune de l’organisation au centre. Il ne semble pas ressentir un très grand sentiment d’urgence à ce sujet. Bergevin n’a-t-il pas déclaré qu’il n’est pas vraiment essentiel de compter sur un centre de premier plan pour remporter la coupe Stanley. J’ai du mal à me souvenir d’une formation qui a réussi l’exploit sans compter au moins un centre d’impact dans ses rangs. Les derniers printemps sont très éloquents à ce sujet.

Chicago a gagné trois coupes Stanley en sept ans quand Jonathan Toews était épaulé par Brad Richards, Andrew Shaw et Dave Bolland qui s’est même permis huit buts et autant de passes lors de la première conquête.

Pittsburgh, qui a remporté deux coupes, en vise une troisième avec deux superstars au centre: Crosby et Malkin.

Los Angeles a gagné les siennes avec Jeff Carter, Anze Kopitar et Mike Richards.

Boston l’a fait avec Patrice Bergeron et David Krejci.

Et en reculant un peu plus loin encore, Detroit l’a gagnée avec une ligne centrale formée de Pavel Datsyuk, Johan Franzen et Valtteri Filppula.

S’inspirer de David Poile

Bergevin tente d’imiter ce qu’il a vu à Chicago pour concocter une recette gagnante à Montréal. Difficile de l’en blâmer, mais il pourrait aussi s’inspirer du premier directeur général à avoir atteint la finale d’association ce printemps, David Poile, grand patron des Predators de Nashville. Poile a été le DG des Capitals de Washington durant 15 saisons au cours desquelles son équipe a participé aux séries à 14 occasions. Il est à ce jour l’unique directeur général dans l’histoire des Predators qui existent depuis 20 ans. Il a été finaliste trois années de suite au titre de directeur général de l’année.

Quand il a hérité de cette équipe d’expansion en 1998, il est évidemment parti de rien. Il a pris l’engagement de la construire par le biais du repêchage amateur, comme Bergevin se l’était juré lui aussi. Ses plus grosses prises ont été Shea Weber, Ryan Suter, Alexander Radulov, Roman Josi, Ryan Ellis, Mattias Ekholm, Viktor Arvidson et Seth Jones. Malgré tout ce talent, les Predators, dernière équipe qualifiée, n’auraient pas participé aux présentes séries si Poile n’avait pas utilisé quelques-uns de ses produits issus du repêchage pour conclure quelques transactions majeures qui lui ont rapporté notamment Ryan Johansen, Filip Forsberg, Mike Fisher, James Neal et P.K. Subban.

Il est très difficile de réussir des transactions majeures, selon Bergevin. Sans doute, mais pour y arriver, il faut être prêt à faire d’importantes concessions. Poile a cédé un premier choix aux Sénateurs pour Fisher. Il a donné un quatrième choix de la ligue, Seth Jones, pour Johansen. Il a laissé partir Weber pour acquérir Subban. Ça prend du cran et un certain courage pour porter un grand coup au moment opportun.

Bergevin ne ressentait pas beaucoup de pression quand Serge Savard l’a recommandé à Geoff Molson. Il pouvait juste aller de l’avant quand on lui a confié une équipe qui venait honteusement de terminer bon dernier dans l’Est et 28e au classement général. C’est à partir d’aujourd’hui que la vraie pression commence pour lui, celle de remplir le mandat pour lequel il a été embauché et pour lequel on l’a gratifié d’un deuxième contrat ronflant qui prendra fin en 2022. Après cinq ans, on ne peut plus nous chanter des ritournelles en nous invitant à nous satisfaire de succès mitigés.

Quelqu’un m’a demandé il y a quelques jours qu’elle était l’urgence pour Molson de se lier à un directeur général pour une période aussi longue? Il n’y en avait aucune. C’est simplement l’histoire d’un propriétaire qui est tombé en amour avec son principal employé. Comme Molson ne connaît pas suffisamment la ligue pour lui poser les vraies questions quand ça va mal, il a choisi de lui faire une confiance aveugle. Ainsi, quand Bergevin lui a annoncé qu’il devait procéder à un changement d’entraîneur, en lui précisant que le prochain coach lui coûterait 25 millions, comment Molson, qui veut gagner une coupe, aurait-il pu dire non si le changement lui a présenté comme la situation pouvant sauver l’équipe?

Bergevin n’a pas fait du mauvais travail depuis qu’il est là, mais le moment est venu pour lui d’aller danser avec ses partenaires. Vraiment danser, je veux dire.

En attendant, qu’est-ce qui attend les fans du Canadien au cours de l’été? Une autre majoration du prix des billets, probablement. C’est généralement de cette façon qu’on récompense leur profond attachement au CH.