Durant la carrière d'un directeur général, les coups de dés sont parfois nombreux. Ces hommes, à qui on confie des budgets d'opération de quelques centaines de millions de dollars, sont appelés à prendre des décisions qui peuvent soit sortir leurs formations d'impasse, soit les éloigner encore davantage de leurs objectifs.

Il faut du flair et de la chance pour réussir. Les erreurs de parcours sont inévitables. Ceux qui en commettent peu sont habituellement reconnus comme les meilleurs de leur profession.

Qu'on soit un jeunot ou une tête grise dans ce métier, on n'a pas la science infuse. Tout ne peut pas toujours être parfait. Chez le Canadien, par exemple, on a vu passer pas moins de cinq directeurs généraux depuis le départ de Serge Savard, dont trois n'avaient pas la moindre expérience : Réjean Houle, André Savard et Marc Bergevin. Ça pourrait expliquer en partie pourquoi l'équipe n'a rien gagné depuis. Toutefois, cette conclusion n'est pas aussi simple. Après tout, deux vétérans d'expérience dans ce fauteuil, Bob Gainey et Pierre Gauthier, ne sont pas parvenus davantage à replacer les choses.

On reproche à Bergevin d'avoir connu une période de vacances pas très enrichissante, l'été dernier. Son entrée chez le Canadien s'était faite avec tambours et trompettes. Dans son processus d'embauche, on lui avait trouvé toutes les aptitudes requises pour nous permettre de faire une croix sur le désolant régime Gainey-Gauthier et pour replacer l'équipe solidement sur les rails. Comme Serge Savard avait apposé son sceau de compétence sur cette candidature, les plus sceptiques étaient en bonne partie rassurés. Néanmoins, une chose comme celle-là crée aussi de fortes attentes.

L'été dernier, Bergevin a accouché de trois nouveaux noms : Daniel Brière, George Parros et Douglas Murray. Le premier a coûté très cher, mais on l'imaginait déjà très utile dans les attaques massives. La carrure du second répondait à un besoin tandis que le troisième, qui réclamait un contrat de trois ans à trois millions $ par saison, avait dû se satisfaire d'une entente d'un an à un million et demi de dollars. Jusque-là, les gestes posés par Bergevin semblaient positifs.

Évidemment, il n'a pas fallu patienter longtemps avant que les gérants d'estrades adressent des reproches à Bergevin. Brière semblait au bout du rouleau, Parros n'avait ni le talent ni le coup de patin pour tenir son bout dans cette ligue. Quant à Murray, il aurait pu participer à une excitante course de tortues avec Hal Gill.

On va se concentrer sur son acquisition la plus controversée. En Brière, le directeur général était convaincu d'avoir trouvé le successeur de Michael Ryder. S'il lui donnait une vingtaine de buts et s'il solutionnait une partie des problèmes de son attaque à cinq, les quatre millions qu'il coûtait à l'équipe n'étaient pas un problème.

Bergevin ne pouvait pas savoir que Brière lui en donnerait si peu. Brière, lui, qui était rempli de bonnes intentions, ne se doutait pas qu'il en arracherait autant en venant jouer à la maison. Sans compter qu'il n'avait jamais imaginé qu'il jouerait sous les ordres d'un entraîneur qui lui ferait payer chèrement le prix de son irrégularité.

Malgré une saison qui semble catastrophique à première vue, Brière est le septième marqueur de buts de l'équipe. Il a obtenu un but de moins que Gionta et Eller et un but de plus que Desharnais et Bourque. Or, qui de ces quatre-là a été traité plus durement que Brière par l'entraîneur? Personne.

Au niveau de la patinoire, l'entraîneur est celui qui contrôle toutes les ficelles. Quand un joueur connaît des difficultés, il peut l'aider à s'en sortir ou le laisser s'enliser. Les coaches ont tous leurs favoris, c'est bien connu.

Brière sauve Subban...et 1 point au CH

Par les temps qui courent, Brière aurait besoin d'un minimum d'encouragement. Ses récents matchs contre Boston, Tampa et Winnipeg ont permis d'offrir des signes encourageants. Il y a vu une lumière d'espoir quand Therrien l'a réuni à Gionta et Plekanec durant la troisième période du match de samedi. Ces trois-là ont l'habitude de bien s'entendre. Brière l'a d'ailleurs mentionné publiquement dans le vestiaire après le match, espérant sans doute que son message se rende jusqu'à l'entraîneur. C'est ce qui s'est passé puisqu'il a joué durant 15 minutes avec ses deux coéquipiers le lendemain. Mardi, contre les Flames de Calgary, Brière a été très impliqué et parfois menaçant près du gardien.

Si on veut vraiment savoir ce qui lui reste dans le corps, Therrien aurait tout avantage à garder Brière au sein de ce trio homogène pendant un bon moment. Peu importe comment les choses se passeront certains soirs, il faudrait poursuivre l'expérience durant une bonne dizaine de parties. Minimum. Ainsi, on saurait mieux s'il est toujours capable de se justifier en évoluant avec des joueurs qui lui conviennent. Brière a besoin de ce genre de test qui pourrait s'avérer révélateur, dans un sens ou dans l'autre.

On peut aussi envisager cette expérience d'un autre angle. Brière s'est déposé une certaine forme de pression sur les épaules en réclamant sa présence aux côtés de Plekanec et Gionta. Si le coach exauce son souhait, il a donc l'obligation de produire.

Une chose est certaine, Bergevin, autant que son entraîneur, a besoin de savoir dès cette saison si le petit joueur de centre a encore de l'essence dans le réservoir. On ne pourra pas imposer à Therrien un élément dont il n'est pas du tout entiché durant une autre saison.

Brière aimerait bien pouvoir terminer sa carrière au centre. Quand il l'a mentionné à l'entraîneur, il s'est retrouvé au centre du quatrième trio, ce qui revient à l'assigner dans un endroit où il passera carrément inaperçu. Therrien a suffisamment d'expérience pour savoir comment ce genre d'expérience va se terminer. Comment un joueur de son talent pourrait-il retrouver la voie du succès en jouant avec des Moen et des Parros? Tu pourrais refiler la rondelle sans arrêt à ces deux-là sans avoir la moindre chance de produire un but.

Je ne sais pas ce que Brière ressent vraiment ces derniers temps, mais si on le croit humilié, on n'est certainement pas loin de la vérité. Après avoir disputé près de 900 matchs et avoir amassé plus de 700 points, il a connu une très belle carrière. Une carrière qui s'éteindrait d'une façon malheureuse s'il fallait qu'il ne parvienne pas à jouer un rôle pour lequel il est grassement payé.

Les huit millions de dollars qu'on a investis sur lui constituaient une belle marque de confiance à son endroit. Brière avait choisi le Canadien le coeur bourré d'espoir. Depuis, tout le monde est resté sur son appétit.

Il y a encore une lueur d'espoir. À 36 ans, Brière ne sera plus jamais le joueur qu'il a déjà été, mais en raison de son passé, il mérite qu'on lui accorde une vraie chance de se reprendre. Et cette chance, c'est Therrien, et lui seul, qui peut la lui offrir.

S'il y a quelqu'un qui devrait savoir tout ce que signifie une seconde chance, c'est bien lui.

« C'est difficile de rester dans le match »
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