On a tous une destinée dans la vie. Les plus chanceux parviennent à concrétiser ce que le destin avait en réserve pour eux. Pour d’autres, les plus grands rêves ne sont pas toujours au rendez-vous. Simple question de chance ou de circonstances dans certains cas.

Marc Denis est un homme brillant qui a des opinions sur tout et qui sait les exprimer mieux que personne dans un sport qui a été toute sa vie. Il ne faut pas s’étonner qu’il ait déjà été reconnu comme le meilleur athlète-étudiant dans les rangs juniors.

Son talent de gardien de but semblait le destiner à une brillante carrière. Il a connu deux belles saisons juniors à Chicoutimi. Il a participé à une coupe Memorial. Il a gagné le trophée Jacques-Plante. Il a mérité la médaille d’or à deux reprises au championnat mondial junior. À Hershey, dans la Ligue américaine, il a remporté la coupe Calder.

En 1995, il a été le premier choix de l’Avalanche du Colorado qui a vu en lui le successeur éventuel de Patrick Roy. Il a été le plus jeune gardien de but dans l’histoire de cette équipe. Il se voyait chausser les patins de ce gagnant insatiable qui s’est frayé un chemin jusqu’au Panthéon de la renommée du hockey. Contre toute attente, sans qu’il y soit vraiment pour quelque chose, son destin l’a mené dans une autre direction.

Je vous explique. Lors de la dernière expansion de la Ligue nationale, qui a vu les formations de Columbus et du Minnesota y faire leur entrée, l’ex-directeur général Pierre Lacroix, qui n’a jamais manqué d’imagination, a démontré beaucoup d’ingéniosité en manoeuvrant habilement afin que son organisation puisse établir une liste de protection sans avoir à subir une perte importante.

L’Avalanche possédait plusieurs attaquants talentueux et Lacroix a choisi de tous les garder. Les règlements lui permettaient de protéger un seul gardien de but. Évidemment, il a retenu Roy. Comme il voulait éviter de perdre un gardien d’avenir sans rien obtenir en retour, il a donc refilé Denis au Blue Jackets de Columbus en retour d’un second choix au repêchage. Dans l’échange, Lacroix y a ajouté une condition. Columbus, détenteur du tout premier choix de cette expansion, devait réclamer le gardien Rick Tabaracci qui évoluait d’une façon assez anonyme dans l’organisation de l’Avalanche. Pour le rendre admissible à ce repêchage, Tabaracci avait dû jouer un match avec l’Avalanche. Il était arrivé de nulle part, avait participé à une partie et était reparti. On ne l’avait plus jamais revu à Denver. Suite aux conditions fixées par Lacroix, Tabaracci est devenu le tout premier choix des Blue Jackets. Le seul joueur perdu par le Colorado a donc été Denis pour lequel il a obtenu un choix de deuxième ronde.

Ainsi, au lieu de connaître une carrière fructueuse au sein d’une équipe gagnante qui lui aurait permis de gagner la coupe Stanley derrière Roy, Denis a vu sa carrière le mener vers un jardin beaucoup moins ensoleillé. Le reste de sa carrière de 10 ans dans la Ligue nationale s’est écoulé au sein de formations de deuxième ordre, issues elles-mêmes de l’expansion : Columbus et Tampa Bay.

« L’Avalanche avait le choix de disposer de moi ou de David Aebischer, m’a-t-il déjà expliqué. David n’avait pas joué encore dans la Ligue nationale, ce qui ne lui donnait pas une grande valeur marchande. Mais qui sait, peut-être voyaient-ils en lui un avenir plus intéressant? »

Est-ce que Marc Denis a rêvé de connaître une grande carrière professionnelle? Certainement. Dans ses plus beaux rêves, s’est-il déjà vu parader avec la coupe Stanley? Pas de doute là-dessus. S’il était resté au Colorado, sa carrière aurait-elle été très différente?

« Je me suis déjà posé la question, m’a-t-il admis. Tôt dans ma carrière, dans l’ombre de Patrick, je n’aurais pas disputé autant de matchs, mais j’aurais appris à gagner. Par contre, j’aurais dû attendre deux ou trois ans avant d’obtenir le filet en permanence. À Columbus, j’ai eu droit à un apprentissage différent. Plus tard, quand j’ai été échangé  à Tampa après cinq saisons avec les Blue Jackets, il aurait fallu que je prenne la pôle en gagnant régulièrement des parties. C’était une autre forme d’expérience. Au Colorado, où on gagnait très souvent, j’avais développé une mentalité de gagnant. À Columbus, à l’époque, c’était plus important de perdre 3-2 que 5-2. C’est là où s’est située la plus forte différence dans mon parcours. »

Il aurait aimé avoir sa chance

Denis reconnaît que c’est devenu tout un mandat pour Aebischer que de chausser les patins de Roy. Après le départ du gardien-recordman, l’analyste de RDS croit qu’il aurait été mieux préparé pour assumer sa relève, car il aurait déjà bénéficié d’un précieux bagage d’expérience à ses côtés.

Aurait-il eu le tempérament nécessaire pour répondre à la pression en succédant à Roy?

« J’ose croire que oui, a-t-il dit. J’avais suffisamment de caractère pour ça. J’aurais aimé avoir cette chance, mais je ne connaîtrai jamais vraiment la réponse. »

Le vestiaire de l’Avalanche était bondé d’étoiles à l’époque : Roy, Bourque, Sakic, Andreychuk, Ozolinsh, Forsberg, Foote, etc. Il vivait dans une tout autre réalité. À son arrivée à Columbus, le seul vétéran d’expérience était Lyle Odelein.

« Quand j’analyse les choses aujourd’hui, a-t-il précisé, je me dis que j’étais peut-être un peu jeune pour faire partie d’une équipe qui partait de zéro. »

À la retraite depuis une dizaine d’années, Denis est l’analyste le plus chevronné que le descripteur Pierre Houde a eu à ses côtés. Ce soir, il analysera la tenue de l’équipe avec laquelle il a disputé le plus de matchs (266) dans la Ligue nationale. Une formation de l’expansion qui, sans trop de ressources sur la glace, l’a privé des statistiques qui lui auraient valu de connaître un parcours plus étincelant.

« Je ressens toujours un léger pincement au coeur en analysant la tenue des Blue Jackets, a-t-il admis. J’ai encore des connaissances au sein de l’équipe, comme les gens qui sont chargés des médias et de l’équipement. Le seul ancien coéquipier encore dans les parages est Jody Shelley qui joue le même rôle que moi en étant l’analyste des matchs des Jackets. »

Que serait-il advenu de sa carrière s’il n’y avait pas eu d’expansion en 2000? Aurait-il une bague de la coupe au doigt? Sa carrière aurait-elle duré quelques saisons de plus? Denis n’est pas du genre à pleurer sur du lait renversé.

« J’ai disputé un seul match avec le Canadien, a-t-il rappelé. Porter ce chandail historique a été une chose incroyable. Par ailleurs, à Columbus, je peux dire que j’ai participé à la naissance d’un nouveau marché. Et puis, comment pourrais-je oublier que les Blue Jackets m’ont mis au monde comme gardien numéro un? »

Finalement, Marc Denis pourra toucher à la coupe Stanley seulement si le Canadien la gagne un jour. Une bien mince consolation pour ce gardien rempli de promesses.